Lettres sur l'esprit de la philosophie 1- Une lecture transévénementielle de l'histoire Lettre sur l'essentiel de l'anthropologie critique, 28 avril 2003 2- Qu'est-ce que la philosophie ? Réponse à un savant inquiet, 27 mai 2002 Lettre à Marilyse Devoyault, 6 février 2000 |
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Textes-dialogue sur Freud et la philosophieAuteurs : Marc Labelle, Manuel de Diéguez, septembre 2002 à mai 2003
Oeuvres deMarilyse Devoyault
Correspondance avec Manuel de DiéguezM. de Diéguez, j'aimerais tellement avoir votre opinion sur ce qui suit : J'ai souvent lu des textes démontrant la subjectivité dans l'apparence d'objectivité. Chaque fois que je rencontre ces phrases, une question vient me chatouiller. En me basant sur les extraits de définitions suivants, pris dans le dictionnaire de la philosophie Larousse 1988 :
Face à la vie, au temps, au mouvement, alors qu'on ne peut jamais faire autre chose que ce qu'on est en train de faire, face à l'impossibilité de se fixer, face à la limite de l'existence et à l'impossibilité de percevoir le néant, le sujet humain peut-il être la cause de l'action qui parraît lui appartenir? Le "je" peut-il être le sujet d'un événement? Y a-t-il un lien entre l'homme et ce qu'on nomme l'acte? Et, par dessus tout, l'être humain est-il vraiment libre et créateur ou est-ce une illusion?
(Lire d'abord la question de M. Devoyault) retour à la liste Retour Retour au sommaire du site général La Galaiserie Le
6 février 2000 Chère Marilyse Devoyault, Si
un peintre, voyant une coupe de fruits, me dit qu'il va la peindre, parce
qu'il dispose d'une toile, d'un pinceau et de diverses couleurs, vous
pouvez être sûre que cet homme n'est pas un peintre, parce qu'un peintre
est habité par l'âme et l'esprit de la peinture et, à l'inverse, il habite
en eux, de sorte qu'il ne songe pas, en premier lieu, à ses outils et à
l'usage pratique qu'il en fera . De même, si un croyant me dit qu'il va
étudier sa religion et que, pour cela, il lira un traité de théologie et
épluchera les articles du catéchisme romain de 1992, vous pouvez être sûre
que cet homme n'est pas un créateur de "Dieu" et qu'il ignore de quoi il
parle; car s'il le savait, il lirait saint Augustin ou saint Jean de la
Croix, Saint Paul ou Pascal, Saint Jean ou "el poverello", afin de
connaître la dimension de leur âme que les croyants appellent "Dieu", et
il chercherait la dimension de son propre esprit qui méritera d'être
appelée "Dieu". Quand Hector Bianchiotti dit que la musique est la seule
preuve irréfutable de l'existence de "Dieu" , je sais que la dimension de
l'âme de Bianchiotti qu'il juge digne d'appeler "Dieu" s'appelle la
musique. Le
philosophe est un homme qui juge que la philosophie est la seule preuve
irréfutable de ce que l'homme est un être pensant; puis il se demande
quelle sera la nature de la pensée qu'il jugera digne de la philosophie,
comme Bianchiotti se demande quel Dieu sera digne de la musique. C'est
pourquoi l'activité du philosophe n'est pas, en premier lieu, de savoir ce
que sont la liberté, la conscience, l'action, le sujet ou l'objet en
consultant un dictionnaire, mais de se demander comment ces termes
passeront par le creuset de la pensée et se métamorphoseront en des
réalités intelligibles; car non seulement le dictionnaire ne les explique
pas, mais il les rend aussi inintelligible qu'une coupe de fruits avant
que Renoir ou Van Gogh aient révélé leur véritable nature, ou avant que
saint Augustin ait donné au nom de Dieu l'âme et l'intelligence de saint
Augustin, ou avant que Mozart n'ait donné à la musique l'âme et l'esprit
de Mozart. La
philosophie n'est pas une discipline hérissée de réponses. Il appartient
au juriste, à l'administrateur, à l'homme politique et même au moraliste
de quartier de dire ce que sont la liberté et la conscience dans leur
usage courant et pratique. Le philosophe sait, comme disait Heidegger ,
que les questions sont plus importantes que les réponses. Mais pourquoi le
philosophe est-il l'homme des questions ? Parce que la vie de
l'intelligence et celle de l'âme se mesurent à la nature et à la qualité
des questions qu'elles posent à la pensée. Le philosophe est
l'expérimentateur de la sorte de raison qui lui enseignera et qui lui
apprendra à "donner un sens plus pur aux mots de la tribu", comme disait
Mallarmé. Pour cela, il invente et réinvente sans cesse la raison
elle-même , comme le musicien réinvente sans relâche la musique et le
peintre la peinture. Un
philosophe se pèse à la densité, à la transparence, à la profondeur de ses
questions. Que reste-t-il des réponses de Platon dans La République?
