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par François Brooks
La race humaine s'est désormais scindée
en deux. Un nouveau genre est né : la Femme. Jusqu'au milieu du XXè
siècle, il n'y avait jamais eu qu'un seul genre humain qui contenait les hommes
et les femmes. C'est généralement ce que l'on entendait sous le vocable général
d'homme. Maintenant, après trente ans de féminisme, ces temps sont
révolus. Il m'apparaît de plus en plus évident que les femmes sont
devenues un genre humain distinct. D'ailleurs, elles font tout pour se
distinguer des hommes en ne cessant paradoxalement pas de réclamer l'égalité.
Aussitôt que leur condition particulière exige quelque aménagement spécial, elles
réclament à force et à cris qu'on reconnaisse leur besoin spécifique tout en
veillant au grain à ne jamais subir d'inégalités. Le Québec a beau faire
encore partie du Canada, la Femme a su, elle, obtenir son
indépendance. Fini le confinement au domicile familial pour élever ses
enfants. Désormais, chacune peut mettre au monde ses petits sans jamais quitter
son statut de travailleuse. L'État continue toujours à lui verser un salaire
pendant les quelques mois nécessaires à accueillir le nouveau-né qui sera
ensuite rapidement pris en charge par le biais de garderies subventionnées pour
permettre à la Femme de continuer à œuvrer dans sa carrière.
Désormais, les enfants sont élevés par l'État.
Je suis bien forcé de le reconnaître, la
Femme est un nouveau genre humain, spécifique, différent et qui,
paradoxalement, a les mêmes capacités que les hommes. Il est égal tout
en étant particulier. Ce qui, loin d'être contradictoire, signifie qu'elles
se voient attribuer tous les privilèges inhérents à leur condition
particulière, leur Condition Féminine, sans jamais perdre aucun bénéfice
qui pourrait être injustement accordé uniquement aux hommes. Bientôt – ne
riez-pas – il s'en trouvera bien une pour réclamer des tarifs réduits dans les
transports publics. En effet, celles-ci n'ont-elles pas généralement un poids
moindre que celui des hommes. Pour transporter leur poids réduits, il serait
logique qu'elles paient moins cher qu'un homme.
Au Québec français, c'est pire
qu'ailleurs. Ce sujet est devenu évident dans l'écriture. Puisque notre langue
utilise des mots à peu près toujours sexués, on s'est mis à écrire en féministe
pour ne pas léser le nouveau genre humain. En parlant d'un groupe, on ne peut
plus se contenter d'utiliser le genre masculin pour désigner les gens. Il faut
les deux. Autrement, elles se sentent exclues. Ne pas les distinguer des
hommes devient une insulte. Ainsi, on a lu : « Vous êtes tous(tes)
invités(es) à un grand rassemblement. » Ce qui a d'ailleurs
déplu aux féministes qui n'aiment pas être mises entre parenthèses. Alors, on a corrigé en réécrivant : « Vous
êtes tous-tes invités-es à un grand rassemblement ». La langue anglaise,
Dieu merci, ayant un genre neutre, ne se prête pas à de telles chamailleries.
Ce détail, à lui seul, justifierait qu'on devienne tous anglophones si ça
pouvait ramener la paix entre les sexes.
Si je suis forcé de reconnaître que la
Femme est effectivement un genre humain distinctif, c'est avant tout parce
que dans l'idée des hommes – je veux dire des mâles – le discours devient de
plus en plus féministe. Combien de fois n'a-t-on pas entendu depuis les vingt
dernières années, des hommes d'autorité déclarer que « l'avenir sera
femme » ou que « les femmes sont de bien meilleures
dirigeantes que les hommes »? Comme si elles n'étaient pas sujettes
aux aléas du Principe de Peter[1]! Comme si l'Histoire ne recelait pas
d'autant de cruauté chez tous les monarques, qu'ils aient été hommes ou femmes.
Les mouvements de libération de la
femme nous ont d'abord fait comprendre que dans un monde égalitaire, la
femme est un homme comme un autre. Très bien. Mais ça ne s'est pas arrêté là.
Non, fort des gains obtenus, ces féministes ont continué leur lutte politique,
leur lutte de pouvoir, et elles nous ont maintenant convaincus que la Femme
est un genre humain particulier qui a droit à des privilèges
supplémentaires ; elle est plus qu'un homme, elle est une Femme!
