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Critique adressée à l'auteur[1]

de l'essai critique sur le Nouvel Âge Les marchands d'âme de Michel Pruneau

Voir plus bas la Réponse de Michel Pruneau Ê

par François Brooks

Pour commencer, je dois vous dire toute l'admiration que j'ai pour vous — ainsi que pour tous ceux qui font le métier de montreur sur la place publique — pour m'avoir étalé vos états d'âme avec tant d'impudeur.

 

Chaque fois que je joue le rôle d'auditeur j'ai l'impression de me livrer à une séance obscène de voyeurisme, le « spectacle » qui m'est offert m'en montrant, le plus souvent, davantage que ce que celui qui « performe » n'ose en voir de lui-même. D'ailleurs, je suis dans une situation toute proche de me compromettre moi-même puisque j'écris beaucoup et que, tôt ou tard, on va s'apercevoir que mes pensées sont vendables et on va me faire des offres que je ne pourrai pas refuser. En attendant, j'occupe la position confortable du voyeur et, puisque vous m'invitez à le faire en laissant votre adresse courriel dans votre livre Les marchands d'âme, je me permets de vous adresser les commentaires suivants.

 

Pour nous livrer votre pensée — sur le fond de laquelle je me sens souvent en accord — il me semble que vous avez utilisé le style même qui caractérise ce que vous dénoncez :

 

*   Affirmation péremptoire :

Pour n'en citer qu'une seule, (mais votre livre en est rempli) par exemple en page 56, vous écrivez : « Malgré ces explications boiteuses qui relèvent d'un manque certain de culture, nous devons considérer le « reiki » comme le phénomène de la prêtrise démocratisé. » Pour quelqu'un qui ne connaît pas le reiki, comme moi, cette affirmation a l'heur de me faire croire que vous vous prenez pour un autre. (qui sont ces « nous » dans lesquels vous semblez inclure d'autres que vous-même?) Aussi, vous semblez connaître ce que c'est que « la culture » mais vous ne l'expliquez pas. Vous semblez l'associer avec une comparaison maladroite des stages reiki à la qualité d'une télévision. De telle sorte qu'il me semble assister à une bien ancienne querelle de clocher du temps où il y avait les instruits (ceux qui avaient de la culture) et les habitants (ceux qui n'en avaient pas). Cette forme de pensée binaire est la caractéristique même d'une personne qui manque de nuance dans ses propos. Le manque de culture — René Descartes en faisait son cheval de bataille — n'est pas une excuse au manque de jugement. Descartes disait que la chose la mieux partagée est le bon sens et il était le premier à reconnaître que l'instruction n'avait rien à voir avec cette qualité.

 

*   Affirmations fausses :

1.     Page 46 : Il faudrait peut-être expliquer à cette végétarienne enragée que la salade aussi est morte lorsqu'on la mange. J'aurais fort à parier que vous vous trompez sur ce point.

2.     Page 47 : La coercition n'a jamais fonctionné, ne fonctionne pas et ne fonctionnera jamais, en quelque domaine que ce soit. Je peux témoigner personnellement que je suis soumis à celle-ci quotidiennement, ne serait-ce à cause du travail que je dois faire pour gagner ma vie tous les jours et là encore, il me semble que je n'aurais pas à faire un très grand sondage pour trouver des gens chez qui la coercition fonctionne.

3.     Page 47 : Les sociétés les plus saines sont les sociétés les plus éduquées. La santé est une conséquence du plaisir d'exister et de l'art de vivre. Le choix de fumer et de ne pas fumer ne peut s'inscrire que dans ce sillage. C'est par plaisir que l'on fume et ce ne peut être que par plaisir que l'on ne fume pas. J'ai du relire cette phrase au moins trois fois pour être bien sûr que c'était véritablement ça que je lisais. Je me demande sur quelle planète vous vivez et comment vous pouvez faire une telle affirmation. Je peux personnellement témoigner en tant qu'ex-fumeur (j'ai fumé pendant dix ans) que c'était la dépendance à la nicotine qui me faisait fumer et que j'étais loin de m'adonner à cette activité par plaisir. Pire, arrêter de fumer (il y a plus de 20 ans) fut pour moi la plus difficile entreprise à laquelle je fus confronté de toute ma vie et j'en ai entrepris des très difficiles, je pourrai vous en parler.

 

 

*   Généralisation et induction :

Là aussi, pour n'en citer qu'une seule, (mais votre livre en contient de nombreuses) en exemple à la page 80, vous écrivez : « Le Nouvel Âge, qui prétendait au départ réintroduire une mystique de la nature propre aux philosophies orientales, est en train de répéter les erreurs fondamentales de la pensée religieuse occidentale : rendre le sacré conditionnel à un comportement d'obéissance infantile. » Dommage que vous n'ayez pas fréquenté les mêmes ateliers que moi, vous auriez moins de comptes à régler.

 

* * *

 

Quelle étrange sensation il me reste après avoir lu ce livre! Même si, sur le fond, je me sens en accord avec vous, à savoir qu'il y a des profiteurs dans ceux qui se prétendent du mouvement du Nouvel Âge et qu'il faut savoir les reconnaître pour les éviter, je me suis senti en conflit avec l'impression que vous dégagez pendant tout votre essai. En fait, je refuse d'endosser votre sentiment catastrophé et j'ai la désagréable sensation que vous utilisez la même attitude autoritaire que celle que vous dénoncez chez les gens du Nouvel Âge. Pour vous, les nuances sont pratiquement impossibles : le Nouvel Âge est complètement noir, à proscrire. Vous n'avez cité aucun exemple en faveur ne serait-ce que d'une seule pratique associée à ce mouvement. Dommage que vous n'ayez pas rencontré madame Nicole Laudouar, ou assisté à un atelier de Jacques Languirand, de Henri Arenstein ou de combien d'autres qui, malgré parfois quelques maladresses humaines, ont fait office, pour moi, de guérisseurs d'âme pour un prix si raisonnable.

