991204
par François Brooks
Qu'est-ce que la philosophie? Et pourquoi
si peu de gens s'y intéressent-ils?
Je me passionne pour la philosophie comme
certains se passionnent pour la mécanique automobile. Je suis un passionné de
la mécanique de ma pensée. Vers l'âge de 40 ans, j'ai commencé à comprendre que
mes pensées me venaient d'ailleurs, que
ce n'était pas moi qui pensait mais que ça pensait. Au fil de mes
lectures, je reconnaissais certaines des pensées que je croyais miennes dans
des textes qui étaient souvent très éloignés de moi autant par les lieux géographiques
que par l'époque où ils avaient été écrits. J'ai alors cessé de penser que tout
ce qui ne m'était pas contemporain était vétuste, sans valeur et, si la roue de
la pensée avait déjà été inventée, il me valait mieux la redécouvrir que de
prétentieusement essayer de la réinventer. Depuis, je veux savoir quelles sont
les origines de mes pensées, comment elles se produisent et qui m'en a fourni
les prémisses.
Je suis triste que la philosophie ait été
une matière enseignée de façon obligatoire dans les CÉGEPS. Les gens qui ont
subi cet enseignement réagissent souvent à celle-ci comme à un sujet d'ennui
mortel, sans doute à l'image de tout ce qui nous est imposé de force : on
perd l'intérêt. Pourtant, pas une seule journée ne se passe sans que chaque
individu ne mette en application dans sa vie une foule de concepts
philosophiques sans même s'en rendre compte. La faculté de concevoir le monde
dans lequel nous vivons, les objets qui nous entourent, les êtres qui nous
influencent, demande que nous fassions appel à des concepts qui peuvent tous
s'analyser à partir des notions philosophiques qui nous habitent et qui ont été
mises en nous par un « dressage » culturel. Par exemple, la
simple utilisation d'un stylo à bille nécessite que nous maîtrisions des concepts
aussi variés que ceux d'espace, de matière, de forme, de symbolique et
d'existence.
Chacun se targue de vivre la vie la plus consciente
possible et notre société actuelle voue un culte évident à l'authenticité
mais qui s'intéresse à remonter le fleuve des pensées qui nous ont fait naître
et qui nous font appréhender le monde qui nous entoure? Bien sûr, on se sert de
la pensée comme on se sert d'une automobile : pour se rendre d'un point A
à un point B. Mais j'éprouve parfois tant de difficulté à parvenir à mes fins,
que j'ai fini par reconnaître qu'il faut que j'examine mon véhicule, la pensée,
pour débusquer ses « bugs » et trouver les moyens de remplacer mes
raisonnements obstructifs.
Je trouve triste de constater chez mes
contemporains (souvent aussi chez moi-même) combien certains tiennent à leurs
pensées comme à la prunelle de leurs yeux. Même dans le plus grand chaos, ils
semblent si attachés aux idéaux qu'ils entretiennent, on les dirait prêts à
mourir plutôt que de mettre de l'ordre dans leurs idées. Pire, certains sont si
fragiles, qu'ils refusent carrément d'entendre votre point de vue, comme s'ils
risquaient de chambarder leur existence en vous écoutant. Les dogmes personnels
auxquels nous nous rattachons sont des constructions mentales parfois si
fragiles que l'idée seule qu'ils puissent être erronés nous anéantit. Pourtant,
où est la vérité? Ses nombreuses facettes n'ont-elles pas autant d'intérêt que
notre petite vérité personnelle? N'est-ce pas au moyen de la confrontation que
nous trouverons le moyen d'étayer nos pensées?
Ce qui est scientifique, c'est ce qui est
contestable, ce qui est incontestable relève de la foi[1]. N'est-il pas curieux de constater que
malgré que nous estimions vivre dans une ère scientifique, notre attitude
mentale relève le plus souvent de la foi. Les questions des journalistes
l'illustrent souvent ainsi : « Croyez-vous aux sondages? »,
« Croyez-vous aux politiciens? », « Croyez-vous encore en la
justice, la famille, la liberté etc.? ». Notre attitude face à la pensée
relève le plus souvent d'un comportement comparable à la foi religieuse.
D'ailleurs, dans le domaine de la pensée, je me demande parfois s'il existe
autre chose que la foi. Qui a dit que la foi se perdait?
Foi ou pensée
scientifique, la philosophie s'intéresse aux deux. Quel que soit le domaine de
la pensée que vous touchiez, la philosophie a quelque chose à nous dire
là-dessus. La philosophie est, à date, le meilleur outil que j'aie pu trouver
pour examiner la mécanique de la pensée.