111103

Chère femme
(Dear Women)

par François Brooks

Femme, je peux difficilement exprimer
Mon émotion troublée et mon inconséquence
Après tout, je vous serai toujours redevable
Femme, j'essaierai d'exprimer
Mon sentiment intime et ma gratitude
Pour m'avoir montré ce que signifie le succès.

John Lennon, Woman

Qui n'a pas quelques dettes de reconnaissance envers au moins une femme dans sa vie ? John Lennon leur avait fait un vibrant hommage dans la chanson Women. On comprend vite l'intérêt d'un tel hommage. Sans elles, jamais il n'aurait pu être plus populaire que Jésus [1]. J'ai moi-même une dette infinie envers plusieurs, et particulièrement envers celle qui me motive chaque jour à ouvrir les yeux le matin : mon épouse adorée. « La femme est Dieu », avait dit justement Woody Allen [2]; elle suscite un culte jamais démenti par l'Église Catholique, cristallisé dans l'image de la Sainte Vierge. Et quel homme ne ferait, l'impossible pour se sortir de l'imbroglio mondial causé par la propagande féministe et consoler toutes les blessures féminines investies d'un pouvoir de victimisation millénaire ? Parce que les femmes souffrent, personne ne peut le nier ; n'est-ce pas d'ailleurs une caractéristique humaine inhérente à toute existence ? Mais j'avoue avoir visionné la vidéo Dear woman (Chères femmes) avec une certaine gêne. Celle-ci n'a pourtant rien à voir avec une culpabilité masculine inconsciente que je refuse de cultiver.

Ce clip a le mérite d'aider à comprendre comment, avec les meilleures intentions du monde, l'inconscience alimente son propre aveuglement et permet aux conflits de se perpétuer tout en prétendant ouvrir les consciences. Voyons d'abord de quoi il s'agit. (Une série d'hommes caucasiens (tous mâles blancs sauf un) de tous âges demandent pardon pour les sévices historiques infligés aux femmes par la violence masculine inhérente au mâle qui les habite et leur tend la main pour s'engager ensemble vers un avenir meilleur.)

Quelle curieuse pratique que celle initiée par le Christ consistant à prendre sur soi le péché des autres au nom d'une humanité qui s'autoflagelle publiquement pour offrir le jouissant spectacle de l'humiliation au dominateur qui a réussi la conquête : tendre l'autre joue à la dominatrice féministe (voir les commentaires féminins éloquents). Ce faisant, Jésus a racheté tous les péchés du monde, affirme la chrétienté. Pourtant, son immolation consentie n'a rien empêché des deux milles ans de cruauté postérieure. Pire, la chrétienté a maintenant les péchés des Croisades et de l'Inquisition sur la conscience. Les vœux pieux des hommes innocents et sans pouvoir de ce clip feront-ils autre chose que de soulager leur propre conscience meurtrie par une propagande culpabilisante adressée à la gente masculine ?

Alain Soral explique bien dans Vers la féminisation que les hommes ont d'abord toujours asservi d'autres hommes bien avant d'asservir les femmes qui, au foyer, étaient généralement protégées par leurs époux, et jouissaient du statut de maîtresses des lieux et du privilège de la transmission culturelle initiale aux enfants. J'ai de la compassion pour cette majorité d'hommes, boucliers de leur famille, et pourtant victimes des conditions opprimantes de leur travail mais accusés injustement du simple fait qu'ils soient nés hommes ; triple ostracisme. Attention, je ne justifie ici aucunement la violence conjugale qui a pu accompagner les conditions misérables de nos ancêtres. Je dis simplement que les hommes jadis écrasés sous le joug de la responsabilité familiale et des régimes politiques asservissants voient maintenant leur mémoire globalement souillée par un mouvement issu d'une propagande embobinante qui a réécrit l'histoire de manière à faire de la femme d'aujourd'hui la policière servile de la soumission marchande actuelle. Désormais, le sexe féminin prédomine, autant par la dette expiatoire que lui doit l'homme rétrogradé de protecteur à dominateur, que par son endoctrinement servile à faire observer l'idéologie qui lui fait croire qu'elle est maintenant libre alors qu'elle n'a jamais été plus servile socialement qu'en adhérant au postulat lui dictant qu'elle doit faire tout ce que l'homme fait en plus de ses tâches biologiques traditionnelles. Et ceci en abandonnant sa famille à l'État qui l'a remplacée dans toutes ses fonctions traditionnelles, dissolvant définitivement la cellule familiale pour instrumentaliser chacun de ses membres au service d'une idéologie marchande et de la fuite en avant d'une dette économique à progression logarithmique.

