par François Brooks
— Quel est ton nom?
— Nathalie.
Nos jeunes n'ont plus de nom. Désormais, ils n'ont qu'un prénom. Essayez pour voir ! Demandez son nom à un moins de 35 ans. Il vous répondra systématiquement par son prénom. Si vous insistez, il vous dira que son nom n'a pas d'importance, qu'« ici », tout le monde le connaît par son prénom et qu'il est le seul ainsi nommé.
Qu'est-il arrivé pour qu'en une seule génération, le nom se perde ? Ce nom de famille, qui autrefois faisait la fierté des gens et dont la réputation ouvrait toutes les portes, n'aurait-il plus aucune raison d'être ? Ça me fait drôle de penser que les féministes qui insistaient pour ajouter leur nom – pourtant donné par le père – à celui du conjoint pour nommer leur progéniture voient celui-ci pratiquement disparaître dans l'usage courant. On imposait à ces enfants une signature si longue qu'ils ont tôt fait de régler le problème en l'éliminant tout simplement. Solution assez pertinente puisqu'elle résout aussi, pour les enfants du divorce (plus de 50% de la population), l'odieux de porter le jumelage de patronymes qui sont pour eux symbole de discorde.
Il fut un temps où porter le nom de son père, fille ou garçon, loin d'accabler, était synonyme de fierté. À cette époque, on n'aurait jamais pensé se présenter par son prénom.
— Quel est votre nom?
— Brooks. (Comme mon père dont je suis fier !)
Le nom seulement était synonyme de respect, de réputation, gage de fortune.
Les familles ont éclaté et les enfants ne mettent au monde souvent que des chiens et des chats. Ça me soulage d'ailleurs de penser que la lignée de la folie féministe – avec les valeurs de consommation qui l'accompagnent [1] – s'arrêtera dès la deuxième génération sur un chien ou chat appelé « mon bébé Dupont-Tremblay ».
Il y a aussi le remord éprouvé par la deuxième génération insultant ses ancêtres en éliminant – côté pratique oblige – deux ou trois noms pour n'en plus porter qu'un seul. Vraiment, la famille n'est-elle plus qu'une cause d'irritation ?
Une féministe géniale m'avait présenté, une fois, son idée pour régler le problème définitivement. Égalitariste radicale, elle proposait que toutes les filles prennent, à la naissance, le nom de la mère et les garçons, celui du père. Belle guerre des sexes en perspective ! Il y avait dans cette idée matière à pérenniser la chamaillerie féministe opposant hommes et femmes pour des siècles. Au bout de trois générations seulement, le nom à lui seul indiquerait si la personne est fille ou garçon. Bien entendu, l' idée « géniale » escamotait le fait que tous les noms proviennent d'un aïeul masculin, et que la dénomination est un attribut essentiellement masculin. La femme donne le corps, l'homme transmet la pérennité avec le patronyme et l'esprit qui l'accompagne, gage de réputation qu'il s'engageait à édifier par souci de fierté nominale – valeur qui, se perdant, a causé une chute sans précédent de motivation paternelle. Que reste-t-il de distinct pour stimuler le goût de la paternité ? On est fière d'être mère, oui, mais avec quoi peut-on alimenter la fierté d'être un homme ?
Autrefois, les gens étaient d'abord fils de la terre, d'un lieu, d'une ville avant d'être des individus. On s'appelait Thalès de Milet ou Zénon d'Élée. On était aussi le fils de son père : Jésus de Nazareth, fils de Joseph. Les besoins identitaires n'ont pas tellement changé, l'identité provient de trois sources : d'abord, pour l'entourage immédiat, l'individu : François ; ensuite, pour la notoriété, le clan familial : Brooks ; et pour terminer, le lieu de provenance : de Montréal. Mais aujourd'hui, la famille a éclaté, les nations se dispersent, nos adresses sont virtuelles, souvent nous ne portons plus que des pseudonymes. Nous voulions l'affirmer et voilà que notre identité s'est fragilisé ? Détachés des liens véritables de notre provenance, ne sommes-nous pas condamnés sans cesse à la rechercher ? Qu'on le veuille ou non, nous sommes nés avant tout d'un lieu ; notre esprit s'est ensuite formé dans la famille ; et l'identité personnelle n'apparaît que plus tard. Le rejet de nos sources ne fera-t-il que des gens à l'identité chancelante en quête d'eux-mêmes ? Qui est celui qui cache ses racines ?
[1] À l'âge de 18 ans, un seul enfant aura coûté aujourd'hui 180 000$ à ses parents. (Revue L'actualité, 1er avril 1999)