 

Mais pourquoi réagissez-vous si fortement? En page 76, vous parlez même de violence incroyable et de torture intellectuelle. Savez-vous bien de quoi vous parlez quand vous parlez de violence et de torture? Vous avez, comme on dit, une crotte sur le cœur, et je ne demande qu'à vous comprendre mais vous ne nous dites à peu près rien de vos propres expériences malheureuses. Vous semblez vous être donné d'office le rôle de « sauveur » dans le monde du Nouvel Âge que vous jugez malhonnête. Vous vous contentez d'accabler ce mouvement, d'autorité, comme si le Nouvel Âge n'avait jamais apporté quoi que ce soit de bon.

 

Jacques Languirand était le premier à nous mettre en garde contre les excès possibles des mouvements de spiritualité, y compris le Nouvel Âge. Pourquoi en parlez-vous avec mépris en page 36? Sa démission du rôle de « pape du Nouvel Âge » n'est-elle pas tout à son honneur? En 1985, j'assistais à un atelier de croissance personnelle donné par Jacques Languirand lui-même. Je faisais parti d'un groupe d'environ vingt personnes. Pendant une semaine — cinq jours consécutifs — il nous entretenait de ses réflexions personnelles et sur diverses expériences d'exploration de sa conscience. À la toute dernière séance, il nous avait cordialement remerciés de lui avoir servi de thérapeute en l'écoutant aussi attentivement et, en plus, en le payant. Cet homme faisait preuve d'une honnêteté intellectuelle qui m'a alors ébloui. S'il admettait avec simplicité qu'une façon valable de voir cette semaine passée avec lui pouvait aussi être celle de la supercherie, c'est qu'il avait l'honnêteté de reconnaître que nous l'avions mis dans une situation de pouvoir et qu'il nous le remettait à nous, ce pouvoir, avant de partir. De ce fait, à mes yeux, il venait de dénoncer tous ceux qui essaieraient d'usurper, à l'avenir, ce pouvoir que nous sommes les seuls à véritablement détenir sur notre vie. Je trouve triste que, loin de vous inspirer de son exemple, vous essayiez de le discréditer, lui et tout le mouvement auquel on l'associe.

 

Votre maître-mot, c'est l'angoisse existentielle (page 82). Ce sentiment, semble-t-il vous est sacré. Il ne faudrait pas faire la bêtise d'y échapper mais vous n'expliquez pas pourquoi. Pourquoi vaudrait-il mieux être angoissé qu'éthéré? En pages 85 et 86, votre texte L'ANGOISSE D'EXISTER ne nous en dit rien.

 

Là où votre livre culmine, c'est en page 92 et 93. Vous utilisez à profusion un vocabulaire qui me donne la triste impression d'assister à un délire d'extrémisme. ... Absolu ... parfaite ... véritablement ... définitivement ... extinction complète... fanatiques ... idéalisée ... divinisée ... manichéisme a atteint un stade d'épidémie ... hyperrationalité vacillante ... exhibition permanente ... chaos généralisé. N'utilisez-vous pas ici le vocabulaire eschatologique caractéristique de toute religion qui s'appuie sur la peur des « fins dernières » pour donner de la crédibilité à sa croyance? L'exhibition d'un état d'âme aussi peu serein n'a rien pour me convaincre que son propos a de l'importance sinon que vous souffrez et c'est sur ce point que vous me touchez.

 

Pour le peu que j'ai pu apprendre dans la vie, je pense que le monde ressemble généralement à l'image qu'on y projette. Je suis triste et touché d'avoir lu à quel point vous portez en vous une image si négative d'un mouvement, le Nouvel Âge, dont vous tirez vous-même profit de par votre profession d'acupuncteur et de massothérapeute. N'avez-vous donc aucun pouvoir sur cette image qui a d'abord été projetée sur vous? Vous me faites un peu penser au docteur Serge Mongeau qui voyait tout noir dans la médecine et qui a dû « défroquer » pour s'en aller vendre des livres et regagner sa sérénité. (Le comique dans son histoire c'est que sa maison d'édition porte le nom d'Écosociété. Il publie des livres qui se portent à la défense, soi-disant, de l'écologie mais contribue à la déforestation puisque 20% des arbres qu'on coupe sur cette planète servent à faire de la pâte à papier.) Je me demande si vous n'auriez pas avantage à vous recycler dans, par exemple, un quelconque métier de la construction pour regagner la vôtre de sérénité.

 

En page 120 et 121, dans votre texte DES LUTTES CORPORATISTES BIEN TRADITIONNELLES, il me semble que vous commettez tous les « péchés » que vous dénoncez, et pourtant, c'est ce qui vous donne de la crédibilité à mes yeux, c'est ce qui fait que la lecture de votre essai m'est utile. Je vous vois comme un bateau échoué sur un récif et qui reste là coincé mais utile comme un sémaphore pour m'indiquer où est le danger que je dois éviter.

 

Mais, si je terminais cette lettre ici, vous auriez raison de dire que, tout comme vous, je ne fais que critiquer et que je suis tombé dans le piège. Cependant, je dois reconnaître que vous avez déposé quelques réflexions que j'estime d'une grande valeur.

