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La propriété et l'existence

par François Brooks

Posséder quelque chose en propre, c'est non seulement en avoir l'usage exclusif, mais aussi être le seul à savoir que cette chose existe. Cette possession exige que personne d'autre ne puisse voir la chose que je possède. Cette chose n'existe que par moi puisque, étant le seul à la connaître et l'utiliser, c'est par moi seul que cette chose existe. Exemple : Le visage voilé de la femme musulmane n'existe que pour l'homme qui la possède puisque personne d'autre  ne peut la voir. Autre exemple : Le sexe de ma blonde m'appartient en propre tout comme le mien lui appartient aussi en propre puisque nous ne les dévoilons qu'en présence exclusive l'un de l'autre.

 

Si voir quelque chose, c'est en quelque sorte posséder cette chose, être vu, être perçu, c'est être amené à l'existence. Ça m'amène à penser que l'artiste, le journaliste ou le politicien sont mille fois plus réels que moi puisqu'ils sont vus et entendus par des milliers de personnes chaque jour, alors que je ne rencontre tout au plus qu'une poignée de personnes chaque semaine. Dans cette perspective, je comprends l'envie que suscitent parfois ces personnes publiques qui appartiennent aux autres, mais qui sont mille fois plus réelles que moi.

 

À l'opposé, l'ermite vivant seul dans sa caverne n'a que lui-même pour vérifier sa propre existence. Son existence est presque nulle. Un autre extrême serait Dieu qui, étant connu de tous est l'être ayant le maximum d'existence ; mais il est aussi totalement dépossédé de lui-même puisqu'il n'existe que dans l'esprit des autres.

 

* * *

Mon chez-moi

 

Je possède un terrain tout autour de ma maison sur lequel tout ce qui bouge peut circuler. Il n'est pas clôturé mais parfois j'en aurais envie. Je voudrais en prendre possession, être le seul à pouvoir y accéder, le seul à pouvoir le modifier. Ainsi, ce terrain aménagé par moi me ressemblerait et je pourrais me reconnaître en lui et non reconnaître tous mes voisins, chiens et chats qui y laissent leurs déchets et déjections. À la limite, je voudrais le barricader pour être le seul à le voir, pour qu'il n'existe que pour moi. Je voudrais le posséder.

 

Mais, comme j'oublie toutes les choses que je possède réellement, peut-être est-ce que je veux tout simplement oublier ce terrain qui n'est, somme toute, qu'une zone tampon entre mes voisins et moi pour m'assurer la paix chez-moi, à l'intérieur de ma maison, mon chez-moi que très peu de personnes ont vu et que j'aurais l'impression de perdre si jamais quelqu'un y entrait par effraction.