2004-05-29 |
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Trois sphères du féminisme |
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SOMMAIRE |
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La femme a le droit de monter sur l'échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune.
Olympe
de Gouges, Olympe de Gouges (Marie Gouze) fonda le féminisme politique dans la foulée de la Révolution française. Écrivaine et dramaturge connue, elle avait vu tout de suite que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen laissait les femmes en plan, tout comme l'on reconnaît aujourd'hui que l'esclavage ternit l'idéal démocratique de l'Antiquité grecque. En 1791, elle écrivit le premier manifeste féministe politique : Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, document fondateur du féminisme en tant que revendication politique universelle au nom des femmes. Son originalité ne tient certainement pas au contenu, puisqu'elle reprend les termes de la Déclaration des droits de l'homme en les féminisant, mais au fait qu'elle augure une nouvelle catégorie politique : celle de la moitié du genre humain. C'est l'acte de naissance de la femme en tant que citoyenne à part entière exerçant tous les droits sur la scène politique. De Gouges formule rien de moins que la mitose politique des sexes en Occident. À l'Époque moderne (entre la renaissance et le XIXe siècle), les femmes n'étaient pas toutes soumises aux nécessités de la survie. La bourgeoisie, à laquelle De Gouges appartenait, permettait à nombre d'entre elles de s'instruire et de pratiquer l'art, la littérature, et les activités mondaines. Libérées des tâches ménagères et assistées par la nourrice, les bourgeoises étaient déjà des femmes libres. De Gouges se maria à 17 ans, n'eut qu'un seul enfant et fut veuve l'année suivante. Elle vécut sans se remarier, grâce à la générosité d'un amant fortuné jusqu'à sa mort à 45 ans. Les hommes de la Révolution décapitèrent le roi en janvier 1793 pour instaurer la démocratie qui, désormais, tiendrait compte de chaque citoyen par le suffrage universel. Olympe de Gouges et ses sympathisants souhaitaient aussi s'affranchir d'un régime qui les maintenait sous tutelle. Elle était cependant monarchienne, et s'opposait farouchement à la vague d'exécutions tyranniques arbitraires. Poussant l'idéologie révolutionnaire au plein accomplissement : fin du féodalisme, décapitation du roi, mort de Dieu, destruction de l'ordre social fondé sur la domination des hommes au foyer, au travail et dans les institutions ; elle n'avait pas prévu l'ampleur du mouvement qu'elle initiait. Elle fut guillotinée en novembre 1793 pour avoir composé une affiche proposant trois choix pour une élection, incluant celui du retour à la monarchie constitutionnelle. Ce faisant, on lui donnait pleinement raison dans son Article X où elle déclarait que : si « la femme a le droit de monter sur l'échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune ». Les cent cinquante ans qui suivirent furent un lent et laborieux combat visant la reconnaissance des femmes en politique. Du droit à l'instruction publique, on ajoute le droit de la femme mariée à gérer ses biens, pour bientôt obtenir le droit de vote, et finalement, en 1947, le droit de monter à la tribune avec Germaine Poinso-Chapuis, première femme nommée ministre en France, et en 1961, Claire Kirkland-Casgrain au Québec. |
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La deuxième sphère du féminisme commence avec Simone de Beauvoir. Fondée sur l'existentialisme sartrien, elle revendique l'autonomie entière de la femme non seulement au niveau politique, mais au niveau personnel. « On ne naît pas femme, on le devient », écrit-elle. C'est-à-dire que toute femme a le droit d'échapper aux stéréotypes qui l'enferment dans les comportements sociaux conventionnels. Elle revendique pour toute femme le droit de se réapproprier son existence et de congédier toute ingérence dans sa vie privée ; ainsi libres, devenir ce qu'elles veulent, tant professionnellement que personnellement. Choisir librement l'époux, l'amant ou le célibat, mais aussi s'émanciper des contraintes morales liées aux rôles établis. Liberté de divorcer ; liberté sexuelle ; liberté de varier les amants ; liberté d'enfanter hors du cadre marital ou de refuser d'enfanter ; liberté de choisir le moment qui convient ou d'avorter ; et enfin liberté totale du