22-05-2018 |
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Pratiques philosophiques : |
Assurément, si l’on se place sur le terrain des finalités utilitaires, la philosophie ne sert à rien.
Jankélévitch, Quelque chose dans l'inachevé, 1978 Quelle ne fut pas ma surprise d'entendre mon prof de philo affirmer en 1998 que la philosophie ne servait à rien ! Qui était ce Jankélévitch qui me faisait l'impression d'un prêtre affirmant avec candeur l'inexistence de Dieu ? Je l'ai ressenti comme un outrage. J'avais l'impression qu'on essayait de me voler quelque chose. Comment une discipline qui me permettait d'atteindre des réflexions aussi stimulantes et lumineuses pouvait-elle être superflue ? J'écrivis alors cette petite réflexion : Un autre débouché pour la philo : Philosophe consultant. Jetant les bases d'un métier que je devrais créer moi-même puisqu'il n'existait à l'époque aucun conseiller philosophique au Québec, je construisis ma clientèle à qui je devais expliquer chaque fois quel était ce curieux service dont jamais personne n'avait entendu parler. Vingt ans plus tard, non seulement j'ai eu raison, mais il foisonne actuellement un engouement croissant pour l'idée, et au surplus, certaines écoles émergent et se distinguent. Philo pour enfants, ados, adultes, pratiques philosophiques pour soi-même, en institution pénitentiaire ou au travail, elle pointe désormais son nez dans les hôpitaux comme un service qui pourrait bientôt prendre la relève des prêtres en soins spirituels. De l'usage de la philosophie ; deux grands courants émergent : utilitaire et ontologique. Le premier, au contraire de la pensée de Jankélévitch, pense que la philosophie doit prendre une place utile dans notre vie, qu'elle sert à augmenter la créativité, favorise la santé, inspire l'individu dans l'éthique de ses comportements, assiste la recherche dans le champ de l'intelligence artificielle, etc. Le second reconnaît un usage intérieur, comme un instrument pour améliorer le contact avec soi-même, un miroir de soi qui va au-delà des traditionnelles réponses religieuses et psychologiques. Ces deux courants présentent l'éternel paradoxe destin/liberté sous une nouvelle perspective. Le conseiller doit-il favoriser un usage déterminé de la philosophie ou en faire le tremplin de notre liberté ? 1. L'usage utilitariste, consistant à appliquer le savoir philosophique en vue d'atteindre certains objectifs spécifiques, est en quelque sorte un prêt-à-penser qui, avouons-le, serait bien pratique parmi ceux qui considèrent la réflexion trop coûteuse, ou qui n'ont tout simplement pas le temps nécessaire pour affiner leurs décisions. 2. L'usage ontologique, consistant à chercher un état philosophique permettant d'accéder à un épanouissement personnel, nécessite un coûteux questionnement qui permet de chercher la solution idéale à tout problème, qu'il soit pratique ou existentiel. Le premier propose une philosophie clef en main ; le second, plus socratique, tente de tenir l'esprit en éveil par le questionnement. Les deux écoles ne sont pas toujours tranchées ; elles s'influencent mutuellement, mais on les entend souvent s'opposer, comme dans la réflexion de Jankélévitch. Les philosophes purs et durs, traditionnels, se sont toujours opposés à l'usage déterministe puisqu'ils considèrent leur discipline comme sacrée, et gardienne des clés de la liberté. Mais le besoin d'études approfondies dans le domaine de l'intelligence artificielle montre qu'il sera bientôt nécessaire de concevoir une liberté conditionnelle aux robots qui demain peupleront notre environnement. De ce schisme chez les philopraticiens émergent de nouvelles perspectives d'application de la philosophie. D'autre part, les psychothérapeutes admettront-ils bientôt que l'humain a aussi besoin d'autre chose que de thérapies ? Seront-ils disposés à référer leurs clients sains d'esprit aux conseillers philosophiques, comme ceux-ci se refusent à voir des clients pour lesquels leurs services sont inadéquats ? J'anticipe une nouvelle lutte pour les chasses gardées