990201
par François Brooks
Dans la cohue d'une petite
rue piétonnière de Taipei, Snake Alley (Ruelle du Serpent), il y avait
tellement de monde que la foule avait peine à ne pas se toucher. Nos timides ventes
de garage à Montréal font piètre figure à côté de cette ruelle commerciale où
la marchandise abonde mur à mur. Ici, un étale de t-shirts, là un autre de
jouets, de bijoux en toc, plus loin un petit fast food, un marchand de
chaussures, un autre de ballons, au milieu un vendeur à la criée debout sur une
caisse à lait, encore plus loin un diseur de bonne aventure. Le clou de cette
foire mercantile, c'est une gargote qui a pour spectacle la mise à mort de
serpents qu'on étrangle avant de les saigner et de les cuire pour les servir en
soupe. On recueille le sang auquel sans on ajoute un alcool très fort le tout
vendu comme puissant aphrodisiaque. Tout le monde cherche à vendre et à acheter
quelque menue marchandise, et cela sur une longueur de plus de deux kilomètres.
Il y avait tellement de marchands que j'avais perdu le goût d'acheter quoi que
ce soit. Tant à vendre me paraissait si dérisoire.
Quelle ne fût pas ma
surprise de découvrir au beau milieu de cette cohue une moniale bouddhiste au
crâne rasé habillée d'une tunique brune, se tenant debout, le visage serein,
une écuelle à la main! Tous les autres marchands cachaient leur besoin d'argent
sous la fausse prétention de subvenir à un quelconque de nos besoins. Ils
voulaient tous faire notre bonheur avec leurs pacotilles. Elle contrastait
véritablement avec ces derniers ; elle ne cachait nullement son besoin
d'argent. Elle n'avait rien à vendre. Elle ne donnait que sa présence, sa
sérénité et son sourire gratuitement à tous indifféremment. C'est la seule qui
a réussi, en cet endroit, à me faire sortir un peu d'argent de ma poche. En me
remerciant, elle m'a adressé un regard qui m'a touché. Il m'a semblé qu'elle
apportait quelque chose de si précieux en ce lieu fascinant et infernal.