980628
par François Brooks
En achetant quelqu'objet
de consommation, j'ai tendance à penser que je me livre à une activité banale,
sinon méprisable, tout au moins inutile, sauf en ce qui concerne les achats qui
pourvoient à mes besoins fondamentaux. De plus, avec ma « conscience
écologique grandissante », je me demande toujours un peu si je ne suis pas
en train de nuire à la Planète. Bien sûr, en dépensant mon argent, je fais
« rouler l'économie.» Ceci profite à tout le monde et à moi-même en bout
de ligne ; mais n'y aurait-il pas d'autres aspects à considérer dans cet
échange d'argent contre un bien matériel?
Mes achats me procurent peut-être quelque
chose de plus. Si je considère le fait qu'un autre être humain ait mis du temps
de sa vie à produire l'article (ou le service) que j'achète, ne puis-je pas
penser que, par ce geste mercantile, nous échangeons bien plus que de la simple
marchandise? Nous échangeons nos êtres. L'argent que je donne, c'est du temps
de ma vie que j'ai vendu et transformé en valeur symbolique : l'argent. La
marchandise que j'obtiens en échange est la concrétisation matérielle des
esprits qui ont accordé leur volonté à faire naître un objet dans le monde
concret. Quand j'achète, j'achète de l'être[1].
Mais un autre aspect doit être considéré.
Lorsque j'achète une babiole colorée dans un magasin de toc, un objet dont je
n'ai véritablement pas besoin, ne suis-je pas en train de demander par mon
geste une petite relation d'amour anonyme à la personne qui l'a fabriqué? Si ce
petit objet d'art inutile contient des attraits, ne sont-ils pas, en réalité,
une projection de la beauté intérieure des gens qui l'ont conçu? Si je veux
l'avoir pour moi, c'est que je veux me donner cette beauté comme un je t'aime ; je veux imaginer qu'on
a déposé un « je t'aime » que je n'ai qu'à cueillir en achetant cet
objet. Consommer, c'est aussi décider de se faire dire je t'aime.
La société de consommation
peut alors vue comme une société romantique où l'on ne cesse de se dire je
t'aime et d'échanger nos êtres ;
chaque objet étant le témoin de nos êtres
en relation d'amour.