Féminisme-Masculisme 

 

François Brooks

2004-05-17

Essais personnels

 

L'Homme whippet, [1]
Paquin et Jean-Paul Sartre

 

Au Québec, nous ne sommes pas nés pour un petit pain seulement au niveau professionnel ; nos amours aussi sont nés pour un petit pain. Socialement, on joue les tigres, mais au niveau personnel, l'homme québécois est faible, peureux, lâche et paresseux.

Charles Paquin, L'Homme whippet, 2004, p. 68.

M. Paquin secoue l'homme comme un pommier, et envoie un crochet latéral à la femme. Pour autant, il ne s'en prend pas à elle, puisqu'il admire sa force et sa hardiesse, mais il écrase l'homme chez qui il conspue la faiblesse comme Nietzsche affirmant que l'homme est un ver de terre qui se recroqueville pour éviter d'être écrasé. S'il n'écorchait pas aussi les femmes, on croirait lire un discours féministe, mais sa position ne risque pas l'ire de celles-ci puisqu'il joint la chorale conspuant les hommes.

L'intention générale du pamphlet se résume dans la citation en préambule. Mais faut-il vraiment mettre tous les hommes dans le même panier comme se plaisent à le faire les féministes obtuses ?

Que propose-t-il ?
Que l'homme prenne sa place dans le couple.
Mais qu'est-ce à dire ?
Qu'il puisse avoir son mot à dire dans la définition du couple.
Mais qu'est-ce à dire ?
Qu'il puisse dire non, ne serait-ce qu'une fois de temps en temps.
Mais qu'est-ce à dire ?
Que l'homme vienne qu'à avoir une identité plus forte.
Mais qu'est-ce à dire ?
Qu'il pense par lui-même.
Mais qu'est-ce à dire ?
Il faut lever l'embargo sur le désir.
Mais qu'est-ce à dire ?
Un juste milieu entre le statut de célibataire et celui de couple.
Mais qu'est-ce à dire ?

Bref, à tant connaître l'homme whippet, je me demande si Monsieur Paquin ne serait pas un peu whippet lui-même. Les voies proposées me semblent si vagues, et son objectif si ténu qu'il m'a tout l'air que son célibat ne lui soit pas d'un grand secours pour échapper à la « whippetterie » qu'il dénonce si férocement chez les hommes accouplés. La première requête générale se trouve en page 48 :

« Tous mes amis, sans exception, se font reprocher leurs écarts lorsqu'ils rentrent à la maison un peu tard et un peu ronds. Pourtant, il me semble que cette propension des hommes à faire la fête ne date pas d'hier. Et je ne suis pas sûr que c'est demain que cela va s'arrêter. »

Ça sonne à mes oreilles comme : « Hé ! les gars, c'est vous l'HOMME ; vous avez le droit de rentrer chez vous à n'importe quelle heure, saoul comme une bourrique ! La femme n'a qu'à se taire ! Après tout, c'est ça un vrai HOMME ; si elle ne nous accepte pas tels que nous sommes, elle ne nous mérite pas. » Qui voudrait un soûlard ? Je ne partage aucunement les goûts éthyliques de M. Paquin, et je ne m'en sens pas moins homme pour autant, ni ne me prive d'aller et venir comme bon me semble à toute heure de la journée ou de la nuit sans me sentir obligé de me « rapporter au quartier général ». Dans le décompte des hommes whippet, il faudra me soustraire à la généralisation, ainsi que mes nombreux amis qui vivent en toute liberté sans alcool.

Sa deuxième requête semble revendiquer pour tout homme, « naturellement polygame », de vivre selon ses instincts ; ou à tout le moins, lui reconnaître le droit de trouver un exutoire sans être rejeté par la compagne. Comment souscrire un projet qui ressemble davantage à un appel à l'irresponsabilité qu'au désir d'un homme d'être reconnu pour ses nobles qualités ? La jalousie est pour moi un sentiment non négligeable et, même si j'avais le goût de « sauter la clôture », (Dieu m'en garde, une femme suffit !) la fidélité me protège, entre autres, contre les inévitables problèmes engendrés par mes pulsions. D'ailleurs, je ne connais pas d'hommes qui, malgré les fanfaronnades et les joyeuses grivoiseries, seraient véritablement coopératifs si j'empruntais leur compagne pour la nuit.

