990421
par François Brooks
Autrefois, l'héritage des
fortunes familiales se léguait de père en fils, aujourd'hui, depuis que l'État
(du Québec) s'est approprié l'éducation, les soins de santé, le bien-être
social etc. ... bref, le rôle paternel, l'héritage s'est transmuté en dette. Quel
père bien intentionné laisserait des dettes à sa famille? Pourtant, il est
généralement acquis que l'État puisse faire des dettes à ses enfants sans que
ça produise de soulèvement social.
L'enfant vient au monde. Merveilleux! On
en fait un roi. On se soumet à tous ses caprices (qu'est-ce que tu veux
manger?) ; à la maison comme à l'école, on lui pose très peu d'exigences (ça ne
fait rien quand tu écris si tu fais des fautes, ce qui est important, c'est de
communiquer) ; on adule ses moindres niaiseries (quel beau dessin tu as fait!).
Parqué devant une télévision-gardienne-d'enfants, on le conditionne sans
douleur à devenir le consommateur que cette société attend de lui. On lui
répétera inlassablement, images à l'appui que, pour être heureux, il lui faudra
«économiser», ce qui, bien sûr, veut dire acheter, dépenser. Acheter tel
ou telle voiture, bière, colorant capillaire etc. Même les transports publics
et les salles de cours sont maintenant commandités (voir le nouveau HEC).
Au sortir du CEGEP ou du BAC, il est ,
dans sa vie, au moment du maximum de son pouvoir d'endettement. À 20 ans, un jeune
moyennement scolarisé a, potentiellement, la capacité de s'endetter pour
l'équivalent de tout ce qu'il pourra gagner dans sa vie de travailleur à venir.
Et ça, les institutions prêteuses le savent très bien.
Avant même d'avoir acheté leur maison, j'ai
vu un jeune couple de 25 ans dont le garçon avait déjà pour près de 30 000$ de
dettes d'études, et dont le revenu net de son travail de chimiste n'était même
pas de 400$ par semaine. Leurs priorités s'établissaient comme suit :
faire rouler la voiture, ‚ payer les dettes, ƒ
acheter une maison et „ avoir des enfants (ou au moins un). La
voiture était en si piteux état qu'elle ne faisait que retarder la priorité #2.
Avec de tels endettements, une projection optimiste pour ce couple reportait la
mise au monde de leur premier enfant à peu près au moment où la fille ne sera
presque plus en âge de se reproduire.
Comment pouvons-nous encore penser que
nous vivons dans une société libre avec de tels déterminants?
La revue L'actualité du 1er avril 1999 titre en première page qu'il en
coûtera 180 000$ à des parents pour mener leur premier enfant à l'âge adulte.
Il y a fort à parier que les jeunes vont y penser deux fois avant de s'engager
dans cette croisade de l'endettement.
La cerise sur le sundae est arrivée le
mois dernier lorsque j'ai appris que l'assemblée nationale avait décrété que
les étudiants ne pouvaient désormais plus se soustraire à leurs dettes d'études
par la faillite. Cette loi me fait penser à la clause de certaines conventions
collectives qui prévoit un salaire inférieur pour les jeunes arrivés dans la
profession, tout en protégeant les acquis des aînés. Belle justice sociale! On
créé des mesures bonificatrices pour tous qui, lorsque l'économie ne le permet
plus, deviennent des privilèges pour certains.
L'héritage inversé, c'est la dette
publique que devront supporter nos jeunes. Non seulement les parents ne leur
laisseront que dalle, mais ils devront rembourser une dette de laquelle les
aînés seuls auront profité. Et pour ajouter l'insulte à l'injure, ils
hériteront d'une infrastructure désuète pour laquelle ils devront encore
s'endetter à la rafistoler.
Le décrochage scolaire, le
suicide chez les jeunes, le décrochage social, la dénatalité sont pour moi des
indices qu'une telle arnaque ne peut continuer sans conséquences. Il est temps
que les jeunes s'introduisent dans nos institutions politiques et donnent le
coup de barre qui s'impose.