choix de carrière. En un mot, le projet de Simone de Beauvoir consiste à redonner à la femme le droit de disposer de son propre corps et de choisir librement sa destinée hors des contraintes traditionnelles. Ainsi naît en 1949, avec la parution de Le deuxième sexe, un féminisme nouveau qui sort du cadre politique pour réclamer le droit à l'autonomie. Ce deuxième féminisme est de nature personnelle, existentielle, individualiste. Les cinquante années qui suivirent favorisent son avènement. La mise en marché des contraceptifs — dont la pilule anticonceptionnelle en 1960 au Canada — l'avortement sur demande, l'instruction unisexe dispensée dans les écoles mixtes et l'accession de la femme à tout type de travail sans discrimination, feront de celle-ci un être humain pleinement autonome, libéré de tout rôle social prédéterminé. |
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L'avènement du deuxième féminisme impacte considérablement la famille, sphère douloureuse du féminisme-masculisme. Chambardant les valeurs et coutumes familiales, le refus de tout modèle contraignant redéfinit le rôle de la femme. La complémentarité traditionnelle s'efface au profit de l'égalité radicale. Fini le repas vespéral d'une maison accueillante après la journée de travail. On mange les décongelés au micro-ondes selon l'horaire de chacun, et l'on s'affaire au supplément de tâches domestiques. Chacun reconnaît aujourd'hui la crise conjugale ; le divorce est devenu la norme. Retour du balancier, les hommes revendiquent maintenant la parité sur les anciens droits exclusifs des femmes. Beauvoir n'a jamais enfanté — les bébés l'horrifiaient. Ses théories ne posaient aucun problème à la femme célibataire : que des avantages. Mais comment ont-elles pu s'implanter si rapidement dans l'Occident patriarcal ? Comment l'Occident chrétien a-t-il pu basculer dans l'idéologie fémino-centriste en une seule génération ? C'est que le labeur des ménagères échappait à la monétisation. Le consumérisme encouragea l'arrivée massive des femmes sur le marché du travail. Désormais travailleuses, une foule de services furent nécessaires : garderies, repas, services ménagers, sans compter la multiplication des biens de consommation, dont les voitures. Cependant, le troisième féminisme comporte des implications majeures pour l'homme. Lourdement impacté, il veut maintenant avoir son mot à dire. La femme ne saurait faire cavalier seul quand il s'agit du droit d'un homme à choisir de devenir père ou non. La cause récente de M. Gary Bourgeois [1] montre clairement le point de bascule où le féminisme beauvoirien fait naître la cause des hommes. L'acquisition de la libre disposition de son corps donne-t-elle à la femme le droit d'imposer une paternité non désirée ? L'homme peut-il être écarté des projets d'une femme si ceux-ci concernent sa progéniture, de la même manière qu'autrefois, celle-ci se voyait imposer d'enfanter sans son consentement ? Pour la liberté politique ou individuelle, le féminisme pose des problèmes moins cuisants. Simone de Beauvoir avait choisi de ne pas fonder de famille. Olympe de Gouges est devenue veuve rapidement, et elle a choisi de ne pas se remarier pour se consacrer à la littérature. Une fois reconnus, les droits politiques ou individuels sont clairs. La Charte tranche en fonction de règles sans équivoque. Mais le Code qui régissait la vie conjugale s'est transformé. Il établit maintenant que « Les époux ont, en mariage, les mêmes droits et les mêmes obligations. » (CCQ-1991, Art. 392), et que « Ensemble, les époux assurent la direction morale et matérielle de la famille, exercent l’autorité parentale et assument les tâches qui en découlent. » (CCQ-1991, Art. 394). L'union matrimoniale, dans une société individualiste, implique de sempiternelles négociations sans arbitrage. Le Code civil compte sur l'harmonie romantique, mais après la lune de miel, la conjugalité se transforme souvent en guérilla, ou au mieux, en négociations où la partie dominatrice impose sa volonté. Doit-on considérer la famille comme une institution sociale ou un projet personnel ? Dans le premier cas, la société impose un cadre auquel les conjoints doivent se conformer. Le fémino-centrisme impose une rupture familiale qui se manifeste dans tous les aspects de la vie conjugale. Dans le féminisme familial, on doit tout négocier. Tout ce qui était jadis convenu dans la distribution des rôles devient objet