par François Brooks
Régulièrement depuis 1996, la revue Entreprendre fait une faveur au mouvement féministe en publiant un numéro hors série qui présente 100 femmes choisies pour leurs qualités exceptionnelles, en regard de leur réussite professionnelle. Et ils ont raison. Compte tenu du fait que depuis quelque temps, la majorité des diplômés universitaires sont maintenant des femmes, on a intérêt à courtiser ce groupe puisqu'elles seront bientôt majoritaires à détenir les compétences pour occuper les postes de gestion. Ainsi, la revue Entreprendre fait donc preuve de vision, sinon, de prévision. Le thème choisi est la réussite des femmes. On les invite à travailler très fort et à revendiquer au minimum 50% de tous les postes de gestion, que ce soit dans le domaine public, privé ou politique.
J'avoue que je me sens toujours un peu agressé à lire ce genre de littérature où, en tant qu'homme, on me fait savoir – toujours par des moyens détournés – que j'appartiens à la moitié de la population systématiquement dépréciée. Mais je me fais violence, je lis et je m'instruis. Ce n'est pas en concentrant mon intérêt uniquement aux lectures qui me plaisent que je comprendrai le monde et que je combattrai mes préjugés.
Pour ma part, administré par un homme ou une femme, je n'ai pas véritablement de préférence en autant que l'administrateur n'est pas un cancre et qu'il démontre un peu de vision, le sexe m'indiffère. Mais voilà, il semble que, malgré toutes ces années où on a changé toutes les lois pour permettre aux femmes d'accéder librement à toutes les professions et tous les métiers possibles, la distribution des postes n'atteint pas naturellement le minimum de 50% de femmes, prescrit par le mouvement féministe, et particulièrement dans les postes des hautes sphères administratives. Il faut donc faire appel aux braves en lançant une campagne de motivation et de valorisation féminine.
Cette livraison (Hors série No. 19 - 2006) de la revue Entreprendre, Les fées ont encore soif, 101 regards de femmes, nous présente une cuvée variée très intéressante. Après avoir lu chacune des 100 entrevues (la 101e étant celle qui a coordonné le dossier, madame Monique Durand) je me suis aperçu qu'il existait des différences fondamentales dans ces témoignages et que le féminisme dont on essaie de faire la promotion, serait plutôt une échelle plus nuancée qu'on pourrait partager en cinq classes féministes. Pour ceux qui aiment les chiffres, j'y ai ajouté, compte tenu des critères expliqués plus bas les pourcentages à chaque groupe correspondant :
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Les féministes paradoxales sont celles qui ne reculent devant aucune contradiction. Si on leur dit que la liberté est incompatible avec la parité, elles n'en ont que faire. Pures et dures, elles veulent le pouvoir et elles l'auront. Elles ont encore, et toujours elles auront soif. Lise Payette cite très justement René Lévesque :« Le pouvoir c'est comme l'alcool, il y en a qui ne savent pas boire » (bonjour Lise!). Et les femmes, elles, savent boire ; le pouvoir ne les enivre pas, elles savent se dominer, elles font partie d'un genre humain à part, supérieur.
Pour elles, l'homme avec toutes ses connotations est l'ennemi à abattre, seule la culture « femme » doit dominer avantageusement. La femme a une manière de penser le monde différente (supérieure). Le monde doit être sauvé du marasme dans lequel les hommes l'ont mis et seule la femme en est capable.
Les féministes légères ont l'esprit de groupe. Parmi elles, il y a celles qui ne veulent pas être comme leurs mères et celles qui sont féministes tout simplement par effet d'entraînement. Si elles étaient nées hommes, elles ne seraient tout simplement pas féministes. Leur position est celle de la facilité idéologique mais elles sont à bout d'haleine à cause des exigences modernes qui leur imposent de dépenser une énorme quantité d'énergie à la conciliation travail famille.
Les féministes irréprochables sont des femmes admirables. Elles sont véritablement libres et responsables. Elles se sont engagées socialement non pas en tant que femmes, mais d'abord en tant qu'être humain participant à une collectivité humaine qui transcende les particularités sexuelles, ethniques, etc. tout en assumant le fait d'être femme. Pour assumer leur carrière convenablement, elles ont abandonné l'idée d'enfanter, ou elles ont différé ces deux activités, ou encore elles ont su concilier le travail et la famille de telle sorte que ces deux aspects de leur vie ne le étouffent pas.
Les féministes intéressantes sont celles qui sentent que le féminisme n'est pas la panacée à tous leurs problèmes du « vivre ensemble ». Elles aiment bien se solidariser au mouvement en chantant en cœur les refrains connus : « Les hommes prennent trop de place », « Les changements en faveur des femmes ne se font pas assez vite », etc. Mais elles ont un sens de l'équité et de l'égalité qui laisse leur place aux hommes. Elles restent ouvertes et acceptent volontiers d'envisager les questions embarrassantes : « Où est-ce qu'on s'en va comme ça, sans projet de société? La société québécoise accuse le plus haut taux de suicide des pays occidentaux, combiné à un des plus faible taux de natalité. Veut-on vraiment survivre? », se demande Marie-France Bazzo.
Cette catégorie comprend les femmes qui ont soif d'autre chose et refusent de chausser le carcan féministe. Quoi que vous leur disiez, elles refuseront tout net de médire contre les hommes mis en bloc. Ces femmes sont des humains à part entière, parfaitement à l'aise avec les hommes et heureuses de leur laisser toute la place qu'il leur revient. Elles savent profiter de l'avantage combiné du masculin et du féminin. Elles ont une véritable pensée égalitariste et reconnaissent qu'elles sont en pleine possession de leurs moyens. Céline Dion par exemple, refusant de prendre la porte féministe qu'on lui ouvre déclare apprécier la force physique des pompiers qui peuvent transporter les gens qu'ils sauvent. Pour sa part, Denise Filiatrault : « D'abord, je n'ai jamais cherché le pouvoir pour le pouvoir. Il n'y a aucun intérêt là-dedans.»
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J'en conclus que nous ne pouvons heureusement pas mettre toutes les femmes dans le même panier et que le mouvement féministe a plusieurs visages dont la majorité ne cherche pas nécessairement à combattre les hommes. Les fées sont loin d'avoir toutes soif. J'en ai d'ailleurs profité pour relire cette pièce de Denise Boucher, jouée au Théâtre du Nouveau Monde en 1978. J'ai été surpris de constater que Monique Durand référait à une époque aussi révolue pour s'inspirer dans ses interviews. Ce livre est là pour témoigner que le féminisme a fait son œuvre et que les conditions sociales qui prévalaient au moment de son écriture dataient déjà d'au moins 10 ans et qu'elles n'ont plus rien à voir avec celles d'aujourd'hui.
Depuis 40 ans que les femmes ont accédé graduellement à une liberté équivalente à celle des hommes, il me reste alors ces questions. Comment se fait-il que nous soyons obligés de faire une campagne pour inciter les femmes à occuper certaines fonctions? Le féminisme refuserait-il de reconnaître que, quand nous laissons les femmes libres de choisir leur vie, elles le font en fonction de ce qu'elles sont fondamentalement?