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Traverse de l'autre côté...[1]
par François Brooks
Dieu a deux formes qui s'opposent. Une forme personnelle et une forme impersonnelle. En tant qu'être humain, nous sommes plus à l'aise avec la forme personnelle, mais celle-ci nous pose des problèmes insolubles. Par exemple, l'éternelle question du bien et du mal : si Dieu veut le bien et qu'il est tout puissant, comment se fait-il qu'il n'anéantisse pas le mal pour l'éliminer à jamais? Mais le mal n'est-il pas un point de vue spécifiquement personnel? Si on observe les deux côtés de la médaille, on peut aussi penser que ce qui est vu comme « mal » par l'un peut (toujours) être aussi considéré comme positif par un autre. Un volcan en éruption apporte chaos et destruction mais on sait qu'après cette catastrophe, le magma fertile apportera de meilleures récoltes. La guerre détruit des vies et des villes mais apporte réflexion et sagesse[2] ; elle permet aussi de reconstruire des villes nouvelles plus fonctionnelles. Bien entendu, pour pouvoir considérer ces avantages du « mal », il faut adopter une perspective impersonnelle, celle du Dieu que je préfère. Parce que, d'un point de vue personnel, rien ne pourra jamais nous faire accepter que le mal, les déchirements, la destruction et la mort sont des aspects tout aussi souhaitables que le bien, la fête et le renouveau.
Mais ce jugement de bien et mal entre ce qui est souhaitable ou non est spécifiquement humain. Le Dieu impersonnel est au-dessus de ça ; il est le bien et le mal. Il est l'être, il est tout, et c'est notre point de vue humain qui nous pousse à considérer les choses positivement ou non. La philosophie du Tao a bien expliqué tout ça et évite soigneusement de parler de Dieu en nous exposant toujours les aspects complémentaires et nécessaires de l'existence. Mais tout ça reste des considérations philosophiques et celui qui est coincé dans le malheur des misères humaines a davantage besoin d'une image de compassion que d'une image universelle pour se consoler. Un Christ souffrant et une Madone compréhensive sont des baumes urgents et nécessaires autrement qu'un Dieu tout-puissant et impersonnel.
C'est aussi pourquoi, dans les temples taoïstes chinois, on voit des statues de Guanyin[3], Shouxing[4], Zaishen[5], et Fushing[6]. On a beau professer que l'univers est né d'un principe complémentaire Yin-Yang, on n'a pas moins besoin de fournir aux adeptes des figures humaines pour personnifier la compassion, la longévité, la richesse et le bonheur tant recherchés. C'est dans la prière adressée à ces dieux accessibles que les gens retrouvent la force de reconstruire ce que la vie leur a détruit.
Celui qui habite le Paradis Terrestre n'a jamais besoin de prier et ne pense jamais à Dieu. Mais quand le malheur arrive, on veut trouver un coupable, le condamner, le châtier. C'est peut-être pourquoi on a tué Dieu au siècle dernier[7]. Mais n'en avons-nous pas réinventé mille autres dans nos idoles et nos croyances personnelles?
Dans la Genèse, la scène du paradis terrestre avec Adam et Ève m'inspire énormément. On a un homme et une femme comblés par la vie et insouciants. Jamais ils ne pensent à prier ni Dieu ni Diable. Un jour, ils sont confrontés à l'arbre de la science du bien et du mal[8]. Dieu, personnage figurant le bien, leur demande de ne pas y toucher. Le Diable, personnage figurant le mal, les invite à s'en nourrir en leur disant qu'après, ils seront comme Dieu, capables de voir le bien et le mal. Dieu veut qu'ils restent insouciants et heureux. Diable veut qu'ils soient conscients et avertis. Ève et Adam choisissent de consommer le fruit de l'arbre de la science du bien et du mal. Du coup, le paradis terrestre disparaît pour faire place à une terre hostile où il faut peiner pour survivre. Dieu et Diable avaient raison mais l'humain a fait son choix. Il peut toujours choisir, encore aujourd'hui d'ailleurs, entre l'insouciance de penser que Dieu s'occupe de tout et l'inquiétude de sans cesse se préoccuper du lendemain.
Mais peut-on véritablement parler de choix quand nous sommes soumis tout autant que libres? Nous sommes libres parce que nous pouvons faire et penser ce que l'on choisit, mais nous sommes contraints aux aléas de la vie. Voilà bien la condition humaine.
Arrange-toi avec ça et tâches d'être heureux. Saches qu'il y a toujours deux aspects aux choses : un que tu aimeras, l'autre que tu détesteras. Dieu ne les distingue pas. Il est au-dessus de ça, il est tout. Il est. Et puis, si tu as besoin de réconfort et de consolation, tu peux toujours t'adresser à Jésus, Marie ou un des 365 saints que l'Église te propose pour te soutenir. Tu peux même t'en inventer d'autres ou simplement parler à un ami en t'imaginant que c'est Dieu qui l'inspire[9]. Voilà la prière que je m'adresse quand j'ai besoin de réconfort. Quand tout va bien, je pense que Dieu est un être impersonnel et que je n'ai pas à juger s'il fait le bien ou le mal.
