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(le Dieu du futur, le bon Dieu)
par François Brooks
J'ai un ami en qui j'ai
confiance. L'expérience m'a démontré que je pouvais compter sur lui. Cette
confiance relève plutôt de l'opinion que j'ai de lui suite à l'expérience de
notre relation. Elle se base sur une constatation empirique, non sur la foi.
Je n'ai jamais vu Dieu et, en aucun cas,
je ne peux avoir la certitude empirique de son existence. C'est pourquoi, il me
faut avoir foi en Dieu pour qu'il existe. La foi ne relève pas de l'expérience
mais plutôt de l'engagement, de la volonté. L'expérience empirique vécue (dans
le passé) m'apporte la certitude que, si je reproduis à peu près les mêmes
gestes dans certaines circonstances, il va se reproduire à peu près les mêmes
événements. Ceci relève du déterminisme. Par contre, par la foi je m'engage
(dans l'avenir) à faire exister ce en quoi je veux croire. Dieu est
‘inexpérimentable' puisqu'il relève du domaine de l'esprit. (Peut-on faire
l'expérience de Dieu autrement que spirituellement?) Si je veux qu'il existe,
par ma foi, il me faut m'engager à le créer. Cette « créature »
spirituelle sera dotée des valeurs, des attributs en lesquels j'ai foi. Si je
crois en un Dieu bon, ma foi m'engage à agir de telle sorte que cette bonté se
manifeste. Ainsi, par ma bonté, j'aurai l'impression de créer des traces qui pourront permettre de penser
que Dieu est passé à travers mes actions. Par ma foi, je m'engage, en quelque
sorte, à faire exister Dieu, à faire apparaître ses traces. Par ma foi, je peux
m'engager à faire exister toutes sortes de choses, pas seulement Dieu.
L'opinion relève du passé, la foi, de
l'avenir ; tout comme l'Histoire relève
du passé, Dieu relève de l'avenir. (L'Histoire est à la religion ce que le
futurologue est aux prophètes.) Ma position personnelle est présente, actuelle,
humaine. Ma volonté présente de faire exister Dieu, le paradis et toutes les
plus belles choses en lesquelles j'ai foi, se trouve conditionnée par les
événements qui m'ont fait devenir ce que je suis : un être humain limité.
Ma volonté ne peut rien sur le passé ; ce dernier est ma certitude, ma
mémoire ; mais ma volonté a du pouvoir sur l'avenir. Par ma foi, ma volonté, je
peux m'engager à essayer (je dis essayer
pour ne pas trop m'en vouloir si j'échoue) de faire apparaître ce que j'estime
être le bien, le beau, le bon. Tout mon passé me détermine ; je suis ce que je
suis et je n'y peux rien. Alors, ma seule liberté est dans l'avenir. Je peux
maintenant choisir d'engager ma foi et tenter de faire surgir les valeurs que
j'estime le plus. Quel sera mon engagement? Dans quoi suis-je engagé? Quelle
est ma foi?
* * *
J'utilise le terme Dieu, ici, un peu comme le mathématicien
utilise la variable x dans ses
équations. Dieu c'est bien ce que l'on veut. Bien entendu, ce terme a mauvaise
réputation aujourd'hui ; il a tellement été galvaudé. Dans mon enfance, on
voulait qu'il soit systématiquement rattaché à des valeurs platoniciennes (le
beau, le bon, le bien). Ces ‘belles' valeurs se sont inversées lorsqu'en son
nom, j'ai appris qu'on avait parfois produit les pires guerres et infamies.
J'utilise ce terme parce qu'il fait partie de ma curiosité, de ma recherche.
Oui, je cherche Dieu, bêtement, tout en sachant que je ne le trouverai jamais[1]. Cette quête m'anime comme une
obsession. Je veux comprendre. Il est impossible qu'un être, même aussi fictif
que Dieu n'ait pas d'importance. Ce serait penser que tous ceux qui sont animés
par cette foi en Dieu sont des être négligeables. Dans tous ces gens, il y a
des génies que je dois respecter et tenter de comprendre ; c'est dans mon
intérêt puisque je vaux moins qu'eux. Je veux dire : je n'ai pas leur
génie (je pense entre autres à René Descartes).