Je pense toujours, tant pis pour les arbres 

 

François Brooks

1998-05-08

Essais personnels

 

Chinoises à vendre [1]

 

Quand j'étais petit, on nous avait appris que l'être humain, n'étant plus un esclave nulle part sur terre, on ne pouvait plus, comme au temps des barbares — les Romains, les Grecs, ou, plus près de nous, les Américains au temps de la colonisation — acheter une personne pour en faire ce qu'on veut. On m'avait appris que la liberté est le bien le plus précieux et que, devant Dieu qui nous veut tous libres, il serait immoral d'acheter une personne humaine.

Cette morale, je l'avais comprise et adoptée. Par la suite, j'ai toujours vécu sans y penser puisqu'elle n'a jamais été bousculée, jusqu'au jour où j'ai commencé à croiser dans la rue des « mamans » caucasiennes poussant le carrosse contenant un bébé à l'adorable petit minois de Chinoise. Mes yeux, comme pour vérifier l'erreur, allaient deux ou trois fois du bébé à la mère pour m'assurer que je n'avais pas la berlue. Bon, ça me faisait drôle, mais tout le monde a le droit d'adopter un enfant dont la mère ne veut plus. N'est-ce pas louable de se dévouer à éduquer un orphelin ? Ma conscience en était quitte pour son étonnement.

Plus tard, j'ai appris par une émission télévisée que cette forme d'adoption est loin d'être gratuite ; pire encore, on peut l'hypothéquer. Moyennant la modique somme de 18 000 $ vous pouvez acheter une petite Chinoise et la Caisse Populaire Desjardins va même vous financer au besoin. On se donne bonne conscience en disant que l'argent ne paye pas l'achat du bébé, mais seulement les frais inhérents à l'adoption, à savoir, le transport [2] et un don « calculé » pour l'orphelinat en Chine. C'est comme si on vous donnait un diamant, mais que vous ayez à payer un montant forfaitaire « considérable » pour l'emballage le transport et les frais de manutention.

Connaissant le coût de la vie en Chine, ce montant de 18 000 $, s'il était donné par générosité, suffirait largement pour nourrir la mère et son enfant jusqu'à la majorité sans devoir les séparer. Nommez-moi une mère qui mène à terme sa grossesse et consentirait à se séparer de son bébé sans être dans la misère et le besoin.

La grandeur d'âme de ces Québécois-es stériles qui viennent en « aide » à de « pauvres » petites Chinoises « orphelines », leur apporte des avantages si importants que personne n'est dupe et en tout cas pas moi. Oui j'avoue, je paierais cher pour m'attacher le magnifique sourire d'une adorable petite Chinoise et pour qu'elle soit ma fille. Mais je ne pourrais pas vivre sans un sentiment de honte d'avoir profité de ce sourire parce que j'avais l'argent pour l'acheter, et ainsi pouvoir m'approprier ce que sa mère n'avait pas les moyens de garder.

[1] Lire les réactions de Mme Marilyse Viens et celle de Mme Nathalie Destexhe. Lire aussi le texte du Dr Jean-François Chicoine : Et le bébé chinois ? qui apporte des nuances contextuelles indispensables. La Chine évolue : depuis le 1er mai 2007, la Chine a restreint l'adoption.

[2] À ce que je sache le prix d'un billet d'avion pour un bébé est nul.

Philo5
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