professionnelles où l'on s'arrachera bientôt les clients entre travailleurs de l'esprit. Un avenir tumultueux et passionnant se dessine. Le conseil philosophique est désormais reconnu ; l'humain est plus qu'un patient ou un fidèle ; il a souvent besoin de quelqu'un d'autre que le psychiatre ou le prêtre. Les conseillers philosophiques se désignent eux-mêmes sous différents vocables selon l'approche : philopraticien, philothérapeute, enseignant, coach, consultant, compagnon, etc. Lorsque la clientèle laïque en manifestera le besoin, on verra sans doute apparaître des « ontologues ». Après tout, l'existence concerne aussi bien le croyant que l'athée, et le passage de l'être au non-être leur pose de singulières questions aussi bien qu'aux croyants. Comme dans toute discipline, ces gens font de la recherche, enseignent et dispensent des services individuels ou à des groupes. Pour le moment, voici un tour d'horizon des principaux auteurs qui ont façonné le paysage de la pratique philosophique depuis vingt ans, et un bref commentaire sur l'apport de chacun. |
* * * Marc Sautet, Un café pour Socrate, Laffont © 1995
Pionnier de cafés philosophiques et de la consultation philosophique en France, Marc Sautet divise son ouvrage en trois parties : Lou Marinoff, Platon, pas Prozac !, Éd. Logiques © 2000
Pionnier de la consultation philosophique aux États-Unis, fondateur de l'American Philosophical Practitioners Association, et né à Montréal,
Marinoff livre un vibrant plaidoyer contre l'industrie pharmaceutique qui transforme l'être en zombie. Il fournit une « pharmacopée »
bien garnie comprenant pas moins de 66 philosophes appliqués aux grands moments de la vie : quête amoureuse, entretien de la relation, rupture,
querelle de famille, travail, démon du midi, éthique, morale, trépas, etc.
Michel Sasseville, La pratique de la philosophie avec les enfants, PUL © 2000
Pionnier de la philo pour enfants au Québec, et inspiré de la méthode états-unienne de Matthew Lipman, Sasseville est l'un des moteurs les plus
puissants de transmission qui soit en philosophie puisque dès 1997, il établit le Conseil international de recherche
philosophique avec les enfants. C'est grâce à son travail que les générations montantes savent maintenant concevoir l'utilité de la philosophie.
Les générations antérieures n'avaient même pas l'idée d'un tel usage.
Celle-ci s'oppose à l'approche brenifienne qui cherche à se dégager de l'utilitarisme.
Oscar Brenifier, Nombreux ouvrages Docteur en philo, mais chercheur libre, travail colossal, ouvrages publiés dans plus de 30 langues, Brenifier est l'incontournable de la pratique philosophique pour enfants, ados et adultes. Formateur des formateurs, il organise des séminaires de questionnement philosophique partout dans le monde. Basé en France (Argenteuil et Bourgogne), mais né à Montréal, il élabore une approche originale qui fait école : solide méthode socratique. Reconnu pour ne pas être « gentil », il organise des formations d'autant plus efficaces. Doté d'une force exceptionnelle, il sait renvoyer ses contradictions à une foule entière en atelier de groupe tout en préservant les susceptibilités. D'une générosité remarquable, il offre plusieurs titres en téléchargement PDF gratuit sur son site. Eugénie Vegleris, La consultation philosophique, Eyrolles © 2010
Panorama actualisé de la consultation philosophique en 2010.
Elle présente l'exercice d'une nouvelle pratique rémunérée de la philosophie, et partage son expérience, soulève certaines questions,
ouvre quelques pistes utiles au consultant philosophe. Le récit de diverses consultations philosophiques met en relief les leviers d'une
méthode d'intervention (conceptualisation, clarification, problématisation, improvisation cadrée...).
Sont abordées également, les questions propres au métier de consultant philosophe : la posture, la rémunération, la relation au client,
ainsi que les spécificités par rapport aux autres approches : psy, développement personnel, coaching, enseignement.
Michel Tozzi, Nouvelles pratiques philosophiques, