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par François Brooks
J'adore beaucoup ton site, il est
super, mais il y a certains sujets dont j'ai de la misère à comprendre. Comme
celui de la mort. Je ne sais pas encore ce que j'en pense, suite au décès de ma
jumelle Virginie qui est disparue dans un accident tragique voilà 3 ans. Je ne
l'accepte pas encore et j'essaie de comprendre et je n'y arrive pas.
Amitié Corrine xxx
* * *
Bonjour Corrine
J'ai vu une émission spéciale, l'automne dernier, qui racontait la réalité des jumeaux. Peut-être l'as-tu vue toi aussi. On nous a présenté, dans différents volets, des couples de jumeaux de chaque groupe d'âge. C'était fascinant. C'est une réalité que je ne connaîtrai jamais mais je peux comprendre ton deuil. Le grand vide que Virginie a laissé chez toi est sans doute terrible. Je pensais en voyant ce reportage que les jumeaux ont la chance d'avoir une présence dans leur vie qui apporte quelque chose de très concret dans leur réalité existentielle. Comme un miroir vivant... Nous, les simples, avons dû nous accommoder de cette solitude depuis toujours mais perdre son jumeau, j'imagine que c'est comme perdre une partie de son être, perdre son « back up », son miroir, celle qui te vérifie.
C'est un aspect de la mort que je n'aurai heureusement pas à vivre mais, de mon côté, j'ai eu maille à partir avec la mort depuis ma gestation. En effet, mon père, dont ma mère était follement amoureuse, est décédé d'érysipèle (maladie infectieuse virulente) alors que ma mère était enceinte de moi depuis cinq mois. Il y avait dans la maison durant toute mon enfance et jusqu'à ce que je parte de la maison, un squelette qui se promenait et hantait les lieux. Après la mort de ma mère et une psychothérapie, j'ai fini par exorciser ce squelette avec lequel je suis né. Mais ce n'est qu'après mes études philosophiques que je me suis complètement débarrassé de mes appréhensions face à la mort.
Ici, il y a une distinction à faire entre le deuil que tu vis (qui est une manifestation de la vie) et la mort en tant que telle qui est l'entrée dans le néant, c'est à dire « rien ». Je ne sais pas lequel de mes textes tu as lu exactement, mais j'en viens à considérer la mort comme une irréalité, une impossibilité. En soi, la mort est inconnaissable parce que pour connaître quelque chose, il faut avoir un système nerveux, des senseurs (nos sens) bref, il faut être vivant. Peut-être as-tu déjà vécu l'expérience de rester couchée longtemps sur ton bras, coinçant un nerf, et ensuite te réveiller et ne plus le sentir pendant un moment. Pour moi, la mort, c'est ça : ne plus rien sentir de tout le corps, y comprit l'esprit, retourner au néant. C'est pourquoi j'ai perdu toute appréhension sur ce qui pourrait m'arriver après ma mort puisque je n'aurai plus ce qu'il faut pour être. Pour être, il faut être en vie. La mort n'existe pas. Penser à la mort, c'est un acte de vivant, la mort, ce n'est rien. Ce sont les vivants qui VIVENT des appréhensions face à la mort. Hors de la vie, rien n'existe. L'être d'une pierre n'a pas ce qu'il faut pour être. Seul un vivant peut considérer cette chose. La pierre, n'a ni temps ni dimension : elle n'est constituée que par l'idée que nous nous en faisons. Pour mieux comprendre, tu peux peut-être lire sur mon site dans « Les philosophes », Berkeley. Il a une perception immatérialiste qui aide à comprendre que hors de la vie, rien n'existe.
Pour ce qui est de Virginie, deux choses sont à considérer : premièrement, Virginie elle-même, et deuxièmement, ce qui reste en vie d'elle. Virginie a cessé sa vie biologique. Son être à elle, pour elle-même, est entrée dans le néant. Elle ne sent plus rien, ni peine ni joie, ni faim, ni rien. Il n'y a donc pas lieu de s'inquiéter pour elle. Rien ne peut plus l'atteindre puisque pour être atteinte, il faudrait qu'elle puisse ressentir quelque chose. Ceci ne veut pas dire qu'elle est disparue pour nous les vivants. Dans notre esprit, elle continue de vivre. À chaque fois que nous y pensons, nous lui prêtons vie. Elle est bien vivante ici maintenant pendant que je t'écris dans mon esprit par l'idée que je me fais d'elle. Et tu la feras revivre encore dans le tien quand tu liras cette lettre en pensant à elle.
Le plus difficile à comprendre pour nous les vivants, c'est la mort, puisqu'elle ne fait pas partie de nous. La mort nous est étrangère. Tellement que nous ne la connaîtrons jamais. Nous connaîtrons l'agonie, l'expiration de notre dernier souffle, mais, ce sont encore des manifestations de la vie. Pour les vivants, rien d'autre n'existe que la vie, c'est pourquoi la mort nous est inconcevable. Tellement que nous avons inventé de nombreuses institutions depuis la nuit des temps qui prêtent vie à nos morts pour pouvoir nous accommoder de leur disparition. Ceux que nous avons aimés restent à jamais vivants dans nos mémoires tant que nous vivrons. Voilà bien l'immortalité. Leur souvenir n'est pas triste, c'est la privation de leur présence qui nous attriste. Quand on est attaché à un être aimé, c'est une saloperie que la vie nous fait de nous en priver. Mais parfois la vie n'a pas de cœur, elle tue et fait naître aveuglément et au mauvais moment.
On peut alors essayer de trouver du réconfort de plusieurs façons. Je trouve le mien en essayant de mieux aimer ceux que je rencontre. La mystique chrétienne est très riche d'enseignements sur les questions qui concernent la mort ; elle peut aussi apporter, je crois, du réconfort. L'embêtant avec la mort, c'est qu'elle est incompréhensible pour nous les vivants. Pire, elle ne l'est pas plus pour les morts puisqu'ils n'ont plus ce qu'il faut pour comprendre quoi que ce soit. La mort est et restera toujours un mystère. Je m'en accommode en me disant qu'elle n'existe pas, mais je sais que c'est absurde puisque penser la non-existence d'une chose, c'est encore penser, ce n'est donc pas rien. Au bout du compte, ça devient rigolo comme se creuser la tête pour rien puisqu'il n'y a rien à comprendre. Mais tout le tragique de l'absence est bien là, lui. Et je comprends ta douleur.
Je t'embrasse chaleureusement.
XOXOXO
François