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par François Brooks
Le désir d'aider témoigne le plus souvent du refus d'accepter l'autre tel qu'il est devenu. Le mendiant exploite cette faiblesse humaine et s'en nourrit. Il ne voudrait changer pour rien au monde ; il perdrait son gagne-pain. Pour lui, votre santé, votre richesse et le bonheur qui en découle sont, en contraste avec l'image qu'il présente, une obscénité sociale sur laquelle il convient d'imposer une taxe qui vous soulagera de la culpabilité de jouir, alors que lui, il souffre. Il se nourrit de cette souffrance ; c'est sa pauvreté qui le fait vivre.
Si je l'accepte tel qu'il est et refuse de participer à son jeu, dans notre société d'abondance, il aura tôt fait d'arrêter de jouer au pauvre et de trouver un autre moyen de se nourrir. Mais notre charité chrétienne ne crée-t-elle pas ce jeu puisque, sans les indigents, comment pourrions-nous démontrer la noblesse de notre générosité?
J'ai aidé beaucoup de gens depuis plusieurs années ; autant amis, parents, voisins, étrangers que simples connaissances. Ça ne m'a apporté, le plus souvent, que des ennuis. Je m'attendais à de la reconnaissance et de la gratitude mais je me suis retrouvé méprisé et envié. Comme on aide un automobiliste à réparer sa crevaison pour qu'il puisse rouler librement, je pensais aider ces gens. Non. Tout ce qu'ils faisaient, c'était se nourrir de mon aide et aller montrer leur « crevaison » à un autre Bon Samaritain.
Je donnais, comme le dit l'adage, « une canne à pêche plutôt qu'un poisson » pour que mon miséreux s'en sorte, mais il se débarrassait vite de cet outil encombrant pour poursuivre son but : vendre sa misère aux bonnes âmes compatissantes. Si je m'enquérais de savoir pourquoi le type ne s'arrangeait pas pour changer et sortir de sa misère, je voyais vite le mépris apparaître dans ses yeux comme si je me mêlais de ce qui ne me regarde pas. La Charte des Droits et Libertés lui donne le droit de faire comme bon lui semble ; ça ne me donne pas le droit de vouloir le sortir de sa misère. Mais pourquoi ne pas vouloir en sortir?
En fait, sa « canne à pêche » il l'a déjà : c'est sa misère. Et il est normal qu'il me méprise de vouloir la lui enlever. Si je veux la remplacer par une autre, c'est parce que je voudrais que la misère disparaisse dans le monde. Je voudrais que chacun puisse vivre dans l'honneur et la dignité. Je juge donc la mendicité comme déshonorant l'être humain et le rendant indigne. Aussi bien dire que je méprise les mendiants. Donc, mon désir qu'ils s'en sortent les insulte. Si je les aide, c'est que je ne les accepte pas tels qu'ils sont. Je les voudrais riches heureux et en santé. Voilà ce qui les insulte. C'est donc mon problème et non le-leur. Quand je leur donne, ce n'est pas un geste de générosité désintéressé. Ce geste vise à changer le monde et faire disparaître la misère que je n'accepte pas.
Maintenant, j'aimerais pouvoir guérir de ma maladie de vouloir aider, et accepter les autres tels qu'ils sont sans toujours vouloir « améliorer leur sort ». Maintenant, chaque fois qu'on me demande de l'aide ou de l'argent en charité, je fais une prière pour accepter le monde tel qu'il est, le reconnaître bon tel quel sans vouloir rien changer. Je n'insulte plus personne et je garde mes « cannes à pêche » pour moi. Cette attitude m'enrichit de trois façons : 1- Les « mendiants » ne me méprisent plus. 2- Je me retrouve effectivement plus riche de ce que je n'ai pas donné. 3- Je me sens libéré de la culpabilité de ne pas arriver à faire disparaître la misère dans le monde alors que je vis dans une aisance acceptable. Ce mauvais sentiment appartient au mendiant. C'est lui qui cultive cet image et s'en sert comme appât de sa « canne à pêche ». À moi de ne pas être le poisson. Les ponctions sur mon salaire qui nourrissent les services d'assistance sociale sont là pour le dépanner et si ça ne lui suffit pas, il n'a qu'à faire comme moi : travailler pour gagner sa vie.
D'ailleurs, c'est ce qu'il fait. Mendier est son travail. C'est le travail qu'il s'est donné lui-même. Mais je n'achète pas le pain qu'il vend : la misère humaine. S'il veut mon argent, il devra me vendre quelque chose d'autre.