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Débat et compréhension

par François Brooks

Il arrive souvent que l'on ne soit pas d'accord avec ce qu'un philosophe pense, ou quelqu'un d'autre, ou même soi-même. Évidemment, notre position personnelle reste, pour nous, la plus importante. À ces moments-là, je m'attarde à comprendre les raisons de mon interlocuteur, quitte à me faire violence et à imiter son attitude mentale. Ça me permet de m'approcher de lui et de le comprendre. Ça ne m'oblige en rien à changer ma propre façon de voir les choses ; bien au contraire, par cette attitude je suis enrichi d'un point de vue supplémentaire.

 

Bien entendu, ceci ne s'applique pas aux nombreuses balivernes qui nous sont dites au jour le jour et qui sont le plus souvent le propos commun ou celui d'un mauvais joueur qui ne pense pas un mot de ce qu'il dit mais qui ne cherche qu'à provoquer notre réaction. À ceux-là, je réponds sur le même registre, ils pensent avoir été entendus et ça tue la discussion. Mais si un philosophe ou quelqu'un d'autre a passé toute une vie à élaborer une façon de penser, ne vaut-il pas la peine que je prenne quelques minutes pour comprendre son expérience? Suis-je si puriste que je sente mon esprit souillé simplement à comprendre une façon de penser qui n'est pas la mienne? Ne nous sommes-nous pas débarrassés de cette attitude antique qui consistait à refuser de lire un texte que nous n'avions pas pensé nous-mêmes?

 

Dans L'étonnement philosophique (p.440), Jeanne Hersch nous rappelle que «pour comprendre les philosophes, il faut s'efforcer de mimer leur attitude intellectuelle. Il faut consentir à penser avec eux en leur “prêtant” notre propre liberté. Si cette liberté s'y refuse, on ne les comprendra jamais». D'ailleurs, cet exercice n'est-il pas le meilleur moyen de clarifier notre propre pensée et de susciter en nous des questions pertinentes propres à ébranler les arguments d'un adversaire lors d'un débat? L'ennui c'est que j'aime tellement débattre que j'oublie parfois que je dois comprendre d'abord pour pouvoir débattre ensuite. Aurais-je peur de comprendre et ainsi perdre mon désir de débattre?