 

Par exemple, aux pages 121 à 124, dans votre texte SCIENCE, ANTISCIENCE ET SCIENTISME, vous dénoncez ceux qui invalident l'esprit scientifique au profit d'un spiritualisme anti-scientifique aussi bien que le corporatisme lorsqu'il déraille dans le champ du pouvoir. Je suis plutôt d'accord avec vous. Les exemples que vous apportez sont convaincants et forcent l'adhésion.

 

Je trouve particulièrement intéressante et riche de réflexion, votre affirmation selon laquelle vous estimez que la santé n'est pas l'absence de maladie. J'estime cette réplique très efficace pour contrer celle du docteur Knock (dans la pièce de Jules Romains) qui prétendait que tout être bien portant est un malade qui s'ignore. Elle semble parfois devenue le credo dans certains milieux médicaux ou « nouvel-âgeux ». Cette façon de voir la vie vous honore puisqu'elle apporte l'espoir que, même imparfaite, la santé peut apporter, malgré tout, une vie satisfaisante.

 

Je me joins à vous dans le dernier paragraphe de la page 134 pour dénoncer la maladie présentée sous forme de version à peine modernisée du péché judéo-chrétien. Cependant, je pense que l'esprit de cette idée, s'il n'avait pas été déformé d'une façon outrageuse, devrait inciter le malade à comprendre que sa lutte contre son mal peut être efficace de par sa seule volonté et l'action qui en découlera. Bien sûr, de nombreux autres facteurs entrent en ligne de compte et il devient absurde de responsabiliser entièrement le malade pour son état. À cet effet, la prière des AA nous montre, je pense, la voie de la sagesse :

Mon Dieu, donnez-moi la sérénité d'accepter les choses que je ne peux changer, le courage de changer les choses que je peux, et la sagesse d'en connaître la différence.

 

Vous nous servez une perle dans le deuxième paragraphe de la page 135 que vous terminez savoureusement en écrivant : ... Ainsi vont les élus et les exclus. Il en est de même pour les peuples en guerre alors que Dieu n'en finit plus d'être dans tous les camps et de s'assassiner lui-même.

 

Puis-je vous faire un clin d'œil lorsque, en page 137, la sagesse semble se pointer dans le deuxième paragraphe : Lao Tseu disait : « Celui qui sait ne parle pas, celui qui parle ne sait pas. » Vous distordez cette sage parole à votre avantage en suggérant que le Nouvel Âge se taise pour laisser parler l'angoisse que vous chérissez. Cependant, si on veut rester fidèle à Lao-tseu, dès lors, ne devrions nous pas nous taire tous les deux? Mais puisque vous avez parlé, vous m'avez provoqué, et par cette lettre, j'ai quitté la sagesse du silence.

 

Mais je voudrais que mon imprudence soit fructueuse. Je ne voudrais pas que vous gardiez un sentiment amer de moi. Aussi, j'espère que ma lecture et mes commentaires ne vous auront pas trop écorché mais au contraire, pourront me rapprocher de vous parce que j'aimerais vous inviter personnellement à participer à une rencontre où des auteurs et des quidams viennent se rencontrer et s'ouvrir aux autres afin d'améliorer leur écriture. Ces rencontres s'intitulent Philosophie sans fumée et ont lieu le premier vendredi de chaque mois chez-moi dans une atmosphère conviviale. Mes invités, (environ 6) s'intéressent tous à la philosophie et cultivent la critique de leur propre pensée en cherchant à se connaître eux-même à travers l'observation des autres.

 

Si j'ai pris la peine de souligner ce que j'ai interprété comme des défauts chez-vous, ce n'est pas tant pour vous critiquer que pour essayer de voir comment je me sens moi-même face à ce miroir que vous me présentez et dans lequel je ne me suis pas senti confortable de me regarder.

 

Je serais heureux que vous acceptiez mon invitation. Je pense qu'on pourrait peut-être construire quelque chose de solide ensemble... comme une amitié.

 

Pour me connaître davantage, je vous propose de visiter mon site personnel www.philo5.com . Vous y trouverez, entre autres, mes textes personnels et ça vous donnera une occasion de me connaître. (Hé! oui, tout comme vous, j'ai pris le risque de m'exposer. Vous pourrez à votre tour me critiquer ou me flagorner.).

 

Je vous adresse, monsieur Michel Pruneau, mes salutations distinguées.

 

François Brooks

P.S. : Je trouve votre tête sympathique J sur la photo en page couverture de votre livre.

 

* * *

 

Le métier d'écrivain et, particulièrement, celui d'essayiste est un dur métier. Si j'étais publié, je serais tenté de penser que les gens qui achètent mon livre donnent du pouvoir à mes idées mais n'est-ce pas plutôt le contraire?

Compte tenu du fait que je dénude ma pensée devant le lecteur, ne suis-je pas plutôt en position de faiblesse? Je ne sais rien de lui et je lui dévoile mes pensées les plus intimes.

Il a payé pour voir ma pensée comme on aurait payé pour faire se déshabiller une prostituée. Alors, c'est donc lui qui a du pouvoir sur moi, contrairement à ce qu'on pourrait croire. Lawrence d'Arabie (Thomas Edward) disait : « Seul le serviteur se fait payer. C'est le maître qui paie ».

Je comprends l'angoisse de l'auteur et sa solitude lorsqu'il met son esprit à nu devant tous, exposé aux critiques de ceux qui, à couvert, peuvent confortablement décocher sur lui les flèches de leur jugement. Mais les gens qui ont payé pour regarder sont les seigneurs et l'écrivain leur doit la vie. Sinon il serait resté dans l'anonymat, dans la sagesse du silence.