Presque rien. En revanche, le feu et la pureté de ses interrogations sont
telles qu'elles vibrent depuis vingt-quatre siècles et donnent leur vrai
sens aux réponses elles-mêmes. Platon se demandait si la philosophie peut être enseignée.
C'est demander si la peinture, la musique ou "Dieu" peuvent être
enseignés. Vingt-cinq siècles plus tard, nous connaissons la réponse. Elle
confirme celle de Socrate. Non, la philosophie comme température de l'âme
pensante et comme feu de l'intelligence ne peut pas être enseignée et la
preuve de cette impossibilité, c'est la scolarisation de la
philosophie et son parcage dans les dictionnaires où elle s'égare dans les
fausses réponses de ce que les Grecs appelaient la doxa, simple opinion,
et que nous appelons la scolastique. Telle est la liberté vivante, celle qui n'est précisément
pas définie dans les dictionnaires, celle qui ne se prête pas à
l'enseignement parce qu'elle est créatrice. Le peintre est libre quand il
épouse la peinture, quand il l'interroge, quand il reçoit ses réponses et
les transmet. Le mystique est libre quand il enfante le dieu qui exprimera
l'incandescence de son âme ; le musicien est libre quand il écoute le
génie de la musique et s'en fait l'écho - mais la peinture, "Dieu" et la
musique sont tout entiers dans leurs créateurs.
Apprenez la liberté à l'école des créateurs ; et pour cela,
ne cherchez pas des réponses dans la philosophie comme le physicien dans
la physique, le botaniste dans la botanique et le géomètre dans la
géométrie, mais écoutez l'âme, le pas et la démarche de la pensée en vous
mettant à l' écoute de ceux qui l'incarnent. Si vous ne lisez que le
français, recevez une forme de l'âme et de l'esprit de la philosophie à
lire le "Discours de la méthode" ou les "méditations métaphysiques" de
Descartes, ou encore Montaigne ou Pascal, parce que si vous voulez
prendre rendez-vous avec la philosophie, c'est avec la pensée que
vous devez prendre rendez-vous comme le peintre doit prendre rendez-vous
avec la peinture et le musicien avec la musique.
Le
philosophe est le poète de l'intelligence et c'est le sang de
l'intelligence qui coule sur l'autel où il est sacrifié. Pour comprendre
la pensée comme tragédie et comme témoignage spirituel, il faut vous
souvenir que Socrate a bu la ciguë, et que la philosophie est la seule
discipline digne d'avoir été fondée par un martyr.
La
philosophie est aussi une formidable logique. C'est parce que le droit est
une formidable logique que tous les grands juristes internationaux sont,
en réalité, des philosophes du droit ; mais le philosophe est le logicien
qui voudrait mettre de l'ordre dans le cerveau du genre humain comme le
juriste en a mis dans le sien. Seulement, la "logique du droit" du
philosophe est la logique de l'esprit et cette logique-là passe par la vie
testimoniale de la pensée. Vous ai-je un peu parlé de la liberté? Le philosophe est,
toute sa vie un apprenti de la liberté, de la seule vraie, celle de la
pensée. Mais cette liberté-là est dangereuse. Elle se collette avec les
servitudes de l'Histoire. Elle trouve toute sa noblesse à mériter la peine
de mort. Elle est la désobéissance sacrée et fondatrice, celle des
prophètes qui déconstruisent les idoles de l'Histoire. Est-il une liberté
plus connaturelle à l'action que celle qui vous conduit devant un tribunal
visible ou invisible? Pour prendre contact avec cette liberté-là, c'est
avec Socrate respirant qu'il faut prendre rendez-vous, car la liberté se
manifeste en ses hommes-signes. Les signes ne s'incarnent pas - les vrais signes sont des
voix. Pour entendre Platon, il faut le lire en grec, pour entendre
Augustin, il faut le lire en latin, pour entendre Nietzsche, il faut le
lire en allemand, pour entendre Unamuno, il faut le lire en espagnol. En
philosophie aussi, traduttore, tradittore. Mais vous avez sous la main des
philosophes français qui ont brûlé sur le gril de leurs questions -
et comme par hasard, ceux-là furent aussi des écrivains.
Amicalement, Manuel de Diéguez retour à la liste Retour Retour au sommaire du site général
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Manuel de Diéguez, janvier 1990
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Mise à jour: 8 février
2004 | |||