par Daniel Martin
La STCUM propose un service baptisé "Entre deux arrêts" permettant aux femmes, la nuit tombée, de se faire laisser plus près de leur destination. La Ville de Montréal a également mis sur pied quelque chose de similaire : un autocollant identifie alors le commerce où une femme se sentant menacée peut chercher secours. En offrant cette protection aux femmes seulement, ces programmes pourtant louables confirment la femme dans son statut de victime, ce qui, indirectement, nourrit la violence.
En excluant les hommes de ces programmes, on affirme qu'un homme - un vrai - ne cherche pas de protection et fait face courageusement aux huit brutes décervelées qui veulent faire l'inventaire de ses poches et de sa dentition; on sous-entend que les hommes ne sont pas victimes de crimes violents - ou à la limite, que c'est moins "aberrant" qu'ils en soient les victimes, puisque ce sont eux, en majorité, qui les perpètrent; on affirme qu'il est criminel de s'attaquer à une femme, mais "chevaleresque" de s'attaquer à un homme, adversaire égal par définition.
Or, ces programmes sont mal ciblés et ne font que répondre à une perception publique défaillante. Selon les chiffres de Statistique Canada (1993) sur la criminalité, les femmes constituent 59% des victimes d'homicides perpétrés par un membre de la famille, 22% des victimes d'une connaissance et seulement 12% des victimes d'un parfait étranger. Une étude du Solliciteur général sur 61 000 canadiens de plus de 16 ans (1982) montre que, dans le cas des vols qualifiés ou des voies de fait, 2 victimes sur 3 sont des hommes.
Pourtant, dans une étude réalisée par le même organisme auprès de 10 000 canadiens de plus de 15 ans, 42% des femmes disent avoir peur de se promener seules dans leur voisinage la nuit, alors qu'à peine 10% des répondants éprouvent la même crainte.
Les femmes, bien que victimes marginales de la violence "aléatoire", sont celles que l'on cherche à protéger par ces programmes, alors que la vaste majorité des victimes d'agressions commises par un agresseur aussi anonyme que mal intentionné sont masculines.
Ces programmes sont une bonne initiative : la violence existe et il est important de stimuler une saine solidarité face aux agresseurs. On rate cependant ici une belle occasion de faire voir au public que TOUT LE MONDE peut être victime, tous sexes confondus. Or, sous le couvert de la protection de la femme, on reproduit une discrimination similaire à celles que le mouvement féministe cherche à corriger. Nous sommes tous égaux sous le poing du bourreau; qu'on m'offre à moi aussi une main salvatrice.
Et puis... je me demande parfois si j'aurais l'air "moumoune" de demander au chauffeur de m'arrêter "entre deux arrêts". Me faut-il sacrifier quelques dents sur l'autel de ma virilité pour être un homme – un vrai?
[1] Article paru dans le Journal Métro le 31 juillet 2001.