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Snake alley

par François Brooks

Dans la cohue d'une petite rue piétonnière de Taipei, Snake Alley (Ruelle du Serpent), il y avait tellement de monde que la foule avait peine à ne pas se toucher. Nos timides ventes de garage à Montréal font piètre figure à côté de cette ruelle commerciale où la marchandise abonde mur à mur. Ici, un étale de t-shirts, là un autre de jouets, de bijoux en toc, plus loin un petit fast food, un marchand de chaussures, un autre de ballons, au milieu un vendeur à la criée debout sur une caisse à lait, encore plus loin un diseur de bonne aventure. Le clou de cette foire mercantile, c'est une gargote qui a pour spectacle la mise à mort de serpents qu'on étrangle avant de les saigner et de les cuire pour les servir en soupe. On recueille le sang auquel sans on ajoute un alcool très fort le tout vendu comme puissant aphrodisiaque. Tout le monde cherche à vendre et à acheter quelque menue marchandise, et cela sur une longueur de plus de deux kilomètres. Il y avait tellement de marchands que j'avais perdu le goût d'acheter quoi que ce soit. Tant à vendre me paraissait si dérisoire.

 

Quelle ne fût pas ma surprise de découvrir au beau milieu de cette cohue une moniale bouddhiste au crâne rasé habillée d'une tunique brune, se tenant debout, le visage serein, une écuelle à la main! Tous les autres marchands cachaient leur besoin d'argent sous la fausse prétention de subvenir à un quelconque de nos besoins. Ils voulaient tous faire notre bonheur avec leurs pacotilles. Elle contrastait véritablement avec ces derniers ; elle ne cachait nullement son besoin d'argent. Elle n'avait rien à vendre. Elle ne donnait que sa présence, sa sérénité et son sourire gratuitement à tous indifféremment. C'est la seule qui a réussi, en cet endroit, à me faire sortir un peu d'argent de ma poche. En me remerciant, elle m'a adressé un regard qui m'a touché. Il m'a semblé qu'elle apportait quelque chose de si précieux en ce lieu fascinant et infernal.