Les auteurs les plus critiqués sont souvent ceux qui se font le plus connaître. Et pour réussir, il faut être connu. Donc, si on vous critique, sachez rebondir sans vous laissez abattre.

Dieu, comme celui qui sait et dont parle Lao-tseu, reste silencieux et invisible. N'est-ce pas ce qui lui a donné tant de pouvoir sur l'humanité?

 

 

* * *

050906

Réponse de Michel Pruneau

M. François Brooks

 

En vous remerciant encore de m'avoir lu et d'avoir pris le temps de m'adresser cette critique, je regrette de ne pas vous avoir eu dans mon groupe de premiers lecteurs, avant de publier Les Marchands d'âmes. En écrivant, nous ne voyons pas toujours les raccourcis que nous pouvons prendre. C'est le regard de l'autre qui nous les révèlent bien souvent.

 

Avant de répondre le plus précisément possible à vos critiques, je vous dirai que globalement, je reconnais que mon ouvrage manque sans doute de nuance. C'était voulu! L'effet tabula rasa n'est pas nécessairement apprécié par tous (pas de vous manifestement...) mais j'avais pris la décision d'écrire un ouvrage pamphlétaire, afin de provoquer une réaction de mon milieu professionnel et dans les médias. À cet égard, certains de mes premiers lecteurs, dont Pierre Bourgault, considéraient plutôt que mon ouvrage « manquait d'agressivité pour un pamphlet ». C'est bien pour dire comme la vérité n'existe pas. L'écriture doit donc être considérée comme une occasion de rencontre et de meilleure compréhension. Je salue encore une fois votre courage de dire et votre élégante façon d'attaquer pour appeler à grandir.

 

Malgré mes intentions, j'ai plutôt perdu mon pari malgré mon ton pamphlétaire. J'ai eu une seule entrevue (Paul Arcand) et j'ai tout de même gagné le prix sceptique 1999 de l'Association des Sceptiques du Québec mais le livre ne s'est pas bien vendu, selon les critères des Marchands de livres!

 

Dans mon premier courriel, je vous disais que cet ouvrage était lié à un ras-le bol assez important! Je le redis et je l'assume. Après une enfance dans un milieu ultra catholique (peut-être ne l'ai-je pas clairement expliqué) le fait de me retrouver au cœur d'un mouvement (médecines douces) qui déraille vers le spiritualisme mercantile a entraîné une certaine colère que vous avez sans doute senti dans mon livre. Dans cette foulée, j'ai peut-être un peu démonisé le Nouvel Âge mais je crois que vous n'avez pas été témoin des violences spirituelles que j'y ai observé.

 

Je reconnais à tout un chacun le droit de penser comme il l'entend. Je ne suis pas indisposé par les personnes qui croient aux OVNIS, qui basent leur vie sur l'astrologie, qui font des pratiques bouddhistes, hindouistes, chrétiennes, ou chamaniques. Je reconnais le droit de penser jusqu'au délire. Mais je m'oppose absolument lorsque cette pensée se présente comme une vérité à acquérir. Une personne qui utilise un système de pensés, quel qu'il soit, n'a pas à imposer son système de pensée, et si elle le fait, nous avons le devoir intellectuel de lui signifier qu'elle outrepasse une éthique essentielle à la liberté et au respect de l'autre. Dès que l'univers intérieur d'un individu se pose comme référence implicite, sans retenue éthique, nous sommes face à une forme de violence à dénoncer. Nous avons tous un univers intérieur, plus ou moins délirant, mais nous avons le devoir de développer la capacité de penser contre nous-même. La valeur qui en résulte s'appelle la liberté.

 

Par ailleurs, lorsque les entreprises de conviction religieuse prennent la forme d'une marchandise spirituelle, à prétention thérapeutique, pour ma part je deviens très agressif, car il s'agit d'une exploitation honteuse de la souffrance humaine.

 

C'est dans ce contexte que j'ai écrit mon ouvrage et j'aurais peut-être dû mieux préciser cet angle. J'aurais employé moins de présupposés.

 

Voici donc en rouge (dans votre texte) mes tentatives d'explication pour créer un pont entre nos pensées.

 

* * *

 

Critique adressée à l'auteur

par François Brooks

Pour commencer, je dois vous dire toute l'admiration que j'ai pour vous — ainsi que pour tous ceux qui font le métier de montreur sur la place publique — pour m'avoir étalé vos états d'âme avec tant d'impudeur. Merci!

 

Chaque fois que je joue le rôle d'auditeur j'ai l'impression de me livrer à une séance obscène de voyeurisme, le « spectacle » qui m'est offert m'en montrant, le plus souvent, davantage que ce que celui qui « performe » n'ose en voir de lui-même. D'ailleurs, je suis dans une situation toute proche de me compromettre moi-même puisque j'écris beaucoup et que, tôt ou tard, on va s'apercevoir que mes pensées sont vendables et on va me faire des offres que je ne pourrai pas refuser. En attendant, j'occupe la position confortable du voyeur et, puisque vous m'invitez à le faire en laissant votre adresse courriel dans votre livre Les marchands d'âme, je me permets de vous adresser les commentaires suivants.