 

Ainsi ces nouvel-âgeux pénitents s'excusent au nom de leur sexe pour la moitié de la population à laquelle ils s'identifient alors que c'est l'ensemble de l'humanité qui a toujours été asservie par une poignée de dominateurs et, n'oublions pas, de dominatrices parfois plus cruelles (pensons à la reine Mary I, à Isabelle première de Castille ou à Elizabeth Báthory). Jean-Philippe Trottier avait bien vu l'arnaque dans Anatomie d'une illusion : le féminisme est l'ultime avatar d'un patriarcat en crise : on affiche la femme comme essentiellement angélique, intouchable, vierge innocente. Le bateau planétaire est en train de couler sous le poids démographique et les rats de la responsabilité quittent le navire alors que la population humaine entière est le produit d'un ventre de femme. Les femmes et les enfants d'abord ! Voilà la noblesse supplémentaire de l'homme qui, par son amour indomptable du féminin, s'aveugle de culpabilité et s'efface pour faire place à la femme qui a gagné le combat de la compétitivité.

Il faut lire Nietzsche dans La généalogie de la morale, (Deuxième traité, #1 à 6) pour entrevoir que le spectacle de la souffrance des repentants répond à la dynamique de l'agresseur qui, dans le cas de cette vidéo, est ici « les femmes prises en bloc ». Une honnête féministe répudierait cette repentance bidon qui fait des femmes un groupe de soumises impuissantes et leur refuse toute responsabilité négative dans l'ordre du monde. D'autre part, n'est-il pas incroyablement prétentieux de prendre sur ses épaules tous les péchés mâles du monde passé ?

Bref, cette vidéo nous montre, ou bien des imposteurs, ou bien des inconscients serviles, mais sûrement des penseurs à très courte vue. Je vois sept raisons pour justifier le malaise qui en émane :

  1. Ces hommes ne sont coupables de rien personnellement et chacun ne peut parler que pour lui-même. « Les hommes » en tant que « groupe » ne leur ont rien demandé ; ils ne peuvent donc pas parler au nom de tous, et en tout cas pas en mon propre nom. Dans un monde libre et responsable, la culpabilité est affaire personnelle. Chacun doit répondre pour lui-même de ses propres actes. Si au contraire nous vivons dans une culture globalisante, nous ne sommes donc pas libres, donc pas responsables, et la culpabilité ne peut nous affecter. Si leur repentir était valide, chacun serait coupable ; autrement, si aucun n'est personnellement responsable, n'est-il pas incongru de s'excuser d'une faute historique ? Pas plus que le bâtard n'a à répondre du viol qui l'a fait naître, je n'ai pas à répondre personnellement ni collectivement de l'Histoire qui précède ma naissance. Né homme sans l'avoir choisi, je ne peux ni en être fier, ni en avoir honte (voir Skinner et Sartre).

