2004-09-06 |
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ELLE Québec, octobre 2004 |
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— Je crois que vous retardez un peu. Les femmes aussi travaillent, à présent, et ont des soucis identiques aux hommes. Amélie Nothomb, Hygiène de l'assassin, 1992. * * * Pour m'amuser, ce mois-ci, j'avais le goût d'être provoqué. J'ai pris chez l'épicier, devant les caisses, l'un des innombrables magazines féminins qui sollicitent l'attention du public captif dans la file. Longues jambes parfaitement épilées, chevelures en bataille comme au sortir d'un lit torride, abondants échantillons de parfums langoureux, dessous affriolants, copieux maquillage, j'aurais juré que le magazine était destiné aux mâles. ERREUR : ELLE Québec s'adresse aux femmes. On leur vend tous les moyens possibles pour provoquer l'envie des rivales et faire craquer la bête. La franchise de certaines publicités est étonnante : « Les hommes vont fondre » affirme la nouvelle fragrance d'Élizabeth Arden nommée PROVOCATIVE WOMAN (p. 25) ; « Dépassez-vous » commande celle d'Adidas nommée ADRÉNALINE (p. 63) (oui, Adidas fabrique aussi des parfums !) ; Chantelle fait même un clin d'oeil aux musulmanes (p. 20) : la jolie mannequin porte le foulard, mais elle est vêtue de dessous affriolants, et sous-titrée du slogan « Paris habille les femmes du monde ». Mais derrière la couverture où pose une Lynda Lemay apparemment épuisée, et maquillée comme pour cacher des yeux cernés (la fille aux chansons simplement intelligentes fait un dur métier), c'est aux hommes que le ELLE Québec d'octobre s'adresse : Place aux hommes ! Ils sont beaux, ils sont fins, ils sont tels que les femmes d'ici les ont toujours désirés (!!!). On prend même leur défense ; peut-être doit-on des mercis à Charles Paquin. Il se trouve finalement que Danielle Stanton, dans l'article On aime nos Québécois (p. 73), en a eu marre de regarder le mec qui dort dans son lit avec un regard féministe. Elle a donc troqué les lunettes médiatiques habituelles pour des lunettes roses. Elle se lance tête baissée dans des louanges dithyrambiques par lesquelles elle arrive à généraliser les hommes québécois comme les meilleurs mecs de la planète sous des airs de quand on se compare, on se console. Avec mon esprit mesquin — guérissez-moi quelqu'un —, j'avais tendance à lire en filigrane : « Les mecs, toutes nos félicitations ! Nous avons maintenant terminé le dressage. Opération réussie ! Vous avez répondu au-delà de nos attentes. Maintenant que vous êtes transformés sur mesure selon nos espérances, nous vous aimons. Ne changez rien, vous êtes tels que l'on vous désire. » Excusez-moi Mme Stanton pourriez-vous m'expliquer où est le mérite d'aimer la poupée programmable que votre narcissisme a fabriquée sur mesure ? Le plus rigolo dans tout ça, c'est que ma mère, mes grands-mères et arrière-grands-mères tiendraient le même discours sans avoir substitué les rôles ni s'imposer la vie compliquée d'aujourd'hui. Le Québécois bien dressé n'est-il pas reconnu depuis belle lurette pour être le mouton soumis qui fanfaronne avec les copains, mais fait le petit chien devant sa femme pour avoir son biscuit ? Quelle réussite sur vos aïeules mesdames ! Je les vois d'ici faire la nique, moquant tout le mal que vous vous êtes donné à ne pas leur ressembler. La trêve est quand même bonne à prendre. Mais, Mme Stanton, vos bons mots et lunettes roses ne changeront rien au fait que la guerre des sexes a provoqué une baisse de natalité dramatique au Québec. Comme vous le dites si bien, c'était peut-être pour rire entre copines que vous nous cassiez du sucre sur le dos, mais mon petit sondage perso me dit que votre sens de l'humour n'a pas été tellement prisé par les hommes qui se sont rués massivement sur la vasectomie, abstinence et autre contraceptifs. Quel homme risquerait d'engendrer un garçon dans une perspective si peu prometteuse ? Dommage, vous auriez peut-être aimé un jour devenir grand-mère. Reste l'espoir que vos filles s'acharnent également à ne pas faire comme leur mère. Bonne chance ! * * * En page 113, on publie un texte 100 % homme de Christian Roudaut qui raconte « La croisade des super-papas » d'Angleterre, Fathers 4 Justice. Dans un