 

Pour nous livrer votre pensée — sur le fond de laquelle je me sens souvent en accord — il me semble que vous avez utilisé le style même qui caractérise ce que vous dénoncez :

 

*   Affirmation péremptoire :

Pour n'en citer qu'une seule, (mais votre livre en est rempli) par exemple en page 56, vous écrivez : « Malgré ces explications boiteuses qui relèvent d'un manque certain de culture, nous devons considérer le « reiki » comme le phénomène de la prêtrise démocratisé. » Pour quelqu'un qui ne connaît pas le reiki, comme moi, cette affirmation a l'heur de me faire croire que vous vous prenez pour un autre. (qui sont ces « nous » dans lesquels vous semblez inclure d'autres que vous-même?) Aussi, vous semblez connaître ce que c'est que « la culture » mais vous ne l'expliquez pas. Vous semblez l'associer avec une comparaison maladroite des stages reiki à la qualité d'une télévision. De telle sorte qu'il me semble assister à une bien ancienne querelle de clocher du temps où il y avait les instruits (ceux qui avaient de la culture) et les habitants (ceux qui n'en avaient pas). Cette forme de pensée binaire est la caractéristique même d'une personne qui manque de nuance dans ses propos. Le manque de culture — René Descartes en faisait son cheval de bataille — n'est pas une excuse au manque de jugement. Descartes disait que la chose la mieux partagée est le bon sens et il était le premier à reconnaître que l'instruction n'avait rien à voir avec cette qualité.

 

Vous dîtes ne pas connaître le Reiki. Je vous crois. J'ai peut-être mal expliqué le phénomène pour les non initiés. C'est dans cette perspective que votre regard (avant publication) m'aurait sans doute permis d'améliorer ma pédagogie.

Ma comparaison « maladroite » avec la qualité d'une télévision est à prendre au sens littéral. Des « Maîtres Reiki » proposent à leurs disciples de poser leurs mains sur une image du Maître (ou sur un écran d'ordinateur présentant la page internet du Maître) pour recevoir l'énergie de guérison universelle!!!

 

Des stages Reiki de quelques heures (qui prétendent guérir tout....dépendant des qualités spirituelles des malades participants) se vendent des milliers de dollars pour former de nouveaux maîtres en quelques fins de semaines.

 

Dans ce contexte, je n'ai pas bien défini la notion de « culture » et je lui ai donné un sens trop large. J'ai employé culture au lieu de formation, c'est-à-dire incompréhension des phénomènes, psychologiques, physiques, chimiques, électriques, philosophiques, éthiques, humains et globalement scientifiques. Comme ça faisait beaucoup, j'ai synthétisé en déclarant un manque de culture générale. Pour avoir déjà argumenté avec des Reikis, je sais qu'ils me considèrent comme un être insuffisamment évolué pour comprendre, comme tous ceux qui s'opposent ou qui émettent le moindre doute devant la prétention à la toute puissance des élus. (En ce sens, nous devrons un jour reparler de M. Moreau qui est malheureusement tombé dans ce piège spiritualiste)

 

 

*   Affirmations fausses :

 

Il s'agissait d'une pointe d'humour noir. Mais je crois bien qu'une carotte déracinée est aussi morte qu'un bœuf désossé. Mais ensemble, ils font un très bon ragoût, nous pouvons en convenir. Mais comment pourrions nous mesurer le degré de mortalité d'un aliment par rapport à un autre? Il s'agirait d'un terrible perte de temps du point de vue du souper entre amis.

 

 

J'en conviens! Ici c'est mon adolescence intérieure qui s'est exprimée. Je n'aurais pas du ajouter « en quelques domaines que ce soit » Au plan pédagogique, il est certain que je valorise la motivation intérieure et le plaisir, plus que l'autorité mais j'espère toujours que le conducteur d'une automobile respectera le feu rouge et qu'il ne me percutera pas dans l'au-delà. Je ne suis pas encore prêt. J'ai encore beaucoup à évoluer!

 

 

Je suis tout à fait conscient de la dépendance à la nicotine et j'ai aussi arrêté de fumer parce que cette agréable habitude me donnait mal à l'estomac. Mais je vous jure que pendant mes vacances lorsque mon fils a allumé une cigarette de tabac brun pendant que je prenais un verre de Pinot des Charente, je me suis profondément ennuyé du plaisir de fumer. Je comprends la douleur que vous avez ressentie en arrêtant mais votre douleur n'est jamais exempte de plaisir. Je vous soupçonne même d'être très fier moralement d'avoir réussi et je vous en félicite! 

 

*   Généralisation et induction :

Là aussi, pour n'en citer qu'une seule, (mais votre livre en contient de nombreuses) en exemple à la page 80, vous écrivez : « Le Nouvel Âge, qui prétendait au départ réintroduire une mystique de la nature propre aux philosophies orientales, est en train de répéter les erreurs fondamentales de la pensée religieuse occidentale : rendre le sacré conditionnel à un comportement d'obéissance infantile. » Dommage que vous n'ayez pas fréquenté les mêmes ateliers que moi, vous auriez moins de comptes à régler.