J'applaudis lorsqu'il dénonce que les gens ne lisent plus (p. 119) (ont-ils d'ailleurs jamais lu beaucoup plus ?) et qu'ils soient ainsi incultes. Mais son ami français, pilote d'hélicoptère, qui a attiré l'attention sur ce fait, aurait été bienvenu de contribuer à l'amélioration de la qualité de ses lectures. Sur la quantité impressionnante de citations qui foisonnent dans le pamphlet de 139 pages, la moitié proviennent de sources médiatiques médiocres qu'il dénonce pourtant à juste titre. Comment s'inspirer de Guy A. Lepage, Marie-France Bazzo, Lise Dion ou Marie-Sissi Labrèche, alors que leur profession consiste à créer des cotes d'écoute ? Que vaut la réflexion d'un démagogue ?

Bien sûr, il ne s'inspire pas que des médiatiques populaires ; il cite aussi quelques écrivains intéressés au sort du mâle, comme Paule Salomon, Yvon Dallaire, ou Pascal Bruckner. Mais il descend Alexandre Jardin parce qu'il s'est concentré sur un seul sujet : les relations amoureuses. J'aurai oublié son pamphlet longtemps avant que Jardin n'ait cessé de m'inspirer. Parce qu'en amour, Jardin apporte des idées nouvelles sans écraser personne. Les génies foisonnent ; ils sont répartis dans l'héritage littéraire et philosophique de notre civilisation ; il faut les chercher ailleurs que dans le rayon des nouveautés. Si M. Paquin pratique le style pamphlétaire, pourquoi ne pas s'inspirer de Voltaire ? De velours, il n'en était pas moins vitriolique, et surtout, il avait le bon goût de ne pas se mettre à dos ses alliés naturels .

À la page 102, Charles Paquin offre enfin une piste intéressante. Il cite un article de Vincent Thibeault, intitulé Réflexions sur le couple, publié dans le journal des étudiants en philosophie de l'UQÀM :

« La thèse que je veux soutenir est que la structure du couple telle que léguée par la tradition (ses règles du jeu) n'est pas celle pouvant le mieux convenir à son nouveau rôle (épanouissement des partenaires). Ses rôles traditionnels étant la procréation, l'atteinte d'une certaine sécurité économique et un sacrement religieux essentiel ; on comprend que ses règles du jeu, à savoir l'exclusivité et l'indissolubilité correspondaient bien à sa fonction. Il y avait adéquation entre rôle et structure. Le problème contemporain du couple, c'est que sa fonction a changé alors que sa structure est restée la même. J'irais jusqu'à dire que sa structure nuit à l'accomplissement de sa nouvelle fonction » [...] En somme, la difficulté majeure qu'éprouvent l'homme et la femme modernes, c'est l'absurde nécessité de se conformer au modèle figé et désuet du couple ; un modèle ne répondant ni à la nouvelle situation sociale ni à la nouvelle fonction qu'on lui attribue. »[2]

Intéressant, mais quel nouveau modèle propose-t-il ? Vincent Thibeault s'arrête-t-il là ? Élisabeth Badinter [3] allait déjà plus loin en 1986 en avançant que, puisqu'il n'y a plus de modèle standard imposé par la société, chacun a désormais le choix de fixer les termes de l'entente relationnelle librement consentie. Si le rôle de soumission convient à un autre, pourquoi me sentirais-je menacé alors que je peux m'en exempter avec une compagne offrant un rapport différent ?

Examinons un autre point. Nous savons que depuis l'avènement du féminisme de masse — que je situe vers la fin des années soixante, et qui suit immédiatement la mise en marché de la pilule anticonceptionnelle — les femmes revendiquent de manière croissante leur épanouissement personnel, et ceci, de pair avec une économie axée sur l'autosatisfaction. Cette thèse, reprise par M. Charles Paquin au compte du masculisme, veut que, si chacun est heureux dans sa vie d'individu, nous ne puissions faire autrement que d'être heureux collectivement.

