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Ma philosophie

par François Brooks

Question : Quelle est votre philosophie?

FB : L'Illusionnisme. Je crois (encore la foi) que rien d'autre n'est réel que l'illusion (J) qui se crée dans notre esprit en fonction de notre rapport au monde. Selon que l'on est constitué homme, cheval ou sauterelle, nous vivons une illusion d'homme de cheval ou de sauterelle.

 

Question : Y a-t-il une vie après la mort?

FB : Voilà bien la question typique d'un vivant! La mort, c'est la non-vie. Cet état (je devrais dire ce non-état) est difficilement concevable pour un être vivant. Non seulement cette question est absurde, mais pour moi, elle ne se pose pas. Elle exprime simplement l'inquiétude d'un être qui se sait éphémère et qui ne veut pas disparaître. Instinct bien compréhensible.

 

Question : Que faut-il faire dans la vie?

FB : Il faut garder l'équilibre. Si l'illusionnisme est ma philosophie, je dirais que l'équilibrisme l'est aussi. Je pense que là est la clef du bonheur.

 

Question : Est-ce que Dieu existe?

FB : Bien sûr! puisqu'il est nécessaire ; tout aussi nécessaire que les notions de zéro et d'infini en mathématiques. Il est l'Être même, le verbe sans quoi rien n'a de sens. Il coordonne notre connaissance du monde. Il permet à la monade que nous sommes l'illusion d'échapper à la solitude et d'entrer en contact avec les autres et le monde. Dieu garantit le monde. Sans la notion de Dieu, tout l'édifice cartésien s'effondre[1]. Sans cette garantie, nous sombrerions dans la division, la solitude et la folie. Il est partout, en toutes choses, il est tout : il est l'Être. Je le vois bien différent du dieu personnel représenté par un vieil homme à barbe, jaloux et en manque d'amour. S'il n'était que ça, il serait déjà beaucoup, mais pour moi, ce serait insuffisant.

 

Question : Iriez-vous jusqu'à prier Dieu?

FB : Ici, ça se complique. D'emblée, je répugne aux prières commandes-d'épicerie ; elles personnalisent Dieu. Si Dieu était une personne importante, je ne devrais pas le déranger à tout moment avec mes petites prières égoïstes. Je peux cependant avoir besoin de personnaliser Dieu pour y avoir accès puisque je suis une personne. Comment accéder à Dieu sans le mettre en quelque sorte à mon niveau? Dans mes limites d'être humain, Dieu est un concept commode, puisque je peux le faire apparaître quand je veux. Dans des moments difficiles, le réconfort dont j'ai besoin peut m'être salutaire si je peux me confier à un autre imaginaire qui me comprend et qui possède les qualités dont j'ai besoin pour supporter l'épreuve.[2] Mais dans la mesure où c'est moi qui le crée et qui pense à ces qualités, j'ai donc en moi ce dont j'ai besoin. J'ai en moi cet autre dont j'ai besoin pour me réconforter. Mais ce réconfort n'est efficace que dans la mesure où j'y crois. Et je dois croire qu'il n'est pas moi mais un autre. Puisque je me ressens comme en manque, il faut que ce dont je manque me vienne de l'extérieur. D'où l'importance de la foi en Dieu. Mais Dieu n'existe pas jusqu'à ce que j'accepte de le faire exister. Cependant, notre obsession actuelle d'authenticité  nous interdit de croire à ce mensonge. De toute façon, quelle que soit ma situation, ça n'a pas d'importance. Seul compte le sentiment que j'éprouve face à celle-ci. Parce que l'on dispose aujourd'hui de toutes sortes de moyens pour agir sur nos sentiments, le Dieu personnel d'autrefois est moins populaire.

 



[1] C'est d'ailleurs pourquoi René Descartes, dans ses Méditations métaphysiques, consacre cinq méditations sur six à essayer de démontrer et de prouver l'existence de Dieu. C'est sur cette notion que vont s'appuyer les certitudes que Descartes cherche. Rappelons-nous qu'il fut la proie d'un doute si immense qu'il doutait même de sa propre existence.

[2] Le film Seul au monde (Cast Away), ©2000, avec Tom Hanks est une illustration de ceci. Lorsque Chuck Noland est perdu sur son île déserte, il se sert d'un ballon pour se créer un personnage imaginaire à qui parler. C'est par ses conversations avec le ballon personnifié qu'il va trouver le courage de surmonter sa solitude et l'adversité des éléments qui se liguent contre lui. Cet autre imaginaire va devenir l'allié dont il a besoin pour ne pas sombrer dans le découragement.