 

Je ne connais pas les ateliers que vous avez faits et vous ne les mentionnez pas sur votre site Internet. Vous mentionnez par contre vos cours de philo! Je redis cette phrase telle quelle Le Nouvel Âge, qui prétendait au départ réintroduire une mystique de la nature propre aux philosophies orientales, (il s'agissait bien d'une valeur mais je ne l'ai peut-être pas suffisamment reconnue) est en train de répéter les erreurs fondamentales de la pensée religieuse occidentale : rendre le sacré conditionnel à un comportement d'obéissance infantile.  (Absolument! Et il me fera plaisir de vous en parler)

* * *

 

Quelle étrange sensation il me reste après avoir lu ce livre! Même si, sur le fond, je me sens en accord avec vous, à savoir qu'il y a des profiteurs dans ceux qui se prétendent du mouvement du Nouvel Âge et qu'il faut savoir les reconnaître pour les éviter, je me suis senti en conflit avec l'impression que vous dégagez pendant tout votre essai. En fait, je refuse d'endosser votre sentiment catastrophé et j'ai la désagréable sensation que vous utilisez la même attitude autoritaire que celle que vous dénoncez chez les gens du Nouvel Âge. Pour vous, les nuances sont pratiquement impossibles : le Nouvel Âge est complètement noir, à proscrire. Vous n'avez cité aucun exemple en faveur ne serait-ce que d'une seule pratique associée à ce mouvement. Dommage que vous n'ayez pas rencontré madame Nicole Laudouar, ou assisté à un atelier de Jacques Languirand, de Henri Arenstein ou de combien d'autres qui, malgré parfois quelques maladresses humaines, ont fait office, pour moi, de guérisseurs d'âme pour un prix si raisonnable.

 

Mais pourquoi réagissez-vous si fortement? (Vous n'avez jamais rencontré une personne atteinte de cancer qui s'est fait promettre la guérison? Lorsque le charlatan est plus cultivé (c'est-à-dire qu'il connaît les dangers de poursuite) il affirme maintenant (le nec plus ultra est maintenant la biologie totale, allez voir ce mouvement sur Internet) que c'est le malade qui a le pouvoir de se guérir. Vous devez comprendre par là que l'échec est une double condamnation. Non seulement vous mourez parce qu'un cancer s'est développé en vous mais en plus vous n'êtes pas assez évolué pour le vaincre. Il s'agit d'une réédition intellectuelle des méthodes de l'Inquisition où l'on foutait une prétendue sorcière à l'eau : si elle se noyait, le diable ne l'avait pas aidé et elle avait droit au Ciel et si elle s'en sortait, on la brûlait car elle était manifestement possédée. En page 76, vous parlez même de violence incroyable et de torture intellectuelle. Savez-vous bien de quoi vous parlez quand vous parlez de violence et de torture? Vous avez, comme on dit, une crotte sur le cœur, et je ne demande qu'à vous comprendre mais vous ne nous dites à peu près rien de vos propres expériences malheureuses. J'aurais sans doute dû en parler plus et donner plus d'exemple concret. Vous semblez vous être donné d'office le rôle de « sauveur » dans le monde du Nouvel Âge que vous jugez malhonnête. Vous vous contentez d'accabler ce mouvement, d'autorité, comme si le Nouvel Âge n'avait jamais apporté quoi que ce soit de bon.

 

Jacques Languirand était le premier à nous mettre en garde contre les excès possibles des mouvements de spiritualité, y compris le Nouvel Âge. Pourquoi en parlez-vous avec mépris en page 36? Je n'ai jamais parlé de Jacques Languirand avec mépris!! Je lis à la même page que sa démission est la seule chose qui me réjouit du Nouvel âge. Il s'agit d'un hommage. Je ne comprends pas qu'il vous ait échappé et je ne vois pas où je me suis trompé en écrivant.

 

Sa démission du rôle de « pape du Nouvel Âge » n'est-elle pas tout à son honneur? En 1985, j'assistais à un atelier de croissance personnelle donné par Jacques Languirand lui-même. Je faisais parti d'un groupe d'environ vingt personnes. Pendant une semaine — cinq jours consécutifs — il nous entretenait de ses réflexions personnelles et sur diverses expériences d'exploration de sa conscience. À la toute dernière séance, il nous avait cordialement remerciés de lui avoir servi de thérapeute en l'écoutant aussi attentivement et, en plus, en le payant. Cet homme faisait preuve d'une honnêteté intellectuelle qui m'a alors ébloui. S'il admettait avec simplicité qu'une façon valable de voir cette semaine passée avec lui pouvait aussi être celle de la supercherie, c'est qu'il avait l'honnêteté de reconnaître que nous l'avions mis dans une situation de pouvoir et qu'il nous le remettait à nous, ce pouvoir, avant de partir. De ce fait, à mes yeux, il venait de dénoncer tous ceux qui essaieraient d'usurper, à l'avenir, ce pouvoir que nous sommes les seuls à véritablement détenir sur notre vie. Je trouve triste que, loin de vous inspirer de son exemple, vous essayiez de le discréditer, lui et tout le mouvement auquel on l'associe.

 

Votre maître-mot, c'est l'angoisse existentielle (page 82). Ce sentiment, semble-t-il vous est sacré. J'aurais dû préciser que cette ouverture à l'angoisse est une valeur essentielle de la formation des thérapeutes. Un thérapeute qui a peur de l'angoisse se protège nécessairement de son patient qu'il perçoit comme un danger pour sa propre structure psychologique. Dans une perspective de compréhension de l'autre en thérapie, le thérapeute doit pouvoir entendre ou sentir tous les sentiments humains : la peur, la colère, l'angoisse, la tristesse, l'humour, de façon à être capable de créer un espace d'écoute et de respect. En ce sens, l'angoisse et la mort sont les deux thèmes les plus difficiles à supporter et ils conduisent très souvent les thérapeutes à rejeter leurs clients qui sont aux prises avec ces réalités.  Il ne faudrait pas faire la bêtise d'y échapper mais vous n'expliquez pas pourquoi. Pourquoi vaudrait-il mieux être angoissé qu'éthéré? Vous pouvez être éthéré si vous le voulez, mais si vous devez soigner quelqu'un il serait souhaitable que vous soyez capable de vous ouvrir à une autre forme d'expression humaine plus sombre. En pages 85 et 86, votre texte L'ANGOISSE D'EXISTER ne nous en dit rien. Vous avoir connu avant, j'aurais développé dans le sens que je viens de décrire. 