  2. Ce clip affiche un exhibitionnisme souffreteux et des promesses qui n'engagent à rien ; voyez mon âme qui saigne d'être née homme, viril, potentiellement cruel ; je jure de ne jamais me laisser aller à mes bas instincts masculins ; alors que chacun d'eux se présente sous les appâts de l'agneau émasculé qui ne ferait pas de mal à une mouche. Personne n'est responsable de sa propre naissance — pas plus homme que femme — personne ne peut donc culpabiliser. Le péché originel est un accessoire de soumission chrétienne qui ne résiste pas à un raisonnement sain posant l'homme en individu libre et responsable. Il comporte ceci de pernicieux qu'il justifierait la violence du simple fait que celle-ci relèverait d'un destin inévitable. Si le péché originel est une notion juste, l'homme violent est donc justifié puisqu'il n'est pas libre de ses actes ; sa nature l'enchaîne. Pourquoi feindre patte blanche alors que le premier d'entre nous, ne sachant pas nager, noierait instinctivement celle qui vient imprudemment à son secours ? La violence n'est coupable que si elle est issue d'un choix libre. Or la liberté est un attribut volontaire difficile à s'approprier. Laborit a montré que l'instinct de survie et de domination est une composante essentielle de la structure nerveuse qui nous permet de survivre. Et puis, comment pouvons-nous juger les hommes d'une autre époque avec les critères de liberté propres à la nôtre ?

  3. Les protagonistes de ce clip justifient involontairement l'agression en implorant le pardon, donc, la vengeance de la dette (voir Nietzsche, Généalogie de la morale, Deuxième traité, #1 à 6), c'est-à-dire, « prenez maintenant le fouet mesdames, nous méritons d'expier la dette masculine contractée par la violence historique de nos prédécesseurs mâles ». Cette position perpétue le cycle de la violence alors que l'intention avouée est de l'enrayer : la première femme qui acceptera ces excuses, en plus de l'imposture à laquelle elle participera, deviendra l'écho d'une nouvelle violence susceptible d'expiation du seul fait que l'acquiescement aux repentances d'hommes innocents sera une nouvelle injustice, une nouvelle forme de violence. Le cycle de la violence n'est donc pas rompu. Seuls ceux qui sont victimes peuvent pardonner. Voilà tout le dilemme : la culpabilité de l'agresseur meurtrier ne pourra jamais être effacée, d'où la nécessité pour les assassins repentants de croire au pardon d'un Dieu fédérateur universel du monde des vivants et de celui des morts. Sinon l'angoisse ronge la vie. Les féministes poursuivent une chasse aux sorcières masculine qui ronge l'homme contemporain ; il se croit obligé d'expier les fautes des autres, et à jamais impardonnables. Paradoxalement, ceci prive les femmes des conjoints sains et forts dont elles auraient tant besoin pour les protéger d'une propagande qui en a fait aujourd'hui les premières esclaves, avant l'homme, d'une société marchande en voie de s'écrouler.

  4. Leur position est aussi prétentieuse que celle du Christ prétendant sauver le monde qui a néanmoins continué à fauter dans une escalade sanguinaire à la mesure de l'expansion démographique et du développement technologique. Que chacun de ces hommes se contente de pratiquer chaque jour la non-violence pour lui-même et il vivra l'âme en paix, sans plus. Que chacun agisse pour influencer positivement les actions de ceux qu'il côtoie et aucun n'aura besoin de panser des blessures dont il n'est pas responsable. Si le Christ avait agi ainsi, il nous aurait épargné l'horreur de voir son corps crucifié agonisant partout dans les églises Catholiques. Nous aurions ainsi davantage été influencés par l'exemple édifiant d'un bienfaiteur que par la crainte d'un horrible supplice qui appelle une vengeance jamais expiée. En effet, aussi bien que le mort ne peut jamais pardonner son meurtrier, la dette occasionnée par le tort infligé à la victime ne peut jamais être remboursée si la camarde les sépare.

  5. Ces hommes rampants se donnent bonne conscience dans le confort d'un innocent vidéo alors qu'ils pourraient s'engager — autrement plus vaillamment — en s'impliquant sur le terrain pour saboter la violence qu'ils dénoncent — ce que font d'ailleurs admirablement certains groupes comme la Croix-Rouge et Médecins Sans Frontière, pour ne mentionner que ces deux-là. L'homme coupable est un homme faible. Qui a besoin d'un faible pour le protéger ?

