000924
par
À
considérer le rapport humain comme une marchandise monnayable, comment puis-je
croire en l'authenticité de
celui-ci?
Le
psychothérapeute, le mendiant, le prêtre, le gourou et l'animateur d'atelier de
croissance personnelle ont ceci de commun qu'ils vendent du rapport humain. Ces
gens ne permettent une interaction entre eux et nous qu'à la condition de leur
donner de l'argent. Je me suis souvent demandé pourquoi c'était moi qui devais
payer pour entrer en rapport avec eux et non l'inverse. Ce que j'ai à leur dire
n'a-t-il pas plus de valeur que ce qu'ils ont à me dire? Bon, d'accord, ce que
je viens d'écrire est prétentieux. Mais alors, ne sont-ils pas prétentieux
eux-mêmes? Bon, disons que nous allons considérer le rapport sous un angle
égalitaire : alors, personne ne devrait avoir à payer l'autre pour entrer
en rapport avec.
Anciennement,
les prophètes avaient la décence de s'afficher comme bénévole. Leur salaire
était ailleurs...
Il
est si courant d'avoir à payer ces gens aujourd'hui que j'ai l'air de vouloir
menacer une banalité établie.
À
l'été 1984, j'assistais à un atelier de croissance personnelle donné par
Jacques Languirand dans son centre Mater Materia[1]. Ce fut possible parce qu'il faisait des rénovations
et qu'il avait besoin d'un électricien. J'avais convenu d'un échange de
services avec lui : pendant une semaine, je travaillerais comme
électricien et la semaine suivante, j'assisterais à son atelier de croissance
personnelle. Ce « deal » me convenait parce qu'il m'hébergeait.
J'avais l'impression de travailler au pair.
Monsieur
Languirand est un homme d'une très belle stature. Il ressemble à l'image qu'on
a des bustes de Socrate,
Platon ou Aristote :
Grand visage à barbe blanche fournie, yeux gris-bleus,
regard honnête et visionnaire. La plupart des participants à l'atelier étaient
des participantEs,
une quinzaine environ. J'étais assis à l'extrémité du demi-cercle qui faisait
face au « gourou ». Ceci me permettait d'observer aussi bien le
conférencier que ses émules. Il fallait les voir l'admirer. Il était beau ce
quasi-dieu embelli de tous ces yeux étincelants. Languirand, féru de sagesse,
était un peu embarrassé de tant d'admiration pour lui-même alors qu'il voulait
tout simplement amener les participants à découvrir cette sagesse qu'ils
portaient déjà en eux.
Pour
moi, le point culminant de cette conférence fut l'après-midi de la dernière
journée alors que Languirand nous a remerciés d'avoir été pour lui autant de
thérapeutes attentifs pendant toute une semaine en plus de l'avoir payé pour
ça, alors qu'habituellement, en terme de thérapie, c'est le « parlant »
qui paye « l'écoutant ». C'est à ce moment là que j'ai vu Languirand
comme un être authentique n'ayant pas peur de regarder les choses en face. Il osait
aborder le tabou des tabous : qui paye, et pourquoi? Il questionnait les
termes de départ et osait parler du cadre même de l'échange.
Mater
Materia fut
par la suite une faillite financière mais Languirand est resté pour moi une
figure d'honnêteté et d'authenticité que j'ai rarement rencontrée ailleurs.
Surtout depuis que j'ai appris qu'il avait « défroqué » du Mouvement
de croissance personnelle. L'authenticité[2] peut-elle subsister si on cherche à l'enfermer dans
un cadre institutionnel? Ne devient-elle pas alors un commerce banal qui refuse
de se reconnaître comme tel?
[1] C'est aussi le titre d'un de ses livres : Jacques Languirand, Mater Materia, publié chez Minos en 1980. C'est l'époque où le féminisme inspirait des valeurs plus humanitaires que politiques et compétitives.
[2] Charles Taylor, dans son livre Grandeur et misère de la modernité, (Bellarmin © 1992), met en lumière le besoin de trouver un équilibre pour éviter les écueils de l'individualisme, de la raison instrumentale et d'un despotisme doux, afin de parvenir à la souhaitable liberté, la bienveillance collective et l'authenticité.