par François Brooks
Bonjour Mme Denyse Bégin
Je ne vous connais pas mais on me dit que vous êtes journaliste. Rappelez-moi un peu la fonction d'un journaliste, il me semble ne plus très bien me souvenir. Si j'en juge d'après ce que vous avez écrit dans votre article [1], votre métier consiste à communiquer aux gens vos sentiments pour que, éclairés par vos opinions, le peuple puisse prendre les moyens que vous suggérez pour régler ses problèmes.
Je vous remercie de vos opinions. Il est clair que vous êtes remplie de bons sentiments pour les hommes qui souffrent et que vous êtes toute prête à appuyer le gouvernement si celui-ci mettait de l'avant des moyens pour panser les blessures des pauvres mâles éclopés qui ont manqué le virage féministe.
Il y a cependant un cliché que vous véhiculez et qui, à mon sens, réduit la valeur de vos opinions. Vous dites :
« D'une famille traditionnelle où l'autorité paternelle était la loi, nous sommes passés à une famille à " configurations multiples " où dans la loi, pas seulement dans les faits, le concept d'autorité parentale est maintenant celui qui prime. »
Je suis d'accord avec vous pour dire que nous sommes passés à des familles à « configuration multiples » mais ne pourrions nous pas avoir l'honnêteté de reconnaître qu'avec l'avènement du féminisme sont apparues en nombre croissant les familles dysfonctionnelles? Vous terminez votre phrase en émettant l'avis que le concept d'autorité parentale est maintenant celui qui prime. Je me demande bien où est l'autorité parentale lorsque les enfants sont pris en charge à partir du plus bas âge par l'État qui leur inculque l'ensemble des valeurs de leur éducation? Où est l'autorité des parents absents, occupés qu'ils sont à travailler ou à se chercher un nouveau partenaire, et qui parquent leurs enfants devant la télévision ou le PlayStation?
Et pour parler de l'autorité paternelle dans la famille traditionnelle, je vous invite à lire le texte Féminisme et hommes roses, qui explique un autre point de vue sur le fait que traditionnellement au Québec, la femme a toujours exercé une autorité maternelle prépondérante à celle de l'homme, bien que les féministes aient bâti leur marque de commerce sur le cliché opposé. En fait, si l'autorité fut déclassée, c'est aussi bien la maternelle que la paternelle au profit de celle de l'État qui, de la naissance à la mort, a désormais confisqué toutes les fonctions familiales traditionnelles.
Bien sûr, vous voulez bien que les hommes pansent leurs blessures et à la limite, les laisser en groupe grommeler avec le gentil Guy Corneau un peu sur votre dos, (après tout, les hommes ont bien le droit de laisser sortir un peu la vapeur) mais pas question de les laisser prendre des forces avec L'Après-Rupture. « Ce groupe véhicule des tas de préjugés par rapport aux femmes » dites-vous, et il commet l'affreuse bévue de faire un lien entre les maux des hommes et leurs familles dysfonctionnelles. Dites-moi, si le bateau dans lequel nous sommes tous se dirigeait vers le précipice, diriez-vous au capitaine qu'il ne faut pas faire marche arrière parce que ça l'empêcherait d'avancer? « Il faut aller de l'avant! »? Donc, si je vous ai bien compris, tout va bien pour vous mesdames. Le nouveau type de famille à « configurations multiples » vous convient parfaitement et celles dans lesquelles ont été élevées vos mères et vos grand-mères étaient l'enfer. Saviez-vous que L'Après-Rupture jouit de la participation de plusieurs femmes responsables et autonomes dans son organisation? Que pensez-vous de ces femmes?
Je me demande quelle est la valeur de l'opinion d'un colonel d'armée qui afficherait ses bons sentiments en offrant ses suggestions pour secourir les gens sur lesquels il a lui-même tiré à boulet rouge dans sa récente et glorieuse bataille?
Je vous invite à lire les textes de la section Féminisme-Masculisme publiés sur Philo5.
Le féminisme a peut-être encore de belles années devant lui, mais il faudra qu'il change de discours. Celui-ci n'arrivera à rien sans tenir compte du ressac de la condition masculine qui émerge avec une ampleur croissante. Les clichés éculés que vous utilisez me font l'effet de pétards mouillés et semblent maintenant d'un faible secours aux femmes qui voudraient continuer dans cette voie. Si la lecture de textes masculins vous rebute, je vous suggère Élisabeth Badinter qui dans Fausse route a bien vu le précipice dans lequel les féministes déviantes se dirigent.