Elle le dit, l'affirme et ne manque pas une occasion de le souligner, de
souligner son appartenance à un groupe privilégié, un groupe opprimé :
la Femme. Parce que bien sûr, il suffit de vous faire croire opprimé
pour que cette société vous accorde le privilège de mettre un sauveur à
votre disposition (nos racines chrétiennes sont peut-être plus profondes qu'on
voudrait bien le croire). Les femmes étant naturellement moins fortes
physiquement que les hommes, elles sont donc naturellement opprimées. On
se doit, en toute justice de faire quelque chose pour compenser cette inégalité
naturelle. Ce discours a si bien été martelé dans l'esprit de tous depuis
trente ans que j'entends des hommes faire des déclarations féministes
spontanément sans-même se rendre compte qu'ils sont en train de donner force à
un nouveau genre de discrimination. Pour le détecter, je vous propose un petit
test : chaque fois que vous entendrez prononcer le mot
« femme », dans un discours, remplacez-le par le mot « homme ».
Si cette phrase vous semble alors une affirmation macho, vous avez toutes les
chances d'être en présence d'un discours vaginocrate. Comme moi, vous serez
sans doute étonné de constater combien notre langage a été pollué de clichés
tendancieux sous la fallacieuse prétention de vouloir les abolir. Je suis
toujours stupéfait de constater à quel point le discours féministe nous a
endoctrinés collectivement à accepter comme naturelle une déclaration
vaginocrate alors qu'on fustige systématiquement tout discours macho.
Ce nouveau genre humain qu'est la
Femme, est né d'une lutte de pouvoir. Dans une humanité unie, cette lutte
n'avait aucune raison d'être puisque tous travaillaient en apportant chacun sa
propre collaboration à l'entreprise humaine. On devait se liguer contre l'ennemi
commun qu'étaient les forces de la nature ou encore les envahisseurs. Il en
allait de la survie de l'espèce, de la nation. Les divergences familiales
étaient vues comme des problèmes ponctuels, isolés, appartenant à telle ou
telle famille dans tel ou tel contexte, et devant être réglés un par un.
Curieusement, (il faut croire que l'être humain a un besoin naturel de lutter
qui ne s'éteint pas avec la disparition de l'adversaire) vers la fin du XXè
siècle, la nature a cessé d'être une menace pour les humains (ce serait plutôt
le contraire : ce sont maintenant les humains qui la menacent) et les
envahisseurs se font plus rares. Le féminisme a fait naître un groupe de
revendication politique. On vise prendre le pouvoir. L'égalité est le
prétexte. Pourtant dans une famille, il n'y a pas d'égalité, aucun humain ne
naît égal. Dans un groupe, tous doivent collaborer, chacun selon ses
possibilités. En retour, chacun doit manger à sa faim.
Qui donc a su convaincre les féministes
que la tâche de fonder un foyer et d'élever des enfants était peu valorisante?
Qui donc leur a fait croire qu'elles avaient moins de pouvoir alors que dans
l'ensemble des ménages, il y a toujours eu à peu près autant d'hommes que de
femmes qui portaient la culotte?
Peut-être qu'après tout,
il y a toujours eu deux genres humains : celui de l'homme et celui de la
femme. Qui sait? L'idée romantique d'un genre humain unique n'était peut-être
qu'un passage historique circonstanciel dû aux contingences environnementales
et idéologiques en cours à une certaine époque, la nôtre... On n'est pas sans
savoir que dans d'autres pays et à d'autres époques, la vie commune mixte n'a
souvent pas été chose courante. Il n'y a qu'à penser aux religieux et
religieuses de notre propre société occidentale ou encore aux peuplades
autochtones qui ne rencontraient l'autre sexe que dans certaines circonstances.
La coutume des rôles familiaux traditionnels sexués faisait déjà que dans leurs
tâches respectives, les époux pouvaient très bien collaborer en se rencontrant
relativement peu souvent. Qui sait si notre époque ne se dirige pas vers une
forme de société où les hommes et les femmes vivront séparés. Je n'ai moi-même
plus guère besoin de rencontrer une femme que pour me livrer à une hygiène
sexuelle hebdomadaire et je ne retirerais aucun avantage à vivre avec ma
blonde. D'ailleurs, nos différents ne ressortent que lors des vacances où nous
nous obligeons – relent ancestral romantique – à passer plus de quatre jours
ensemble. Pourtant, j'aime ma blonde ; je l'aime profondément. Je suis
toujours plein d'attentions pour elle et la seule idée qu'un jour je puisse
être à jamais privé de sa présence occasionnelle me déchire le cœur.