980415
par François Brooks
Posséder quelque chose en
propre, c'est non seulement en avoir l'usage exclusif, mais aussi être le seul
à savoir que cette chose existe. Cette possession exige que personne d'autre ne
puisse voir la chose que je possède. Cette chose n'existe que par moi puisque,
étant le seul à la connaître et l'utiliser, c'est par moi seul que cette chose
existe. Exemple : Le visage voilé de la femme musulmane n'existe que pour
l'homme qui la possède puisque personne d'autre ne peut la voir. Autre exemple : Le sexe de ma blonde
m'appartient en propre tout comme le mien lui appartient aussi en propre
puisque nous ne les dévoilons qu'en présence exclusive l'un de l'autre.
Si voir quelque chose, c'est en quelque
sorte posséder cette chose, être vu, être perçu, c'est être amené à
l'existence. Ça m'amène à penser que l'artiste, le journaliste ou le politicien
sont mille fois plus réels que moi puisqu'ils sont vus et entendus par des
milliers de personnes chaque jour, alors que je ne rencontre tout au plus
qu'une poignée de personnes chaque semaine. Dans cette perspective, je
comprends l'envie que suscitent parfois ces personnes publiques qui
appartiennent aux autres, mais qui sont mille fois plus réelles que moi.
À l'opposé, l'ermite vivant seul dans sa
caverne n'a que lui-même pour vérifier sa propre existence. Son existence est
presque nulle. Un autre extrême serait Dieu qui, étant connu de tous est l'être
ayant le maximum d'existence ; mais il est aussi totalement dépossédé de
lui-même puisqu'il n'existe que dans l'esprit des autres.
* * *
Je possède un terrain tout autour de ma
maison sur lequel tout ce qui bouge peut circuler. Il n'est pas clôturé mais
parfois j'en aurais envie. Je voudrais en prendre possession, être le seul à pouvoir
y accéder, le seul à pouvoir le modifier. Ainsi, ce terrain aménagé par moi me
ressemblerait et je pourrais me reconnaître en lui et non reconnaître tous mes
voisins, chiens et chats qui y laissent leurs déchets et déjections. À la
limite, je voudrais le barricader pour être le seul à le voir, pour qu'il
n'existe que pour moi. Je voudrais le posséder.
Mais, comme j'oublie
toutes les choses que je possède réellement, peut-être est-ce que je veux tout
simplement oublier ce terrain qui n'est, somme toute, qu'une zone tampon entre
mes voisins et moi pour m'assurer la paix chez-moi, à l'intérieur de ma maison,
mon chez-moi que très peu de personnes ont vu et que j'aurais l'impression de
perdre si jamais quelqu'un y entrait par effraction.