L'affaire Lola et Me Goldwater
par François Brooks
Le féminisme, a toujours posé le paradoxe qui renvoie dos à dos universalistes et différentialistes (voir Femmes et fières de l'être). Globalement, la femme est fière de son égalité et des libertés qui en découlent mais certaines voudraient bien encore profiter des privilèges d'une époque où on les considérait comme différentes, faibles et fragiles. Les lois québécoises n'ont cessé, depuis quarante ans, de les surprotéger et on se demande bien si le féminisme les a véritablement libérées ou s'il ne les aurait pas encarcanées davantage dans une idéologie qui les opprime.
À l'émission de Claire Lamarche du 10 décembre 2010, Huis clos, on posait la question : Êtes-vous pour ou contre une pension alimentaire pour les ex-conjoints de fait ? Une proposition qui, à première vue, semble destinée à protéger les femmes pourrait bientôt en faire les principales victimes. Examinons le débat en chacune de ses composantes.
D'abord, quatre positions tranchées s'affrontent : Trois féminismes divergent en même temps qu'un masculisme émerge.
Féminisme responsable de Pauline Legros : La femme a acquis difficilement ses droits à l'égalité et la liberté ; elle doit assumer ses décisions comme une adulte responsable, c'est le prix de l'émancipation.
Féminisme
conciliant de Lise Bilodeau : L'amour est au cœur même de la relation
conjugale. La femme émancipée s'est épanouie et doit jouir de sa liberté
sans céder à la tentation de profiter de l'argent de ses amants. Une
relation authentique ne peut émerger que d'une générosité librement
consentie.
Masculisme
émergeant chez les hommes : Le régime matrimonial a besoin d'être rénové mais
les relations conjugales doivent-elles nous conduire à la faillite ? Comment
alors s'engager sereinement dans une relation qui risque de nous ruiner ?
Être père, oui, mais à quel prix ?
En fait, de quoi parle-t-on ? Des onze principes en cause dans le présent débat...
1. L'aspect purement légal, 2. la dignité de la femme, 3. l'amant versus le conjoint, 4. la liberté sexuelle, 5. la liberté de choix personnel, 6. la liberté du citoyen, 7. la responsabilité conjugale, 8. la valeur d'une relation, 9. le statut matrimonial, 10. les conséquences démographiques et 11. le progrès social.
... sept volets s'en dégagent :
Le jugement a posteriori est non fondé en droit et en principe. Un homme et une femme vivent sous un régime pendant un certain temps et la loi leur imposerait d'assumer un autre régime imposé après !? Ainsi donc on aurait un jugement imposé par une loi rétroactive (!?). Ceci va contre les principes fondamentaux de la justice. En effet, si la loi veut rendre le citoyen responsable il faut qu'il soit consentant à assumer les responsabilités auxquelles il s'engage sous les lois en vigueur au moment où il vit. Dans ce cas-ci, Lola et Me Goldwater exigent que le conjoint assume la responsabilité d'un régime dans lequel il s'est engagé à vivre pendant sept ans en établissant des conditions nouvelles n'ayant pas légalement cours à l'époque de la cohabitation. Comment le conjoint peut-il alors être tenu responsable, puisqu'alors, la loi lui permettait de cohabiter sans se soucier d'éventuelles pensions à payer à une conjointe qui n'était pas son épouse légitime ? L'État peut-il marier les conjoints de force a posteriori ?
Me Goldwater pose la question : « Est-ce
que vous les Québécois, vous choisissez l'union libre pour assurer
l'inégalité des sexes dans votre union ? »
Doit-on alors poser le conjoint plus fortuné comme un pourvoyeur suite à une
relation prolongée ? Une telle loi ne ferait-elle pas une prostituée de
toute relation sexuelle inégalitaire ? En effet, réduire la relation
conjugale au seul équilibre monétaire ne fait-il pas ombrage à la dignité
humaine ? Comment la femme pourrait-elle conserver dignité et liberté dans
un tel régime alors que celle-ci, depuis sa naissance, a été éduquée dans
des principes d'égalité qui lui ont permis la liberté de choix dans tous les
domaines de sa vie ?
Me Goldwater a
cependant ici le mérite de nous montrer comment se brouillent deux statuts
distincts : la relation amoureuse et la relation parentale. Le premier
produit des amants, le second une famille et des enfants à l'État. Comme les
amoureux veulent rester amants et, en même temps, faire des enfants, les
statuts s'embrouillent. Après la naissance des enfants, les conjoints
amoureux se transforment en parents responsables. N'est-ce pas reconduire la
femme dans son ancien statut sous tutelle mâle que de la considérer, après
la séparation, sur le même pied d'égalité et de dépendance que les enfants
dans un régime qui l'en a pourtant émancipé ?
Le législateur doit-il alors considérer le conjoint moins fortuné comme
simple partenaire d'affaires dans une entreprise de production d'enfants ou
doit-il considérer les conjoints comme des adultes autonomes responsables
ayant posé un choix libre qu'ils doivent assumer chacun pour soi ? De même,
si le choix d'un des deux conjoints l'a amené à un gain pécuniaire moindre,
pourquoi ne pas considérer qu'il a posé ce choix parce qu'il accordait
davantage de valeur à d'autres types de bénéfices, comme l'harmonie, la
richesse relationnelle, le temps libre, etc. ? Si je quitte mon emploi pour
avoir plus de temps libre, n'est-ce pas une richesse appréciable ? Pourquoi
l'aspect monétaire devrait-il être le seul pris en compte dans
l'ensemble des critères qui conduisent à exercer notre liberté de
choix ?
