par François Brooks
« Comme promoteur de la Compréhension Publique de la Science à Oxford, où il a étudié et enseigné pendant plus d'un quart de siècle, Dawkins a été libéré des fonctions scolaires courantes pour combattre à plein temps pour la science, l'éclairement, et le gros bon sens dans un monde où les forces de la superstition et de l'obscurantisme délibéré semblent parfois croître chaque jour », disait de lui Roger Downey dans un article du Seattle Weekley en décembre 1996.
En 1976, Dawkins publie The Selfish Gene, et, en 1983, The Extended Phenotype: The Gene as a Unit of Selection. Il reprend le Darwinisme et lui applique un principe qui veut que l'esprit fonctionne sur le même mode que l'évolution des espèces. Il y introduit la notion de mème [1], l'équivalent spirituel du gène. Celui-ci va se « multiplier » par le simple moyen de la communication. Si le mème est suffisamment « adapté » à son environnement culturel, il va se propager en se « copiant » d'un cerveau à un autre. C'est ainsi que l'on voit apparaître les modes favorisant certaines idées sans qu'on puisse savoir pourquoi. Dawkins nous explique que la force de propagation des idées ne dépend nullement de la volonté humaine mais de la puissance « autonome » de ces idées. Ce qui est original dans le système de Dawkins, c'est que le mème a une nature égoïste ; il agit sans que l'humain en ait conscience ; il a une individualité propre.
On avait qualifié le darwinisme de « dangereuse idée de Darwin » parce que celui-ci avait trouvé un système qui pouvait expliquer toute vie sur terre sans jamais se référer au principe d'un Dieu créateur. Je pourrais, de la même manière, qualifier le « dawkinisme » de dangereuse idée puisqu'il va encore plus loin que Darwin en avançant que nous pouvons expliquer tout le comportement humain sans jamais référer à la notion de libre arbitre.
Même s'il n'est pas à proprement parler reconnu généralement comme philosophe, Richard Dawkins nous fournit un système de pensée si stupéfiant par sa cohérence et sa manière d'expliquer le monde, que j'estime qu'il mérite de figurer parmi les philosophes vivants. Une étude approfondie de son système apporte un éclairage original sur toute la pensée occidentale et, plus dangereusement, sur ses bases qu'elle remplace.
(Page consultée le 26 mai 2004 : http://www.ai.univ-paris8.fr/~renaud/publications/hthese/node17.html)
R. Dawkins [Dawkins, 1983] étend l'approche Darwinienne en introduisant le concept de mème (analogue mental du gène). Pour cet auteur, un mème est un objet mental qui, tel une créature biologique, lutte pour sa survie. A l'instar du gène égoïste [Dawkins, 1976], le mème se sert de l'individu qui en est porteur afin de se disséminer. Cette dissémination n'est pas, au contraire du domaine biologique, uniquement liée à une activité de reproduction mais dépend des moyens de communication offerts à l'individu. Or la variété de ces derniers, depuis la banalisation de l'accès aux moyens de télécommunication, est de plus en plus aisée. Dawkins voit donc le champ culturel comme le siège d'une activité dans laquelle les mèmes interagissent par le biais de leurs véhicules humains. Grâce à l'expression orale, écrite ou visuelle, certaines interactions peuvent aboutir à l'extinction de mèmes (la mort subite d'un unique porteur d'un mème en est un exemple extrême), d'autres à des associations entre mèmes dont l'adoption simultanée par un individu ou par une communauté en améliore la survie. Nous observons encore l'occurrence de deux concepts :
la diversité
des mèmes est à la fois la conséquence de la diversité génétique des individus et des environnements dans lesquelles ils sont plongés. Des événements aussi simples que le lever et le coucher du soleil sont à la source de nombreux mythes car ils sont partagés par toute l'humanité. En revanche, les particularités de la faune, de la flore – qui résulte elle-même de la situation géographique, de la géologie – et le degré d'isolation dans lequel se trouve une population, conduit cette dernière à établir des croyances spécifiques.
la sélection
des mèmes qui peut s'effectuer de manière dramatique, par la sélection des individus eux-mêmes : un individu possédant une attitude suicidaire voit ses chances de faire des adeptes fort limitées. Plus heureusement, un ou plusieurs individus dont les traditions améliorent l'état physique ont plus de chances de procréer, d'accumuler de l'expérience et de la transmettre à leurs descendants. En cela, R. Dawkins compare le cheminement des idées dans l'esprit des hommes à celui des gènes au sein d'une espèce. En prenant une image anthropomorphique, les gènes et les mèmes sont égoïstes. Tous deux sont immortels, et utilisent les organismes dans lesquels ils résident pour leur réplication et leur dissémination.
Le système de R. Dawkins reprend l'hypothèse de K. Lorenz en ce qui concerne le caractère universel de l'acquisition de l'information, en l'appliquant à l'évolution de la culture humaine. Mais il va plus avant en s'inspirant des mécanismes biologiques pour expliquer la formation et la persistance de mèmes \ de plus en plus complexes. Dans le cadre de la construction de systèmes artificiels, cette approche est pertinente au sens ou elle donne une idée de la mécanique par laquelle les modèles mentaux peuvent évoluer.
Il est important de noter, comme le font remarquer J.-P. Changeux et A. Connes [Changeux et Connes, 1989], qu'au niveau du mème , la pression de sélection au niveau du gène n'intervient pas nécessairement et ne suffit pas à expliquer l'immense variété du patrimoine culturel humain. Il faut alors considérer que lorsqu'un même est indépendant de la pression de sélection à laquelle l'individu ou le groupe sont soumis, sa capacité à se disséminer dépend alors de son aptitude à exploiter des niches psychologiques et non plus écologiques.
Il faut considérer qu'avec l'homme, l'apparition du langage a produit une entité comparable à une forme de vie : le mème. Mais à la différence d'une forme de vie biologique, un mème peut être stocké sur différents supports, transmis rapidement et dupliqué à peu de frais. Il est même possible d'appliquer la métaphore des mèmes aux hypothèses les plus extrêmes concernant l'évolution humaine. Ainsi, H. Moravec [Moravec, 1988] décrit des machines artificielles capables de traiter – bien qu'il n'utilise pas explicitement le terme – des mèmes produits par les humains, et capables ensuite d'en créer de nouveaux. Cet auteur utilise le terme de décollage génétique ( genetic takeover) pour décrire ce processus qui ferait de la machine pensante un descendant de l'homme. Si l'on conserve l'approche de R. Dawkins, celle du mème égoïste, la machine pensante n'est-elle pas le moyen le plus adapté à la survie de certains mèmes, notamment ceux qui concernent les machines pensantes, qu'elles soient naturelles ou artificielles?