par François Brooks
Il existe une distinction entre « masculinisme » et « masculisme ». Ceci peut sembler banal, mais elle me semble pourtant importante. Les termes que nous utilisons pour désigner nos concepts ne peuvent être laissés au hasard. « Si nous voulons agir sur le monde, encore faut-il pouvoir le nommer », disait avec raison Marie-France Bazzo. Le « masculinisme » est le mot dégradant inventé par Michèle Le Doeuff [1], philosophe féministe française, et propagé par les radicales d'ici pour désigner ce qu'elles répudient. Son pendant sémantique devrait être « fémininisme ». On comprendrait facilement le sentiment péjoratif qui s'en dégage si nous utilisions le mot « fémininiste » pour désigner le mouvement de ces dames. (Essayez, vous allez vite comprendre.) Le masculinisme de Le Doeuff désigne le mâle qui s'aveugle sur l'importance historique de la femme et sur la portée du rôle qu'elle occupe dans notre société en croyant que les hommes seuls ont exercé une influence déterminante sur le monde. Peu d'hommes aujourd'hui refusent de reconnaître l'immense influence que les femmes exercent et ont jadis exercée dans tous les domaines, ne serait-ce que par la bande.
Le masculisme est au contraire un mouvement symétrique au féminisme. Il se penche sur la condition masculine. Ce mouvement est désigné et respecté comme tel chez nos voisins États-Uniens qui parlent fréquemment de « masculism ». Une petite recherche sur l'Internet vous convaincra (voir plus bas).
Le masculisme n'est-il pas une cause aussi noble que le féminisme puisque l'un définit l'autre et répond à des besoins équivalents en matière d'identification sexuelle ? Notre existence, qu'on le veuille ou non, est sexuée. À ce titre, notre pensée n'est jamais neutre et nous ne pourrons jamais véritablement connaître ce que c'est que vive en homme si on est une femme et vice versa. Le respect de l'autre sexe et du terme définissant l'idéologie théorique qui chapeaute son existence s'impose donc. Je ne me définis donc pas comme un (vilain) masculiniste qui s'oppose au féminisme, mais, tout comme il leur est légitime de réfléchir à leur condition féminine sous l'appellation de féministe, qu'il me soit loisible de réfléchir sur ma propre condition avec d'autres hommes sur la philosophie masculiste.
D'autres désignations ont aussi été proposées. Certains parlent de « virilisme ». Ce terme est déjà utilisé en psychanalyse pour désigner des troubles endocriniens qui peuvent entraîner chez la femme un développement des caractéristiques sexuelles secondaires de l'homme (poils sur le visage, voix plus grave, etc.) [2]. Je vois mal comment on pourrait utiliser un mot comportant une connotation pathologique pour désigner notre cause masculine. Mais peut-être ce mot serait-il le plus symétrique à « féminisme » puisque ce dernier désignait aussi à l'origine une pathologie. En effet, on l'utilisait initialement pour désigner un homme « efféminé » [3]. Mais si les femmes ont jugé bon de récupérer ce terme pour désigner leur cause je ne vois pas pourquoi on devrait les suivre dans cet abus de langage.
D'autres préfèrent dire que la cause des homme est un « hominisme ». À mon sens, c'est une erreur lexico-sémantique puisque la racine « homme » désigne aussi bien l'homme que la femme. Si nous cherchons à nous distinguer, nous ne pouvons nous arroger un terme qui désigne dans sa racine l'humanité entière. En anglais, la connotation est claire : Homme = Man ; Femme = Woman (littéralement, Womb-Man : homme à utérus). La femme est un homme aussi, en ce sens qu'elle fait partie de l'humanité désignée depuis toujours comme l'homme (Terre des hommes).
Finalement, c'est l'usage qui en décidera. Cette lutte pour adopter un terme adéquat n'est pas gagnée. Combien de mots notre langue française n'utilise-t-elle pas inadéquatement ? Ce ne serait pas la première fois qu'un abus de langage serait vainqueur. Pour le moment, au palmarès de la popularité des termes qui désignent la cause des hommes et celles qui les complémentent, Google nous rapporte la fréquence suivante (au 4 jan. 2010) :
RECHERCHE SUR Google |
janvier 2010 |
avril 2011 |
Google SEARCH |
january 2010 |
april 2011 |
Masculisme |
808 |
2 520 |
Masculism |
99 600 |
94 000 |
Masculinisme |
17 400 |
369 000 |
Masculinism |
54 600 |
42 000 |
Hominisme |
3 990 |
4 540 |
Hominism |
1 830 |
21 800 |
Virilisme [4] |
68 200 |
49 100 |
Virilism |
65 900 |
73 600 |
|
|
|
|
|
|
Féminisme |
1 320 000 |
1 610 000 |
Féminism |
10 500 000 |
9 860 000 |
Fémininisme |
1 810 |
1 820 |
Fémininism |
18 400 |
149 |
[1] « Pour nommer ce particularisme, qui non seulement n'envisage que l'histoire ou la vie sociale des hommes, mais encore double cette limitation d'une affirmation (il n'y a qu'eux qui comptent et leur point de vue), j'ai forgé le terme de masculinisme. » Michèle Le Doeuff, L'étude et le rouet, Vol. 1, 15, Seuil © 1989. (Cité ici par Patrick Guillot)
[2] Définition donnée sur DICOPSY.com : http://www.dicopsy.com/virilisme.htm (page consultée le 15 avril 2011).
[3] « Histoire sommaire du terme
Féminisme :
• Apparition fin XIXe siècle dans le contexte du développement de la
psychiatrie aliéniste qui accorde la primauté à la théorie de la dégénérescence.
Féminisme désigne donc d'abord une maladie qui touche les hommes
« efféminés », allant éventuellement jusqu'à la perversion (homosexualité).
• Terme détourné par une militante « féministe » au début des années 1880 (Hubertine
Auclert, fondatrice de La Citoyenne laquelle elle combat pour l'égalité
des sexes dans tous les domaines). Généralisation assez rapide du terme en
Europe dans les deux dernières décennies du XIXe siècle, puis aux États-Unis
dans les années 1910. Le féminisme, à toutes ses époques, reste un mouvement
très divers. »
(Conférence de Sylvie Chaperon, Un siècle de féminisme en France : Recherches et bilan, 10 novembre 2004.
Page consultée le 15 avril 2011 : http://aphgcaen.free.fr/conferences/schaperon.pdf)
[4] Toutes connotations.