 

Là où votre livre culmine, c'est en page 92 et 93. Vous utilisez à profusion un vocabulaire qui me donne la triste impression d'assister à un délire d'extrémisme. ... Absolu ... parfaite ... véritablement ... définitivement ... extinction complète... fanatiques ... idéalisée ... divinisée ... manichéisme a atteint un stade d'épidémie ... hyperrationalité vacillante ... exhibition permanente ... chaos généralisé. N'utilisez-vous pas ici le vocabulaire eschatologique caractéristique de toute religion qui s'appuie sur la peur des « fins dernières » pour donner de la crédibilité à sa croyance? L'exhibition d'un état d'âme aussi peu serein n'a rien pour me convaincre que son propos a de l'importance sinon que vous souffrez et c'est sur ce point que vous me touchez. J'ai mal à mon humanité, vous avez raison mais je ne cultive pas cette douleur. Elle me vient de mon histoire et de ma sensibilité à l'expérience humaine que je souhaite par ailleurs jouissive. Je ne vois pas, en page 92-93, ce qui culmine. J'y vois une continuité pamphlétaire teintée de quelques exagérations à visée provocatrice.  Je n'en pense pas moins que la pensée manichéenne est au stade d'épidémie. Ben Laden n'avait pas encore attaqué l'Amérique et Saint George Bush n'était pas au pouvoir lorsque j'ai écrit cet ouvrage. Même Benoît XVI considère que le fanatisme religieux est en train d'atteindre des sommets dangereux.

 

Pour le peu que j'ai pu apprendre dans la vie, je pense que le monde ressemble généralement à l'image qu'on y projette. Je suis triste et touché d'avoir lu à quel point vous portez en vous une image si négative d'un mouvement, le Nouvel Âge, dont vous tirez vous-même profit de par votre profession d'acupuncteur et de massothérapeute. J'ai quitté cette profession en 2000. N'avez-vous donc aucun pouvoir sur cette image qui a d'abord été projetée sur vous? Vous me faites un peu penser au docteur Serge Mongeau qui voyait tout noir dans la médecine et qui a dû « défroquer » pour s'en aller vendre des livres et regagner sa sérénité. (Le comique dans son histoire c'est que sa maison d'édition porte le nom d'Écosociété. Il publie des livres qui se portent à la défense, soi-disant, de l'écologie mais contribue à la déforestation puisque 20% des arbres qu'on coupe sur cette planète servent à faire de la pâte à papier.) Je me demande si vous n'auriez pas avantage à vous recycler dans, par exemple, un quelconque métier de la construction pour regagner la vôtre de sérénité. J'adore construire des choses concrètes. Si vous avez un bon emploi payant pour moi en ce domaine, n'hésitez pas à m'en faire part!

 

En page 120 et 121, dans votre texte DES LUTTES CORPORATISTES BIEN TRADITIONNELLES, il me semble que vous commettez tous les « péchés » que vous dénoncez, et pourtant, c'est ce qui vous donne de la crédibilité à mes yeux, c'est ce qui fait que la lecture de votre essai m'est utile. Je vous vois comme un bateau échoué sur un récif et qui reste là coincé mais utile comme un sémaphore pour m'indiquer où est le danger que je dois éviter. Je ne comprends pas ce paragraphe. Je n'ai jamais mené de luttes corporatistes mais je suis capable de penser contre moi-même et contre le mouvement qui me porte. C'est une question d'intelligence et de jouissance. Votre jugement me semble personnel et très dur.

 

Mais, si je terminais cette lettre ici, vous auriez raison de dire que, tout comme vous, je ne fais que critiquer et que je suis tombé dans le piège. Cependant, je dois reconnaître que vous avez déposé quelques réflexions que j'estime d'une grande valeur.

 

Par exemple, aux pages 121 à 124, dans votre texte SCIENCE, ANTISCIENCE ET SCIENTISME, vous dénoncez ceux qui invalident l'esprit scientifique au profit d'un spiritualisme anti-scientifique aussi bien que le corporatisme lorsqu'il déraille dans le champ du pouvoir. Je suis plutôt d'accord avec vous. Les exemples que vous apportez sont convaincants et forcent l'adhésion. J'y critique l'Association des sceptiques du Québec qui m'ont néanmoins remis le prix Sceptique 1999. Intéressant non?

 

Je trouve particulièrement intéressante et riche de réflexion, votre affirmation selon laquelle vous estimez que la santé n'est pas l'absence de maladie. J'estime cette réplique très efficace pour contrer celle du docteur Knock (dans la pièce de Jules Romains) qui prétendait que tout être bien portant est un malade qui s'ignore. Elle semble parfois devenue le credo dans certains milieux médicaux ou « nouvel-âgeux ». Cette façon de voir la vie vous honore puisqu'elle apporte l'espoir que, même imparfaite, la santé peut apporter, malgré tout, une vie satisfaisante.

 

Je me joins à vous dans le dernier paragraphe de la page 134 pour dénoncer la maladie présentée sous forme de version à peine modernisée du péché judéo-chrétien. Cependant, je pense que l'esprit de cette idée, s'il n'avait pas été déformé d'une façon outrageuse, devrait inciter le malade à comprendre que sa lutte contre son mal peut être efficace de par sa seule volonté et l'action qui en découlera. Bien sûr, de nombreux autres facteurs entrent en ligne de compte et il devient absurde de responsabiliser entièrement le malade pour son état. À cet effet, la prière des AA nous montre, je pense, la voie de la sagesse :

Mon Dieu, donnez-moi la sérénité d'accepter les choses que je ne peux changer, le courage de changer les choses que je peux, et la sagesse d'en connaître la différence. Cette demande à une force extérieure hypothétique m'est étrangère mais il n'en n,a pas toujours été ainsi.

