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par François Brooks
Les Romains jetaient les premiers chrétiens dans la fosse aux lions simplement parce qu'ils refusaient de faire leurs offrandes et actes de foi aux dieux officiels de l'époque.
Plus tard, au Moyen-Âge, lorsque le christianisme est devenu la religion officielle, l'Inquisition brûlait ceux qui déviaient du dogme de foi imposé par l'Église. Le philosophe Bruno (1548–1600) en sait quelque chose. Accusé d'hérésie, il fit sept ans de prison et fut ensuite brûlé vif sur la place publique pour avoir osé avancer l'idée que l'univers était infini.
Dans mon enfance, on fustigeait les libres-penseurs qui dénonçaient le pouvoir de l'Église Catholique en les menaçant d'excommunication. On les traitait péjorativement de communistes. Il était interdit de ne pas penser comme l'Église le dictait, et la confession obligatoire visait à vérifier notre conscience.
Aujourd'hui, suite à la Révolution Tranquille des années soixante, chacun a le droit de penser ce qu'il veut puisque la foi religieuse est sortie du domaine public pour entrer dans le domaine privé[1]. Chacun, pour soi-même, a maintenant le droit de croire ce qu'il veut. La religion, c'est comme les goûts, c'est personnel. On n'en parle plus. La foi des autres ne nous regarde pas. Pour éliminer les conflits religieux, on a fait sortir les coutumes religieuses du domaine public pour les consigner dans le domaine personnel.
Voilà bien une source de conflit éliminée. Mais est-ce à dire que nous sommes enfin sortis du sempiternel conflit entre ce qui concerne le privé et le public? Certainement pas. La plupart des conflits qu'on nous présente dans les médias, relèvent de débats entre ce qu'il convient de faire (ou de ne pas faire) dans un groupe et ce que l'individu a personnellement le droit de faire.
Comme l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen le définit, la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Ainsi, tout seul, chez-moi, dans l'intimité de ma résidence personnelle, j'ai virtuellement le droit de faire, dire et penser absolument tout ce que je désire. Cependant, aussitôt que je ne suis plus seul, je suis contraint à respecter la volonté d'autrui et prendre en compte ce qu'il pourrait considérer comme nuisible. La référence publique est le Code Civil.
Dans notre quête de liberté, la Révolution Française et la Révolution Tranquille furent un pas de géant. Je pense que la révolution informatique est un pas de la même envergure. En effet, imaginez tout ce que pourrait nous permettre de faire un ordinateur-robot consentant. En effet, ces machines, extensions de nous-mêmes, nous permettent de vivre une expérience d'altérité factice sans sortir du domaine privé. Ainsi, dans l'intimité de notre foyer, nous pouvons donner libre cours à nos fantasmes avec des machines tellement perfectionnées qu'elles nous créent une illusion acceptable de partager des expériences avec d'autres sans tomber sous le coup des interdictions applicables au domaine public.
La liberté, dans le sens de « pouvoir faire tout ce que je veux sans nuire à autrui », n'est-elle pas encore promise à d'intéressants développements? Sans-doute, mais elle reste soumise aux limites de notre imagination, à nos tabous personnels et, bien sûr, à la mesure de nos moyens financiers. D'autres pas restent à faire...
[1] Annick Drogou, Le dico des sectes, Les Essentiels Milan ©1998 (p.9 et 137, La Loi de 1905 nous avait devancés de plus d'un demi-siècle en France.)