Je vous remercie d'avoir exprimé votre opinion, celle-ci m'a permis d'approfondir ma réflexion sur le sujet.
Cordiales salutations.
François Brooks
Le Courrier de St-Hyacinthe
Édition du 21 avril 2004
Éditorial
Au front, pour les hommes
par Denyse Bégin
Hommes, groupes d'hommes ou penseurs en tous genres se font de plus en plus souvent entendre sur la place publique à propos de la condition masculine. Voilà un processus qui est sain! En octobre 2002, ici même à Saint-Hyacinthe, avait lieu un colloque fort intéressant intitulé Entre les services et les hommes : un pont à bâtir.
Ce que nous ignorions à l'époque, c'est que ce colloque, axé sur les besoins des hommes en matière de services psychosociaux, avait lieu dans le cadre d'une étude pan-québécoise sur la condition masculine. Celle-ci allait mener à la rédaction du rapport Rondeau (Gilles), déposé au bureau du ministre de la santé Philippe Couillard le 7 janvier dernier.
« Les hommes : s'ouvrir à leurs réalités et répondre à leurs besoins » trace un portrait, saisissant à plusieurs égards, des réalités vécues par beaucoup d'hommes dans un contexte familial qui a énormément changé au cours des dernières décennies.
D'une famille traditionnelle où l'autorité paternelle était la loi, nous sommes passés à une famille à « configurations multiples » où dans la loi, pas seulement dans les faits, le concept d'autorité parentale est maintenant celui qui prime. Certains hommes sont encore en état de choc et ils voient là une perte de contrôle plutôt qu'une autre façon de faire qui tienne compte du point de vue féminin.
Le comité souligne que la santé des hommes est en moins bon état que celle des femmes et, constat inquiétant, les hommes consultent souvent lorsqu'ils n'ont vraiment plus le choix. Ils se retrouvent ainsi avec des diagnostics plus lourds et avec les conséquences qu'on peut facilement imaginer, ne serait-ce qu'en observant les statistiques.
Il est aussi question du taux de suicide quatre fois plus élevé chez les hommes que celui chez les femmes et des problèmes reliés à la toxicomanie et à l'alcoolisme. Le rapport dit que plus de la moitié des jeunes hommes ayant commis un suicide auraient vu leur omnipraticien au cours de la dernière année de leur vie. Il semble y avoir ici un manque flagrant de sensibilisation des médecins aux symptômes pouvant mener au suicide.
En 2003, le chercheur Germain Dulac a constaté que sur 2 800 ressources et services disponibles en matière de prévention et d'aide aux hommes au Québec, 76 au total s'adressent exclusivement à une clientèle masculine.
Dans la région maskoutaine, les hommes en difficultés peuvent recevoir du support de l'Entraide pour hommes Vallée du Richelieu situé à Beloeil, que ce soit pour des problèmes de communication, de violence, pour briser leur isolement ou pour se reprendre en main après une épreuve, séparation ou autre. Ils y trouvent de l'aide de professionnels. Granby est un autre point de chute pour ce type de ressource.
Ceux qui préfèrent se regrouper pour fraterniser et discuter de leurs expériences entre hommes peuvent le faire au sein du Réseau Hommes Québec créé par Guy Corneau il y a quelques années.
L'Après-Rupture est un autre service « d'aide? » aux hommes dans la région, sauf que cet organisme véhicule un tas de préjugés par rapport aux femmes et il lie les maux des hommes aux conséquences de la rupture de la cellule familiale conventionnelle. Un retour à l'époque des cavernes avec ça?
Le gouvernement québécois planche actuellement sur le développement futur du Conseil du Statut de la femme. Si c'est pour intégrer les hommes à une nouvelle structure qui favoriserait l'émergence de leurs revendications et la mise sur pied de services sociaux qui correspondraient mieux à leur réalité, disons oui d'emblée.
Une chose est certaine, il ne faut pas que les seize recommandations du rapport Rondeau tombent dans l'oubli, déjà qu'on n'en parle pas suffisamment sur la place publique!
Le portrait qu'on y trace de la situation des hommes et de leurs besoins qui ne trouvent que trop peu d'échos dans le système de services sociaux actuel constitue un point de départ fort pertinent pour faire avancer la cause des hommes et par ricochet, celle de la société en entier.