tel magazine, on croit rêver ! J'avais la bizarre sensation du blessé qui, s'étant fait tirer à boulets rouge pendant des années, se voyait tendre la main par l'agresseur portant encore le fusil en bandoulière. * * * Bien sûr, un peu plus loin (p. 131), je reviens sur terre avec l'article de Mme Marie-Andrée Lamontagne intitulé : Survivre à une agression, OUI, c'est possible. Texte bourré de bons sentiments qui en appelle à la nature stoïque des femmes et au support de la psychoprêtrise. Ma mesquinerie ordinaire me dit qu'une femme qui se laisse devenir aussi provocante que les pubs de la revue n'est pas sortie du bois. À ce titre, l'article de Mme Lamontagne est on ne peut plus approprié pour Elle Québec. Je l'ai traduit dans ma lecture par : Provoquez, mais sachez assumer. * * * Pourtant, le premier article qui avait attiré mon attention en couverture n'apparaît qu'en page 143. Mme Laurence Pivot signe un texte intitulé : Testostérone, la nouvelle drogue des superwomen. Simone de Beauvoir n'avait pas prévu ça : on nous renseigne sur les femmes qui apprennent à devenir... hommes, jusque dans les hormones. Non, il ne s'agit pas de transsexuelles mal à l'aise dans leur corps (quoique...), il s'agit d'un développement supplémentaire dans le cheminement de la superwomen qui, en ingérant l'hormone mâle dont elle manque, pourra enfin devenir aussi agressive au travail et performante au lit que la référence masculine — cet être à devenir, dont le comportement si décrié par les unes est tant convoité par d'autres. Après le féminisme, verra-t-on apparaître un néo-féminisme pour combattre les superwomen ou bien est-ce que le féminisme verra dans cette nouvelle possibilité l'aboutissement ultime de la femme : être homme ? * * * En page 153, Mme Marie-Claude Fortin écrit : La thérapie de couple, ça marche ? dans lequel elle montre la rentabilité de la consultation d'un psychoprêtre tarifé. Un divorce coûte beaucoup plus cher, c'est prouvé ! * * * C'est avec Platon, Descartes, Kierkegaard, Sartre et Beauvoir en tête que j'ai lu ce magazine affriolant. Déchiré entre le désir qu'elles suscitent en moi, leur inaccessibilité et les dramatiques conséquences qui s'en suivraient si je répondais aux provoques, je termine la lecture avec un léger dégoût. Est-il normal qu'un magazine qui se donne comme mandat de montrer ce que la femme québécoise a de plus beau provoque en moi le sentiment opposé ? N'est-ce pas aussi ce sentiment qui naît chez la femme violée par l'homme qui devrait pourtant être ce qu'elle désire ? Le viol est une agression largement dénoncée, à raison. Quand arrêtera-t-on de violer le désir des hommes par des femmes mises en marché provoquant sans cesse impunément une libido que l'on doit réprimer ? On pourrait paraphraser Kierkegaard dans son Journal du séducteur (p. 230) en écrivant : On frémit en lisant l'histoire d'une jeune fille qui froidement laisse bander ses prétendants en exhibant son corps de manière aguichante sans jamais leur permettre de consommer l'acte qu'elles provoquent. Pourquoi les aguicheuses restent-elles impunies alors qu'on emprisonne le violeur ? Comment se fait-il que les femmes, qui reconnaissent pourtant la fidélité d'un homme comme qualité essentielle, se livrent à un tel marché ? Quelle force obscure et taboue fait que sur ce point, les hommes soient tant bafoués et les femmes si licencieuses ? Oui les hommes québécois sont extraordinaires : violer si peu de femmes dans un tel contexte de provocation relève de l'héroïsme. Mais tout est de ma faute, me direz-vous avec raison. N'ai-je pas écrit au tout début que j'avais le goût d'être provoqué ? Comment puis-je reprocher à des gens qui ne font rien d'autre que leur travail pour vivre d'avoir suscité en moi des émotions qui m'encombrent ? Après tout, elles m'ont vendu un produit pour lequel j'ai payé. Puis-je me scandaliser du contenu de ce que j'achète si je sais d'avance que la marchandise est avariée ? La femme de Elle Québec est essentiellement une femme en chasse. Ce ne sont pourtant pas toutes les femmes. Je comprends celles qui se sentent insultées en tant que femmes que l'on utilise leur désignation générique pour les réduire à si peu de chose. |
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