Le libre choix des conjoints à vivre hors des contraintes légales du mariage serait-il encore possible ? Ainsi donc, en quelque sorte, les amoureux ne pourraient plus vivre ensemble sans voir « Big Brother » mettre le nez dans leur couple. Est-il nécessaire de donner aux relations sexuelles un statut légal compte tenu du fait que l'immense majorité des orgasmes n'a qu'un but ludique ? Une telle ingérence de l'État me fait penser à l'époque où l'on obligeait les couples à se marier pour avoir le droit de baiser ?
Le statut de co-loc deviendrait ambigu. Faudrait-il faire la preuve de
la non-consommation des relations sexuelles entre deux personnes ? Et comme
le mariage homosexuel est entré dans nos mœurs, deux femmes, ou deux hommes
qui cohabitent seraient-ils considérés (ou pourraient-ils l'être) comme
conjoints de fait à qui la loi impose le statut de « relation maritale » ?
Dérive légaliste ridicule ou dangers effectifs de réglementer le rapport
amoureux avec des lois qui risquent de le rendre impossible ?
La relation maritale,
convenue comme
source de la famille et de la procréation des citoyens
serait-elle la seule possible dans un couple ? Pourtant, la libération de la
femme n'a-t-elle pas reconnu la légitimité des relations sexuelles purement
ludiques ? L'affaire Lola, à ce titre, augure-t-elle un retour 50 ans en
arrière ? Si Me Goldwater gagne son combat, sera-t-il encore possible, de
considérer les rapports sexuels du couple vivant sous le même toit autrement
que comme un engagement marital, c'est-à-dire destiné à la procréation ?
Comment un homme (ou une femme) pourrait-il (ou elle) s'engager dans une relation d'amant sereinement ou même avoir seulement les moyens de le faire puisqu'après une, deux, ou trois relations terminées par une pension alimentaire il (ou elle) serait virtuellement ruiné(e) ? Ceci aurait paradoxalement l'effet de freiner la liberté sexuelle et, par ricochet, imposerait le retour d'une moralité sexuelle restrictive qui fait penser à celle de nos grands-parents, moralité pourtant sans objet puisqu'elle s'appliquerait à des conjoints sans enfants.
Aller dans le sens de Me Goldwater n'est-ce pas ouvrir une boîte de Pandore plus effrayante encore que le régime des années de la Grande noirceur ? Ne s'en suivrait-il pas une sévère dénatalité, pire encore que celle qui sévit présentement ? Comment un homme (ou une femme) pourrait-il (ou elle) signer un chèque en blanc à vie à l'ensemble de ses partenaires amoureux sans s'aliéner la liberté individuelle si chèrement acquise durant les 50 dernières années ?
* * *
Bref ce débat me semble aller nulle part si l'on considère que la liberté individuelle est la première valeur de notre société. Il apporte de l'eau au moulin des esprits rétrogrades de certaines femmes dont l'échec matrimonial se sert de l'argument sempiternel de la pauvre femme victime d'injustice pour obtenir compensation d'une relation amoureuse dont elles refusent d'assumer le terme. Si le législateur devait donner raison à Me Goldwater, ce serait le triomphe du féminisme victimaire de Benoîte Groult. Et attention ! compte tenu du fait que le revenu moyen des femmes a augmenté considérablement depuis qu'elles représentent plus de 65% de la diplomation universitaire, une telle loi ne brimerait pas que les hommes. Bientôt les femmes risqueraient aussi la ruine suite à leurs ruptures conjugales successives.
L'élément nouveau ici est que Me Goldwater pose une action qui tente de récupérer pour les femmes « libérées » certaines prérogatives qui avaient lieu d'être du temps où la majorité d'entre elles n'étaient pas émancipées et vivaient sous la tutelle d'un mari en dehors du marché du travail qui leur était difficilement accessible. Elle refuse de voir l'effet pervers qu'une telle mesure imposerait aussi aux femmes qui, de plus en plus, occupent des emplois mieux rémunérés que leurs conjoints. Sa position relève d'un féminisme « à la carte » qui cherche à profiter de l'idée que la femme est une faible chose que la loi doit surprotéger alors que le marché du travail ne lui a jamais été aussi accessible. Elle se heurte de plein fouet aux féministes égalitaristes qui revendiquent l'indépendance et l'autonomie de même qu'aux féministes libertaires qui aiment bien vivre dans la délicieuse licence romantique de notre époque. Cette revendication risque de faire fuir aussi bien le Don Juan que le vertueux candidat à la paternité. Ne restera-t-il à l'honnête homme que la prostitution pour vivre une sexualité qui le protège de la voracité féministe de notre époque ? Reste à voir si le législateur québécois permettra une telle régression sociale qui renverrait les femmes à la case départ de leur émancipation et réduirait l'exercice de la masculinité au choix entre l'éventualité du chèque en blanc à vie aux ex-conjointes ou une sexualité illicite.
La réalisatrice Mélitza Charest nous rassure avec le sourire entendu de l'appel au bon sens qui d'évidence, n'imposerait que des pensions alimentaires dans des cas très spéciaux étudiés sagement par des juristes éclairés. Mais, compte tenu des dérives juridiques survenues dans les quarante dernières années en matière de droit matrimonial au Québec, je me demande si nous pouvons raisonnablement compter sur la bonne foi d'une femme qui nous demande candidement de faire confiance à un système qui a créé une machine à broyer les hommes, et dont on se demande si cette machine n'a pas aussi bien broyé les femmes ?