de négociations, donc de litiges. Temps de travail, gestion du budget, courses, repas, partage des tâches domestiques, valeurs à transmettre aux enfants, loisirs, etc., le couple doit tout négocier ; aucune norme ; chaque nouveau véhicule doit réécrire le Code de la route à sa convenance. La complémentarité rompue, le divorce devient la norme avec pour seul rempart l'amour romantique. Le consensus est d'autant plus difficile qu'à mesure que les enfants grandissent, ils exigent à leur tour le respect de leurs revendications personnelles. Comment les parents, qui ont tout fait pour s'affranchir de l'autorité traditionnelle, peuvent-ils convaincre les enfants de se plier à leur volonté ? Sur quoi peuvent-ils fonder leur autorité puisque chaque nouvelle génération, coupée des enseignements ancestraux, réinvente le monde à partir de ses exigences narcissiques ? Les femmes étant par nature différentes, ne serait-ce que par le rôle de gestation des enfants, la tradition leur a toujours épargné certaines tâches peu compatibles avec leur situation, et assuré une protection particulière. En déclarant l'égalité des femmes, le féminisme gomme les privilèges traditionnels sans contrepartie pour les retards de progression dans leurs carrières. Les promesses technologiques ne les ont jamais libérées d'enfanter. La dévalorisation de la mère traditionnelle au bénéfice de la libération par le salaire eut le curieux effet de les pousser de Charybde en Scylla. Elles ont empiré leur esclavage en ajoutant un patron dans leur vie. Leurs tâches se sont multipliées ; malgré le sentiment de liberté par le salaire, elles sont entrées dans un cycle accru d'insatisfaction. Bref, comme la cigarette, le féminisme offre une satisfaction dont on ne peut jamais se libérer, et qui exige toujours d'en consommer davantage. Élisabeth Badinter est la première féministe de troisième génération à percevoir les limites des revendications extrémistes (Fausse route). Elle s'étonne du silence des hommes. Devant des changements d'une telle ampleur, ne faut-il pas s'attendre à une réaction masculine importante ? (L'Un est l'autre, p. 341). Le féminisme a tellement valorisé l'égalité, que le masculisme émerge maintenant avec des revendications analogues. Insistant pour conserver les privilèges traditionnels, elles subissent l'amère déception qu'on ne leur tienne plus la porte. Pire, sur le marché du travail, les femmes sont non seulement en compétition avec les hommes, mais aussi avec les autres travailleuses. Le troisième féminisme trouvera-t-il des solutions attrayantes pour la paternité ? En redéfinissant le rôle de la mère, les féministes imposent une vision matrimoniale qui oblige l'homme à redéfinir son rôle paternel en fonction de leurs exigences. À la veille d'une révolution, toutes les idées sont admises. Chacun a son opinion sur le « vrai rôle du père », et celle-ci est d'autant plus variable qu'elle ressemble le plus souvent à une « réparation » des frustrations que chacun a vécues avec le sien. Qu'est-ce que ça veut dire être père ? À quoi rime le projet ? Si la conjugalité n'apporte rien de spécial ; si elle consiste en d'éternelles négociations sur fond d'individualisme narcissique féminin ; si l'homme a même perdu jusqu'au privilège de transmettre son nom ; si ses enfants l'appellent par son prénom ; si la paternité n'est qu'une nouvelle forme de soumission et de responsabilités sans contrepartie ; je ne vois pas pourquoi les jeunes hommes y investiraient leur liberté. |
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[1]
M. Gary Bourgeois est un homme de 46 ans
en liaison avec une femme ayant déjà trois enfants.
Elle tomba enceinte à son insu.
Il la pria d'avorter. Elle refusa.
À la 14e semaine de grossesse, au cours d'une relation sexuelle, il introduisit, à son insu,
deux comprimés de Misoprostol dans le vagin.
Le Misoprostol est reconnu par les gynécologues pour provoquer l'avortement.
Dans les heures suivantes, la femme fut prise de contractions et avorta.
Elle lui intenta un procès.
Le 18 mai 2004, il fut condamné à un an de prison et deux ans de probation.
Le juge Jean-Pierre Bonin précisa que la condamnation visait à envoyer un message clair à tous les hommes :
« La société ne peut tolérer que, dans une relation, le partenaire masculin mette fin unilatéralement
à une grossesse. »
(Article
consulté le 14 juil. 2022.)
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