091206

Malaise Marc-Lépine

par François Brooks

Nous « fêtons » aujourd'hui pour la vingtième fois le triste anniversaire de la tuerie de Polytechnique. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le malaise persiste. Comme une idée taboue à laquelle notre esprit refuse de consentir, les médias nous montrent tous les efforts engagés pour se défaire de cette obsédante angoisse : un être humain a tué 14 êtres humaines, humanité dont nous faisons tous partie et qui nous inocule aujourd'hui le malaise Marc-Lépine.

Comme une bombe incendiaire qu'on aurait lâchée au-dessus de nos têtes, chacun court dans la première direction émotive imaginable pour échapper à la faute originelle d'appartenir au genre humain et donc d'être partiellement coupable de cette horrible tuerie. Chacun à sa manière récuse l'horreur répétant : Pas moi, jamais ! Je n'aurais jamais posé un tel geste ni ne l'aurais provoqué de quelque façon que ce soit !

Dès lors, une féministe accuse « les hommes », et plus particulièrement les masculinistes, trouvant ainsi le crédit politique faisant levier à sa cause. Un autre souligne l'origine arabe algérienne du tueur dont le vrai nom était Gamil Gharbi fils de Rachid Liass Gharbi, balançant sa responsabilité québécoise à une race étrangère. Un autre dénonce le père séparé de Monique Lépine quand le garçon n'avait que 7 ans [1], appelant la grille psychanalytique de Guy Corneau et son slogan « père manquant, fils manqué » en guise d'exutoire. Une autre accuse le père violent dont il a été victime et qui lui a transmis la violence masculine intrinsèque. Un autre cherchera l'explication dans l'étude sociologique des tueries de masse par les tireurs fous [2]. Un autre, s'inspirant du film Voleur d'enfance de Paul Arcand, détournera la responsabilité sur la DPJ en avançant que le tueur a été fabriqué en famille d'accueil. Un autre accusera la mollesse du gouvernement dans le contrôle des armes à feu. Un autre se dissocie de tout en assurant qu'il s'agissait d'un dément dépourvu d'humanité. Et d'autres encore comblent l'outrance en justifiant son geste comme celui d'un héros fondateur [3]. Bref, un Marc Lépine qui jette le malaise dont chacun cherche à se défaire comme il peut, comme les rats quittent le navire qui coule, chacun n'ayant aucune responsabilité dans sa fabrication et son pilotage.

Si bien qu'on a vite oublié le nom des 14 victimes comme si on n'avait retenu de John Lennon que le nom de son meurtrier. Sauriez-vous nommer une seule d'elles ?
Geneviève Bergeron
(1968-1989), étudiante en génie civil.
Hélène Colgan          
(1966-1989), étudiante en génie mécanique.
Nathalie Croteau      
(1966-1989), étudiante en génie mécanique.
Barbara Daigneault  
(1967-1989) étudiante en génie mécanique.
Anne-Marie Edward
(1968-1989), étudiante en génie chimique.
Maud Haviernick     
(1960-1989), étudiante en génie du bâtiment.
Maryse Laganière    
(1964-1989), commis comptable au département de la finance de Polytechnique.
Maryse Leclair          
(1966-1989), étudiante en génie du bâtiment.
Anne-Marie Lemay  
(1967-1989), étudiante en génie mécanique.
Sonia Pelletier           
(1961-1989), étudiante en génie mécanique.
Michèle Richard        
(1968-1989), étudiante en génie du bâtiment.
Annie St-Arneault    
(1966-1989), étudiante en génie mécanique.
Annie Turcotte          
(1969-1989), étudiante en génie du bâtiment.
Barbara Klucznik-Widajewicz
(1958-1989), étudiante en soin infirmier.

Taisons pour deux minutes nos esprits enflammés et offrons-leur la seule chose qui puisse réparer notre humanité blessée : l'amour qui a manqué au tueur de haine...

[1] Yvon Dionne, Notes sur le rapport du coroner relatif aux événements de Polytechnique du 6 décembre 1989, GlobeTrotter.net, 23 nov. 2004 (page consultée le 6 déc. 2009). (Voir aussi Marc Lépine sur Wikipedia).

[2] Réaction  de Gordon Sawyer à l'article de Louise-Maude Rioux Soucy (page consultée le 7 déc. 2009).

[3] Rick Flashman, Marc Lépine Blogspot (page consultée le 7 déc. 2009), mais aussi Mélissa Blais qui déclare « Polytechnique [...] a permis au féminisme de mettre sur la place publique ce combat contre la violence faite aux femmes. » [Merci Marc Lépine (!!!)] (Dimanche magazine, Radio-Canada, émission du 6 déc. 2009 (page consultée le 8 décembre 2009)

Philo5
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