991018
par François Brooks
Bonjour Robert.
J'ai lu ton message attentivement. Je
t'en remercie. Tes réflexions m'intéressent énormément. Surtout qu'elles m'amènent
moi-même à réfléchir sur ces questions : Qu'est-ce que c'est qu'un Juif? Est-ce
une race? Est-ce une religion? Woody Allen disait à travers la bouche de son
personnage Harry, l'écrivain, dans son film « Harry dans tous ses états », que « la religion, c'est de la foutaise ; une appartenance qui ne sert qu'à
t'indiquer clairement qui tu dois haïr ». Sachant qu'il est lui-même
juif, sa réflexion attire mon attention (et mon sourire).
Généralement, l'appartenance religieuse
relève de trois instances : 1. : la nationalité territoriale, 2. : la foi
spirituelle, et 3. : la race à laquelle on appartient. Pour un autochtone
Amérindien, par exemple, l'appartenance religieuse est assez évidente à
déterminer. Pour peu que celui-ci vive dans une réserve et soit élevé par une
famille qui n'a pas été « convertie » à une des religions des
« blancs », ces trois instances déterminent clairement sa religion.
Dans le cas d'un immigrant, ça se complique un peu si celui-ci, en changeant de
territoire se trouve à vivre dans une religion différente de sa religion
d'origine. Mais le problème peut vite disparaître s'il prête allégeance à la
religion de sa terre d'accueil par exemple, pour les Chrétiens, en se faisant
baptiser et en participant aux cérémonies religieuses. Il (ou elle) prend femme
(ou mari), les sangs se mélangent et la descendance sera Chrétienne. Il
s'intègre, dit-on. Pour le Juif, alors là, c'est vraiment le casse tête. Un
Juif, traditionnellement, n'a pas de nationalité territoriale. Si bien qu'avant
que l'État d'Israël ne soit créé, le Juif n'avait aucune nationalité
territoriale à laquelle s'identifier. De plus, étant une immense diaspora
dispersée partout à travers le monde, il y en avait de presque toutes les
nationalités. Seule sa foi religieuse pouvait l'identifier. Ce qui m'amène à la
question bizarre de comment les Nazis faisaient-ils pour les identifier? La foi
religieuse est quelque chose de si immatériel qu'il aurait été facile pour
ceux-ci (du moins théoriquement, j'imagine) d'éviter d'être persécutés
simplement en changeant d'allégeance religieuse (du moins, temporairement, en
attendant que les esprits se calment).
Toute la question juive se résume en la
question philosophique de l'identité « Qui
suis-je? ».
Le Juif, à mes yeux, n'est ni un conquérant
ni un citoyen. Il ne cherche pas à convertir[1] ou à imposer sa foi aux autres,
puisqu'il faut être fils de Juif pour le devenir. Il ne donne pas sa foi à
n'importe qui. Cette religion est léguée par héritage seulement. De plus, il ne
s'assimile pas, ni par la langue, ni par la culture, ni par la race. Et il est
bien placé pour ça puisqu'il n'a pas de pays ; « il cherche sa terre promise ».
Ici, il m'arrive une autre question :
mais comment diable peut-on devenir Juif?
Dans ce sens, ne
trouves-tu pas curieux que l'expérience personnelle que tu es en train de vivre
semble être une répétition de toute la problématique juive. N'es-tu pas un peu
comme le microcosme de l'histoire des Juifs qui se répète à travers toi? Dans
ce sens, je te vois comme un Juif dans l'âme. Mais si j'élargis un peu mon
regard, il me semble qu'essentiellement, on devient Juif dès qu'on devient
immigrant, quelle que soit notre allégeance religieuse. Je veux dire qu'à
chaque fois qu'une personne change de pays pour s'installer dans un autre,
c'est toute la problématique de l'intégration de l'immigrant qu'elle soulève.
Et cette problématique sera résolue lorsque ses enfants seront enracinés dans
le pays d'accueil. Sous ce regard, je comprends mieux les déchirements
historiques qu'ont vécu les Juifs à travers les siècles. Ils veulent rester
fidèles aux coutumes (de leurs pères) qui les font Juifs, coutumes auxquelles
ils s'identifient. Elles sont l'essence même de leur identité, de leur
appartenance. Par contre, ils sont souvent perçus comme des intrus dans le pays
d'accueil puisque cette façon de faire peut être vécue comme un rejet du pays
hôte. Un peu comme si l'invité sortait un repas de son sac, refusant de manger
la bouffe qu'on lui sert. Si la terre d'un pays fournit le gîte, la nourriture,
la langue et la culture, refuser de tout embrasser, c'est refuser d'en être
citoyen à part entière. Mais quand on est né ailleurs, est-ce possible
d'oublier complètement nos racines? Être immigré, c'est accepter de vivre sans
pays. J'avais une amie Française qui vivait au Canada depuis vingt ans et qui
avait toujours gardé un petit accent Français tout en employant tous les termes
québécois dans son parler. De telle sorte qu'en visite dans sa parenté du
Poitou, on l'appelait la Québécoise alors qu'à Montréal, on lui demandait
encore souvent de quelle région de la France venait-elle.
Le Canada est un pays merveilleux dans ce
sens, puisqu'il est composé d'une mosaïque culturelle[2] qui nous rappelle que nous sommes tous
Juifs dans l'âme à une génération ou l'autre de notre histoire. Depuis plus de
450 ans, tous les Canadiens (sauf les autochtones purs, et il y en a très peu
qui n'ont pas de sang « étranger » dans leur famille) ont dû être
confrontés avec le problème de l'émigration. La solution canadienne ne passe
pas par l'assimilation, mais par l'intégration au moyen d'une recherche
d'harmonie dans la diversité. Ici, dans notre histoire familiale personnelle,
nous avons tous dû confronter le problème de l'intégration dans un passé
relativement récent. Dans mon cas, du côté de ma mère, mon arrière grand-père
Jean Beyries, était un Français originaire des Landes (sud-ouest de la France).
Et du côté de mon père, le grand père du grand père de mon grand-père (8è
génération), James Brooks était un soldat Anglais qui avait bifurqué par la
Nouvelle Angleterre avant de s'en venir au Canada.
Bienvenu au club!
Autres aspects :
Savais-tu que, à moins d'être un réfugié
politique ou d'avoir, comme dans ton cas, de la parenté immédiate au pays, il
faut maintenant verser une somme d'argent considérable (j'ai ouï dire un
million de dollars) pour obtenir le privilège d'immigrer au Canada? Le Canada a
récemment été coté premier pays au monde pour ce qui a trait au niveau de vie
et cette cote a été établie en regard de nombreux facteurs comme le revenu
moyen par habitant, le niveau d'instruction, les soins de santé, la longévité,
entre autres.
Je suis heureux
d'apprendre par ta lettre, même si ce n'est pas encore très clair, que tu
considères venir habiter au Canada et ainsi te rendre disponible pour ta petite
famille.
[1] C'est peut-être ce qui explique la montée du Christianisme. Historiquement, la religion juive, de par son ancienneté, aurait dû devenir la plus répandue sur la terre s'ils avaient été conquérants.