  6. Ils renforcent ainsi un cliché féministe social monstrueux qui n'a rien fait d'autre pour améliorer le monde que d'affirmer que les hommes sont historiquement les principaux responsables de la souffrance des femmes, se lavant ainsi les mains de toute responsabilité alors que chaque homme et chaque femme sont pourtant nés du ventre d'une femme. Ne pourrait-on pas dire que, enfantant tous les hommes, la femme est aussi responsable d'enfanter tous les agresseurs ? La logique de la culpabilité s'inverse facilement. Cette dialectique de la dette coupable ne nous enferme-t-elle pas dans le cycle de la violence accusatrice réclamant l'expiation ? On se croirait encore dans les mêmes méandres psychologiques que les Mayas égorgeant des populations entières sur l'autel expiatoire afin de réduire le courroux de leurs dieux sanguinaires. Nous sacrifions aujourd'hui les hommes sur l'autel cuisant de la mémoire pour s'attirer la clémence propitiatoire d'une idéologie féministe non moins violente que la brutalité qu'elle dénonce.

  7. En anéantissant l'utilité des prérogatives masculines, ils favorisent une simplification dichotomique manichéenne aveugle qui renforce l'esprit de domination/soumission, moteur des ignominies qu'ils dénoncent. Voyez ces hommes émasculés qui sont désormais inutiles aux femmes puisqu'elles n'ont jamais tant craint la violence masculine qu'en ces jours où elles ne cessent de la voir partout. Puis-je dire combien ma propre violence potentielle bien entendu jamais dirigée contre elle permet à mon épouse de dormir paisiblement pendant que je veille avec vigilance à la protéger de tout ce qui cherche à l'agresser ? Quand la force et la violence se conjuguent au service de celle qu'on aime la domination devient protection et gage de paix. Quand le féminisme antagonise la domination et la soumission comme des forces diaboliques nuisibles, il condamne les femmes à se débrouiller toutes seules dans un monde compétitif où l'alliance avec l'homme devient impossible. Le potentiel de violence masculine est donc désirable puisqu'il sert les intérêts de la famille. À quoi peuvent servir ces hommes angéliques qui tendent la main aux femmes en disant « n'ayez pas peur, je suis un agneau inoffensif » ? Comment ces lions édentés peuvent-ils exercer leur véritable rôle protecteur ? Devant la bête affamée, ce n'est pas d'un ange servile qu'elle a besoin pour se défendre mais d'un Machiavel fort et rusé qui prendra l'animal à son propre piège.

Au bout du compte, je me demande si ce témoignage collectif est véritablement respectueux de la femme ? Le jeu de la domination, qu'il soit initié par l'homme ou de la femme ne me semble pas très respectueux de la liberté intrinsèque propre à l'humanité. Comment aimer les femmes que le féminisme a manipulées jusqu'à ce que leur rôle soit devenu indistinct de celui des hommes ? N'ont-elles pas répondu au narcissisme masculin en cherchant sans cesse à devenir conformes aux standards d'ambition de conquête, de rivalité, de défi et de réussite jadis propres aux hommes ? Standards qui aujourd'hui nous font pourtant désavouer notre monde occidental en perte d'humanité. Puisque, nées femmes, elles sont devenues hommes (Beauvoir), ne se sont-elles pas reniées, croyant le modèle masculin supérieur ; n'y ont-elles pas perdu un peu leur âme ? Quel pourcentage de celles des générations précédentes se reconnaîtrait dans les fonctions qu'on leur a aujourd'hui attribuées ? Enivrées de conquêtes, elles ont oublié le noble objectif initial d'égalité pour dominer partout en nombre dans les sphères universitaires et professionnelles où jadis les hommes excellaient ? Le monde est-il meilleur aujourd'hui ?

Chère femme...

Dieu merci, il m'en reste une à aimer ; je n'ai besoin d'aucune autre. Et pour me faire aimer d'elle, inutile de feindre l'expiation générique de mes prédécesseurs.

[1] Stupéfait de l'énorme succès des Beatles, John Lennon émit le commentaire suivant : « La Chrétienté passera. Elle disparaîtra et fléchira...  Nous [Les Beatles] sommes maintenant plus populaires que Jésus (The London Evening Standard, mars 1966).

[2] Woody Allen, Harry dans tous ses états (Deconstructing Harry), 1997.

Philo5
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