980910
par François Brooks
Si le Christ – en autant qu'il ait déjà
existé – a vraiment dit sur la croix : «Père, pardonne-leur, car ils ne savent
ce qu'ils font.»[1], alors, c'est lui qui serait à la source
du concept d'inconscient et non pas Freud. Dire que des gens font
quelque chose sans “savoir ce qu'ils font”, n'est-ce pas être conscient de la portée inconsciente
du geste de ceux-ci?
Si le subconscient existait véritablement,
est-ce que nous le saurions? N'est-ce pas le propre de l'inconscient d'être
inconnu? Sinon il serait aussitôt connu, donc conscient. Il est notable que ce
qui est inconscient chez l'autre, et vu comme tel par un observateur extérieur,
est précisément l'observation consciente de ce dernier. Ainsi, les autres
seraient donc notre conscience et nous serions la leur.[2] Est-ce à dire que notre subconscient ne
peut se manifester que par la conscience de quelqu'un d'autre (?), et donc, que
notre inconscient n'existerait pas véritablement sinon que par le point de vue de chacun sur les autres. Mais le point
de vue de l'autre sur moi n'est jamais qu'une interprétation d'une réalité qui
lui appartient.
Ainsi, je pourrais donc affirmer que
l'inconscient (ou le subconscient) n'existe pas. C'est une invention de
monsieur Freud pour nous mystifier sur ce qui était tout simplement sa propre
vision des autres, en l'occurrence, de ses “patients” desquels, par cette
mystification, il pouvait empocher un confortable salaire. Tout comme monsieur
Adler[3] interprète la “névrosée”[4] comme une manipulatrice inconsciente qui
manœuvre en vue d'exercer le pouvoir d'être aimée, j'estime que M. Freud
manœuvrait de la même manière pour aller chercher un salaire en mystifiant ses
“patients”. Cette mystification ne peut-elle pas se comparer à celle des
guérisseurs qui nous vendaient jadis en flacon des soi-disant élixirs de longue
vie? N'est-il pas curieux de constater que le gros de la clientèle de ces
médecins du “subconscient” était recrutée auprès d'une bourgeoisie bien nantie.
Dans tous les cas de médecine obscure, je ne peux m'empêcher de penser au Docteur Knock de Jules Romains[5] qui disait que «Tout être bien portant
est un malade qui s'ignore». Ce n'est pas «du haut de ma vertu»[6] que j'affirme que l'inconscient n'existe
pas puisque je sais très bien qu'il existe en moi un sinistre et effroyable
côté obscur qui complémente mon bon côté. J'affirme simplement qu'il est
impossible de parler du subconscient puisque le fait même d'en parler c'est
qu'on parle de quelque chose dont on est conscient. «Ce dont on ne peut parler,
il faut le taire.»[7]
*
* *
La nature de la conscience humaine a ceci
de particulier qu'elle ne peut porter son attention que sur une seule chose à
la fois. Il y a tant d'éléments qui composent notre existence qu'il est
impossible d'être conscient ou attentif à tous ces éléments en même temps.
Notre attention va donc voltiger d'un aspect à l'autre de notre existence selon
que les moments successifs de notre vie vont attirer notre attention à ceci ou
à cela. Et si notre attention est pleinement sollicitée à chaque moment de la
journée, il va nécessairement y avoir des aspects de notre existence qui vont
nous échapper. Est-ce qu'on doit parler dans ce cas-ci d'aspects inconscients?
J'en doute.
Lorsque
j'ai commencé à exercer les fonctions de mon métier, mon attention était
sollicitée à chaque instant. Je devais réfléchir activement sur chacun des
gestes que je posais dans le but d'être le plus efficace possible. À mesure que
les mois passaient, mes gestes professionnels sont devenus des automatismes.
Bientôt, sans même y penser, j'exécutais mes tâches correctement, sans m'en
apercevoir. Puis-je pour autant dire que je travaille maintenant
“inconsciemment”? C'est la même chose pour un pianiste qui donne son récital.
Par la pratique, il est arrivé à maîtriser ses partitions de telle sorte qu'il
a intégré une foule d'automatismes : sa façon de s'asseoir au piano, la
position de ses mains sur le clavier, l'enchaînement des notes au bout de ses
doigts, la coordination de ses deux mains et de ses pieds sur les pédales, la
lecture de la partition, etc. , tout ça, il l'a intégré d'autant mieux qu'il
est un bon pianiste. Doit-on dire alors que le meilleur des pianistes est le
plus inconscients des pianistes? Pourtant, sur scène, pendant son récital, les
critiques ne manqueront pas d'observer sa “présence” d'interprétation, celle-ci
étant la manifestation imminente et immédiate de sa conscience.
Ce que l'on appelle la conscience est
composé de plusieurs aspects dont l'attention, la présence, les automatismes,
la mémoire, les impressions, les sensations et la sensibilité. (J'en oublie
peut-être.) Parler de l'inconscient, c'est un peu comme, à la fin d'une
rencontre amicale, se reprocher d'avoir “oublié” de parler de tel ou tel sujet
pertinent alors qu'on n'a pas cessé de parler une seule minute de toute la
soirée. Notre attention a été totale et nous n'avons rien oublié. Nous
regrettons seulement que la rencontre soit terminée parce que celle-ci fut bien
remplie (agréable, captivante) et, si ça avait été possible, nous aurions pu la
rallonger par les nouveaux sujets qui nous viennent à l'esprit et que nous
qualifions à tort d' “oubli”. De même, on parle trop souvent de l'inconscient
de façon obscure, et pour cette raison je préfère croire que celui-ci n'existe
pas parce que la nature de notre conscience est de focaliser une seule chose à
la fois et que parler de l'inconscient, c'est un peu comme essayer d'inverser
notre attention pour parler de tout ce dont celle-ci s'est détournée (la
pauvre!) pendant qu'elle était occupée à se concentrer ailleurs ; c'est essayer
de parler de tout, moins une chose et ça, c'est impossible sinon que c'est
encore focaliser notre attention sur une seule chose : l'inconscient.
Il me semble que la
conscience (focalisée), c'est un peu comme la lumière et ses couleurs en
physique. Si toutes les couleurs sont présentes, la lumière apparaîtra blanche
à nos yeux. Dès qu'il en manque
une, bizarrement, c'est celle-ci seule,
la manquante, que l'on voit. C'est comme si nos yeux avaient été conçus pour ne
voir que la couleur absente ou le blanc. De la même manière, lorsque notre
conscience focalise son attention sur un aspect de la réalité, tous les autres
deviennent inconscients. La “vision” de notre pensée n'aurait-elle pas quelque
analogie avec celle de nos yeux? Je suis peut-être ici, par l'absurde,
(inconsciemment) en train de démontrer la conscience de l'inconscient. Je
m'explique. Depuis des pages, j'affirme que l'inconscient n'existe pas ; ceci a
eu pour effet de focaliser, à vous et à moi, notre conscience sur
l'inconscient. Voila donc peut-être sa réelle façon d'exister. «À force d'en
parler, le néant, vraiment, finit par avoir une consistance»[8] Cette citation de Léo Ferré est comme
l'aphorisme de Wittgenstein cité plus haut vu par l'autre bout de la lorgnette.
[2] «On réagit, donc j'existe» serait ainsi une affirmation plus appropriée que le cogito de Descartes.
[4] Avez-vous remarqué comme, de nos jours, la névrose est presque disparu des diagnostiques psychiatriques? Serait-elle disparue ou simplement passée de mode?
[7] Wittgenstein, 7è et dernière thèse centrale du Tractatus logico-philosophicus