 

Vous nous servez une perle dans le deuxième paragraphe de la page 135 que vous terminez savoureusement en écrivant : ... Ainsi vont les élus et les exclus. Il en est de même pour les peuples en guerre alors que Dieu n'en finit plus d'être dans tous les camps et de s'assassiner lui-même.

 

Puis-je vous faire un clin d'œil lorsque, en page 137, la sagesse semble se pointer dans le deuxième paragraphe : Lao Tseu disait : « Celui qui sait ne parle pas, celui qui parle ne sait pas. » Vous distordez cette sage parole à votre avantage en suggérant que le Nouvel Âge se taise pour laisser parler l'angoisse que vous chérissez. Je ne chéris pas l'angoisse. Elle fait partie de l'expérience humaine et je tente de bien vivre avec mais je ne réussis pas toujours très bien et il m'arrive même de la haïr très profondément. Il en va de même de la mort. Cependant, si on veut rester fidèle à Lao-tseu, dès lors, ne devrions nous pas nous taire tous les deux? Mais puisque vous avez parlé, vous m'avez provoqué, et par cette lettre, j'ai quitté la sagesse du silence. C'est le grand paradoxe du taoïsme.

 

Mais je voudrais que mon imprudence soit fructueuse. Je ne voudrais pas que vous gardiez un sentiment amer de moi. Ce n'est pas le cas. Aussi, j'espère que ma lecture et mes commentaires ne vous auront pas trop écorché mais au contraire, pourront me rapprocher de vous parce que j'aimerais vous inviter personnellement à participer à une rencontre où des auteurs et des quidams viennent se rencontrer et s'ouvrir aux autres afin d'améliorer leur écriture. Ces rencontres s'intitulent Philosophie sans fumée et ont lieu le premier vendredi de chaque mois chez-moi dans une atmosphère conviviale. Mes invités, (environ 6) s'intéressent tous à la philosophie et cultivent la critique de leur propre pensée en cherchant à se connaître eux-même à travers l'observation des autres. Je suis d'accord s'il est possible de rire en philosophant chez-vous.

 

Si j'ai pris la peine de souligner ce que j'ai interprété comme des défauts chez-vous, ce n'est pas tant pour vous critiquer que pour essayer de voir comment je me sens moi-même face à ce miroir que vous me présentez et dans lequel je ne me suis pas senti confortable de me regarder. C'est là que je vous parlerai probablement de mon échange de courriels avec M André Moreau.

 

Je serais heureux que vous acceptiez mon invitation. Je pense qu'on pourrait peut-être construire quelque chose de solide ensemble... comme une amitié.

Pour me connaître davantage, je vous propose de visiter mon site personnel www.philo5.com . Vous y trouverez, entre autres, mes textes personnels et ça vous donnera une occasion de me connaître. (Hé! oui, tout comme vous, j'ai pris le risque de m'exposer. Vous pourrez à votre tour me critiquer ou me flagorner.). Je n'y manquerai pas!

 

Je vous adresse, monsieur Michel Pruneau, mes salutations distinguées.

Moi de même, en saluant encore votre élégante pensée.

 

P.S. : Je trouve votre tête sympathique J sur la photo en page couverture de votre livre. Merci, mais je vous avise que j'ai un peu vieilli depuis!!!

  

Le métier d'écrivain et, particulièrement, celui d'essayiste est un dur métier. Si j'étais publié, je serais tenté de penser que les gens qui achètent mon livre donnent du pouvoir à mes idées mais n'est-ce pas plutôt le contraire?

Compte tenu du fait que je dénude ma pensée devant le lecteur, ne suis-je pas plutôt en position de faiblesse? Je ne sais rien de lui et je lui dévoile mes pensées les plus intimes.

Il a payé pour voir ma pensée comme on aurait payé pour faire se déshabiller une prostituée. Alors, c'est donc lui qui a du pouvoir sur moi, contrairement à ce qu'on pourrait croire. Lawrence d'Arabie (Thomas Edward) disait : « Seul le serviteur se fait payer. C'est le maître qui paie ».

Je comprends l'angoisse de l'auteur et sa solitude lorsqu'il met son esprit à nu devant tous, exposé aux critiques de ceux qui, à couvert, peuvent confortablement décocher sur lui les flèches de leur jugement. Mais les gens qui ont payé pour regarder sont les seigneurs et l'écrivain leur doit la vie. Sinon il serait resté dans l'anonymat, dans la sagesse du silence.

Les auteurs les plus critiqués sont souvent ceux qui se font le plus connaître. Et pour réussir, il faut être connu. Donc, si on vous critique, sachez rebondir sans vous laissez abattre. J'aurais aimé être beaucoup plus critiqué que je l'ai été mais le milieu des médecins douces et du nouvel âge ne m'a jamais adressé une seule critique. Mon ouvrage a été totalement ignoré!

Dieu, comme celui qui sait et dont parle Lao-tseu, reste silencieux et invisible. N'est-ce pas ce qui lui a donné tant de pouvoir sur l'humanité? Ce silence divin génère surtout beaucoup d'angoisse!

 

Au plaisir!

 

Michel Pruneau



[1] Suite à ma lecture du livre de Michel Pruneau, Les Marchands d'âmes, © 1998 Stanké.