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Notre culte moderne

par François Brooks

Notre société moderne entretient le culte de la nouveauté. Si on a déjà vu un film, il n'a plus d'intérêt, un livre déjà lu non plus. Pourtant, il n'y a pas si longtemps, on prenait plaisir à relire le même livre, la bible, une vie durant. Dans les cérémonies religieuses, on répétait les mêmes prières et les mêmes gestes pour sacraliser le moment présent. Aujourd'hui, avec le culte du nouveau, de la consommation, plus rien n'est sacré. Tout ce que l'on fait est éphémère ; ça n'a donc plus de valeur. Si peu de valeur que l'on cherche à en faire le plus possible ; peut-être pour se faire croire que la quantité comblera le vide de l'éphémère[1]. Voilà ici un nouveau paradoxe : ce que l'on fait devrait avoir davantage de valeur, puisque, événement unique, nous ne le répéterons plus. Pourtant, la valeur d'une chose apparaît véritablement dans sa durée : un meuble centenaire a évidemment plus de valeur qu'un meuble récent fabriqué en aggloméré et qui se décomposera dans peu de temps.

 

Pendant mon voyage à Taïwan, j'avais acheté une cassette dans un temple bouddhiste. La moniale m'en avait fait écouter un petit bout avant que je l'achète. La musique était agréable. De retour à Montréal, j'ai été surpris de constater qu'on avait enregistré vingt fois la même chanson sur les deux côtés de la cassette. Je l'ai pourtant écoutée en essayant de comprendre. Pour notre culture, écouter vingt fois la même chanson, ça n'a pas de sens ; mais pour une moniale bouddhiste, c'est écouter toujours une chanson différente qui n'a pas de sens.

 

Une prière répétée cent fois, c'est comme les pas d'un marathon. Chaque fois, le geste s'incruste dans notre présence et y dépose doucement toute sa valeur. Voilà la valeur de la répétition : le sacré s'installe. On devient ce que l'on fait.

 



 

[1] Camus, dans Le mythe de Sisyphe, disait «... la croyance à l'absurde revient à remplacer la qualité des expériences par la quantité.».