980616
par François Brooks
«L'enfer, c'est les Autres» disait
Sartre. «Ma liberté s'arrête où commence la liberté de l'autre» dit l'adage.
Mais dans l'optique du contrat
social, n'est-ce pas tout le
contraire? Ne serait-ce qu'en petite communauté autarcique (par exemple, une
famille au temps de la colonisation), le travail à faire pour subvenir aux
besoins fondamentaux est si grand, que chacun des membres doit participer dès
son plus jeune âge aux tâches nécessaires à la survie du groupe. Mais dans une
telle situation, la vie solitaire serait encore plus laborieuse, presque
impossible. Il n'y a qu'à penser à toutes les taches nécessaires à la survie
d'un homme : chercher l'eau au puits, construire et entretenir la maison, chasser,
cultiver, cuisiner, fabriquer et entretenir les vêtements, les outils, les
meubles, le moyen de transport etc. Un homme qui voudrait vivre seul devrait
assumer toutes ces tâches seul. Autant dire qu'il n'aurait aucun temps libre,
aucune liberté. Tout son temps serait consacré à suppléer à ses propres
besoins. La nécessité lui dicterait ses actes.
La liberté de l'individu augmente déjà
s'il fait partie d'une famille où il y a un partage des tâches et où chacun
accepte de prendre à sa charge une corvée répondant à un besoin fondamental qui
profite à tous les autres membres de la famille. C'est le début de la
spécialisation. Chacun excelle dans sa tâche et produit plus rapidement pour
toute la famille que s'il devait accomplir seul toutes les tâches nécessaires à
sa survie.
Dans le contrat social où nous vivons actuellement, la
spécialisation est poussée à un point tel, qu'avec l'industrialisation, un seul
homme peut prendre à sa charge le travail pour plusieurs milliers d'hommes de
telle sorte que, non seulement la semaine de travail est considérablement
réduite mais, en plus de disposer de biens de luxe, il n'est même plus
nécessaire que tout le monde travaille. Ceci créé un autre problème que je ne
veux pas débattre pour le moment. En seulement, du point de vue de la liberté
et du temps libre disponible, ne suis-je pas obligé de reconnaître que l'adage
cache une partie de la vérité? Sous cette perspective, c'est par l'autre que ma
liberté s'accroît et, loin de la limiter, l'autre extensionne celle-ci. Même en
vivant seul, le fait que je puisse disposer d'autant de temps libre est une
manifestation de la présence des autres dans ma vie ; ces autres m'apportent la
liberté. Savoir la gérer est un autre problème.