980417
par François Brooks
Mes lectures alimentent mes réflexions. Lorsque
j'en parle, je sais que les idées qui m'animent ne viennent pas de moi. Je suis
coincé dans le dilemme de la prétention. Si je décide de citer mes sources, je
n'en finis plus d'énoncer le nom des auteurs qui m'influencent et je me sens
prétentieux. Si, au contraire, je décide de taire les origines de mes pensées,
j'ai l'impression d'usurper le raisonnement des auteurs de mes lectures, et je
me sens encore plus prétentieux.
Aurai-je un jour la sagesse de simplement
me taire? Mais j'éprouve une telle passion pour toutes ces idées que je suis
sans cesse enthousiasmé d'en parler.
* * *
Henri Laborit dit que tout
ce que nous sommes vient des autres[1]. Avec cette perspective, la propriété
intellectuelle serait de la foutaise. Si tout ce que je pense me vient des
autres, comment pourrais-je prétendre avoir des droits d'auteur sur ce que
j'écris? De même, comment pourrais-je fidèlement citer toutes mes sources,
puisque nombre d'entre elles sont des idées qui me viennent de l'inconscient,
des choses que j'ai apprises il y a parfois longtemps mais dont je n'ai même
plus souvenance de qui je les tiens?
[1] « [...]ce qui pénètre dans notre système nerveux depuis la naissance,
et peut-être avant in utero, les
stimulus qui vont pénétrer dans notre système nerveux nous viennent
essentiellement des autres. Nous ne sommes que les autres. Quand nous mourons,
c'est les autres que nous avons intériorisés dans notre système nerveux, qui
nous ont construits, qui ont construit notre cerveau, qui l'ont rempli, qui
vont mourir. »
Tiré de la narration de Henri Laborit dans
le film Mon
oncle d'Amérique, de Alain Resnais © 1980