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L'héritage inversé (2) [1]

par François Brooks

Autrefois, l'héritage des fortunes familiales se léguait de père en fils, aujourd'hui, depuis que l'État (du Québec) s'est approprié l'éducation, les soins de santé, le bien-être social etc. ... bref, le rôle paternel, l'héritage s'est transmuté en dette. Quel père bien intentionné laisserait des dettes à sa famille? Pourtant, il est généralement acquis que l'État puisse faire des dettes à ses enfants sans que ça produise de soulèvement social.

 

L'enfant vient au monde. Merveilleux! On en fait un roi. On se soumet à tous ses caprices (qu'est-ce que tu veux manger?) ; à la maison comme à l'école, on lui pose très peu d'exigences (ça ne fait rien quand tu écris si tu fais des fautes, ce qui est important, c'est de communiquer) ; on adule ses moindres niaiseries (quel beau dessin tu as fait!). Parqué devant une télévision-gardienne-d'enfants, on le conditionne sans douleur à devenir le consommateur que cette société attend de lui. On lui répétera inlassablement, images à l'appui que, pour être heureux, il lui faudra «économiser», ce qui, bien sûr, veut dire acheter, dépenser. Acheter tel ou telle voiture, bière, colorant capillaire etc. Même les transports publics et les salles de cours sont maintenant commandités (voir le nouveau HEC).

 

Au sortir du CEGEP ou du BAC, il est , dans sa vie, au moment du maximum de son pouvoir d'endettement. À 20 ans, un jeune moyennement scolarisé a, potentiellement, la capacité de s'endetter pour l'équivalent de tout ce qu'il pourra gagner dans sa vie de travailleur à venir. Et ça, les institutions prêteuses le savent très bien.

 

Avant même d'avoir acheté leur maison, j'ai vu un jeune couple de 25 ans dont le garçon avait déjà pour près de 30 000$ de dettes d'études, et dont le revenu net de son travail de chimiste n'était même pas de 400$ par semaine. Leurs priorités s'établissaient comme suit : faire rouler la voiture, payer les dettes, ƒ acheter une maison et avoir des enfants (ou au moins un). La voiture était en si piteux état qu'elle ne faisait que retarder la priorité #2. Avec de tels endettements, une projection optimiste pour ce couple reportait la mise au monde de leur premier enfant à peu près au moment où la fille ne sera presque plus en âge de se reproduire.

 

Comment pouvons-nous encore penser que nous vivons dans une société libre avec de tels déterminants?

 

La revue L'actualité du 1er avril 1999 titre en première page qu'il en coûtera 180 000$ à des parents pour mener leur premier enfant à l'âge adulte. Il y a fort à parier que les jeunes vont y penser deux fois avant de s'engager dans cette croisade de l'endettement.

 

La cerise sur le sundae est arrivée le mois dernier lorsque j'ai appris que l'assemblée nationale avait décrété que les étudiants ne pouvaient désormais plus se soustraire à leurs dettes d'études par la faillite. Cette loi me fait penser à la clause de certaines conventions collectives qui prévoit un salaire inférieur pour les jeunes arrivés dans la profession, tout en protégeant les acquis des aînés. Belle justice sociale! On créé des mesures bonificatrices pour tous qui, lorsque l'économie ne le permet plus, deviennent des privilèges pour certains.

 

L'héritage inversé, c'est la dette publique que devront supporter nos jeunes. Non seulement les parents ne leur laisseront que dalle, mais ils devront rembourser une dette de laquelle les aînés seuls auront profité. Et pour ajouter l'insulte à l'injure, ils hériteront d'une infrastructure désuète pour laquelle ils devront encore s'endetter à la rafistoler.

 

Le décrochage scolaire, le suicide chez les jeunes, le décrochage social, la dénatalité sont pour moi des indices qu'une telle arnaque ne peut continuer sans conséquences. Il est temps que les jeunes s'introduisent dans nos institutions politiques et donnent le coup de barre qui s'impose.

 



 

[1] Voir le premier texte : 970325 L'héritage inversé (1)