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Sache te reconnaître à travers les autres

par François Brooks

« En voulant faire de l'homme un objet, les sciences humaines gomment l'homme qui est avant tout un sujet »[1].

 

La maxime socratique « Connais-toi toi-même » est un leurre tout comme n'importe quelle mantra ou koan. Il sert à occuper l'esprit pensif qui se cherche un objet. L'esprit est inconnaissable puisque pour connaître quelque chose il faut pouvoir l'objectiver. Mais aussitôt que l'esprit se place en observateur pour s'observer lui-même, il n'est déjà plus un sujet ; il devient objet de sa propre observation. Mais seul un sujet peut observer. Et il ne peut observer qu'un objet, même si cet objet est un autre sujet ou lui-même.

 

En effet, comment pourrions-nous connaître un sujet dans toute sa liberté alors que la liberté est créativité, changeante? À chaque moment, elle peut décider de faire autrement que prévu. Dire que nous nous connaissons nous-même, ce serait faire fi de notre faculté de libre arbitre pour accepter de mourir dans un déterminisme où tout est prévisible.

 

Mais comme l'œil a besoin d'un objet pour voir quelque chose, quel est l'intérêt à ce que l'œil se voit lui-même? De même, quelle réalité peut-il y avoir d'un objet à un autre objet? Pour voir, il faut un observateur et un observé. Et ce qui est observé transforme l'observateur. Il existe donc une dynamique de la réalité où le sujet et l'objet sont nécessaires pour qu'elle apparaisse. Pris seul, un sujet ne peut exister sans objet ni l'inverse non plus. Quand deux sujets s'observent, ils deviennent chacun l'objet de l'autre.

 

Se connaître soi-même n'est possible qu'à travers les autres et les objets qui nous entourent. Se connaître soi-même, c'est connaître les autres à travers soi. Ainsi, la solitude, comme le dit Gilbert Bécaud dans sa chanson, ça n'existe peut-être pas, puisque tout objet est le signe de la présence de la nature, de l'univers ou de celui qui l'a fabriqué.

 

À celle de Socrate, je préfère la maxime suivante : « Sache te reconnaître à travers les autres. »

 



[1] Bertrand Vergely, Les philosophes contemporains, Les Essentiels Milan #98, ©1998 (Michel Foucault p.13)