par François Brooks
Depuis que « Dieu » n'est plus responsable de la venue au monde des enfants, les seuls parents doivent répondre de leur existence. Grosse responsabilité! Si jadis, on pouvait s'en prendre à Dieu pour nos malheurs, aujourd'hui ce sont les parents qui écopent. Une culpabilité souterraine s'est d'ailleurs emparé d'eux à un point tel qu'il ne peuvent virtuellement plus rien leur refuser. Pensez donc, qui serions-nous – parents indignes – pour brimer ainsi notre propre progéniture qui n'a pas demandé à naître. Par quel ignominie ces brimades pourraient-elles jamais nous laisser l'esprit tranquille?
Nos sommes responsables de leurs joies et misères, et ultimement de leur mort. Tout parent condamne ses enfants à mort. Et pour cause, puisqu'il aurait aussi bien pu choisir de s'abstenir de les générer sans pour autant limiter ses propres activités sexuelles.
Lorsque la féministe Madeleine Pelletier (1874-1939) demande la liberté d'avortement au nom de celle de disposer de son propre corps, avait-elle des considérations existentielles de cette nature? Probablement pas. Il semble qu'elle revendiquait plutôt son droit à l'individualité. À une époque où les risques et douleurs de l'enfantement laissaient des traces parfois tragiques dans les corps des femmes, c'était un pensez-y bien. Pour peu que sa santé soit fragile il pouvait même y aller de sa survie.
Les féministes modernes on continué à surfer sur cette vague de droit-de-disposer-de-leur-propre-corps bien que les conditions médicales sont autrement différentes. Aujourd'hui, au Québec, ce droit répond plutôt à un besoin d'autonomie psychologique. Une femme peut bien sûr avorter sans que personne n'ait à redire et sans considérations autres que sa seule volonté libre, mais elle peut aussi enfanter de la même manière. Et où vont-elles trouver le sperme? L'homme impliqué doit-il donner son consentement? Le simple fait de baiser donne-t-il à la femme le droit de disposer librement du matériel génétique de son partenaire? N'y a-t-il pas une contrepartie masculine à considérer lors de la création d'un enfant? Si une femme peut disposer de son corps, un homme a-t-il quelque droit sur la filiation engendrée par ses spermatozoïdes? Peut-on les utiliser à d'autres fins que celle de la fantaisie sexuelle survenue lors de fougueux ébats érotiques?
Nous avons en général peu de sympathie pour les hommes qui se laissent ainsi piéger. On pense qu'un homme doit prendre ses précautions. Mais qu'en est-il du coup d'aiguille dans le condom? Bref, comment la justice pourrait-elle sembler juste aussi pour les hommes? S'il est criminel d'obliger une femme à enfanter contre sa volonté pourquoi n'en serait-il pas de même pour les hommes à qui on impose une filiation non désirée? Les implications légales d'une paternité ne sont-elles pas d'une telle importance qu'elles nécessitent le libre consentement? D'autre part, comment pourrait-on forcer une femme à avorter contre sa volonté sans brimer le droit à l'intégrité de sa personne?
L'égalité tant revendiquée par le féminisme est-elle aussi possible pour les hommes? Certains pensent que dans ce cas, il suffirait que la femme en assume pleinement la charge. Mais qu'en est-il de l'aspect psychologique d'une paternité non désirée? Quand on devient papa contre son propre gré, même sans obligations paternelles subséquentes, ne subsiste-t-il pas quelque écueil psychologique? N'y a-t-il pas là quelque chose qui ressemble à une forme de viol?
Il baise avec son amie. Elle tombe enceinte. Elle attend trois mois pour lui en parler. Il lui demande d'avorter parce qu'il n'a nullement l'intention d'être père. Elle refuse. Lors d'une relation sexuelle ultérieure, il lui insère à son insu, dans le vagin, un comprimé abortif. Elle avorte contre sa volonté. Elle porte plainte. Gary Bourgeois, 46 ans, est condamné à un an de prison[1]. Vingt milles québécoises avortent chaque année sans tracas légal. Pourquoi un homme ne peut-il pas avorter sans se retrouver en prison?
Quand il s'agit d'un enfant à naître, puisque ovule et spermatozoïde sont nécessaires pourquoi la volonté de la femme l'emporterait-elle sur celle de l'homme? Pourquoi la responsabilité est-elle obligatoire alors que l'engagement consenti du père est facultatif? Dans de telles circonstances, comment peut-on demander à un homme de prendre ses responsabilité dans une situation à laquelle il n'a pas consenti?
Au Québec la loi ne reconnaît à l'homme aucun pouvoir sur sa propre paternité. La femme a le contrôle total ; elle peut choisir d'avorter ou d'enfanter librement sans le consentement du géniteur. Pourtant, il sera légalement responsable et aura à payer des pensions alimentaires prélevées à même son salaire par un gouvernement hors de la protection duquel la femme aurait bien du mal à exercer son « égalité ». Quel est ce Léviathan monstrueux qui écrase ainsi la liberté des hommes? Comment un contrat social où 50% de la population est favorisée en vertu de son sexe peut-il se justifier au nom de l'égalité? Pour que les femmes deviennent égales aux hommes, fallait-il que ceux-ci perdent leur droit de consentement à la paternité?
En Europe, un espoir luit. En avril 2007, après son divorce, une femme stérile (Madame Natallie Evans) se voit refuser le droit d'utiliser les embryons conçus in vitro avec son mari.[2] Aussi, certains commencent à penser que la libération de l'homme est une idée concevable. Dans leur Antimanuel d'éducation sexuelle, la juriste Marcela Iacub et le philosophe Patrice Maniglier nous livrent leur réflexion dans un texte intitulé Père si je veux, quand je veux!, lu par Catherine Portevin et publié en ligne ici...
[1] Un homme jeté en prison pour avoir provoqué un avortement
Montréal, QC, 19 Mai 2004 (UPI)
Un homme de Montréal a commencé une peine de prison d'une année, mercredi, pour avoir provoqué l'avortement de son amie, en utilisant un médicament de traitement d'ulcère. Gary Bourgeois, 46 ans, avait été déclaré coupable à une accusation de voies de fait graves pour avoir administré une substance toxique.
Selon Radio Canada (CBC) la cour a entendu le témoignage de la petite amie dont l'identité est protégée. Elle raconta qu'elle avait attendu trois mois avant d'avouer à Bourgeois qu'elle était enceinte. Celui-ci insista pour qu'elle avortasse le fœtus. Elle refusa. Le Procureur de la Couronne raconte qu'après avoir eu des relations sexuelles, Bourgeois inséra un médicament anti-ulcère dans le vagin de sa petite amie. Elle commença à souffrir d'hémorragie, se conduisit elle-même en voiture jusqu'à l'hôpital où elle eu sa fausse couche. Alors qu'elle se rhabillait, elle découvrit une partie du médicament dans sa petite culotte. Elle appela la police. En prononçant sa sentence contre Bourgeois, le juge Jean-Pierre Bonin a déclaré « la société ne peut pas tolérer qu'un homme, partenaire dans une relation amoureuse, mette fin de façon unilatérale à une grossesse. »
[2] Voir l'Affaire Evans et l'article « Le droit de ne pas être père » paru dans Philosophie Magazine No11 (juillet-août 2007).