Mais l'individualisme féministe a-t-il vraiment augmenté la satisfaction ? Rien n'est moins sûr. Combien sont écrasées sous les fardeaux de la femme libérée ? : travailler, élever une famille, nourrir la flamme amoureuse, gérer l'ordinaire de la maison (ménage, lavage, épicerie, cuisine, garderie, voiture, école, clinique médicale, soins personnels, etc.) et souvent même, suivre des cours de perfectionnement. Si la femme surchargée devient maintenant le modèle de combat individualiste pour les hommes, comment espérer la satisfaction ? Où est la liberté promise ? L'homme sera-t-il plus heureux s'il peut fêter et s'érotiser à volonté ? L'histoire de Jim Morrison [4] ne m'a pas convaincu.

Comment peut-on penser une famille heureuse, chacun pour soi ? La famille n'est-elle pas plus que la somme de ses parties ? Et si la famille est plus, qu'est-elle donc ? Comment faire comprendre à quelqu'un qui — à grand renfort de publicité — a toujours été poussé à satisfaire ses petits besoins personnels, que le plaisir de voir l'autre heureux est plus grand que son petit bonheur à lui tout seul ?

La mise au monde dans un tel contexte est une violence qui exige réparation à vie. Chacun pense à raison que tout lui est dû. Autrefois, les parents s'évitaient les reproches en disant aux enfants qu'ils sont l'oeuvre de Dieu commandée par la Sainte Église. Mais aujourd'hui, ceux-ci sont pleinement responsables de tout ce qui arrive à leur progéniture puisqu'ils n'ont qu'à s'abstenir de les mettre au monde pour leur éviter tout malheur. Comme le malheur fait aussi partie de la vie, engendrer mène donc, tôt ou tard, à être maudits de ses propres enfants. Les parents contractent une dette exorbitante ; inextinguible avant la troisième génération par la culpabilité des enfants qui se seront commis à leur tour. Mais voilà, tant que le célibataire ne s'est pas reproduit, il a tous les droits.

Si la vie amoureuse comporte cinq étapes :
     1. La passion,
     2. La lutte pour le pouvoir,
     3. La stabilité,
     4. L'engagement
et  5. La cocréation, [5],
nous sommes encore loin de l'engagement, et encore plus loin de la cocréation. M. Paquin nous invite à lutter pour le pouvoir, et pour le moment, ne pas faire d'enfants. Il n'a pas l'audace de conseiller le célibat, mais il nous conjure de ne pas abandonner la liberté masculine fondamentale aux caprices de la conjointe et de la procréation. Bref, l'auteur propose que les hommes cultivent le syndrome de Peter Pan.

L'opuscule pourra-t-il inciter les hommes à la révolte espérée par l'auteur ? Son programme apporterait-il davantage de bonheur ? Mais qu'est-ce donc que le bonheur ? Sartre est d'avis que c'est la liberté même qui est le bonheur puisque, une fois libres, nous avons le loisir de choisir notre vie. Ne pas choisir, dans un contexte de liberté, est aussi un choix valable, et ultimement, la liberté de choisir sa propre prison. Sur un autre registre, Léo Ferré chante que le bonheur c'est du chagrin qui se repose, et qu'il ne faut pas le réveiller. Le bonheur d'un pamphlétaire consiste certainement à provoquer. J'adresse donc à l'auteur cette critique en clin d'oeil, puisque j'aime bien aussi taquiner le penseur masculiste. Merci, M. Paquin, d'avoir provoqué l'exercice de ma liberté de critiquer. Quand aux whippets, puisqu'ils sont libres, avec Jean-Paul Sartre, de choisir même leur prison, ils ont toute mon indulgence de choisir leur bonheur comme ils l'entendent. Lorsqu'ils seront insatisfaits, ils le choisiront ailleurs.

[1] Charles Paquin, L'Homme whippet, Éditions JCL © 2004.

[2] Vincent Thibeault, Réflexions sur le couple, Le Pourquoi ? (Journal des étudiants en philosophie de l'UQÀM) Vol. 3 ; no 3 © 2001.

[3] Élisabeth Badinter, L'un est l'autre, Odile Jacob © 1986.

[4] Nietzsche favorisait Dionysos contre Apollon. Jim Morrison est le modèle dionysiaque du héros moderne. La fin tragique de Morrison et de sa compagne n'est certainement pas un modèle à suivre.
Voir le film de Oliver Stone, The Doors, 1991.

[5] Susan Campbell, Changer ensemble, Éd. de l'Homme © 1988, repris par Yvon Dallaire, S'aimer longtemps, Option santé © 1996.

Philo5
                Quelle source alimente votre esprit ?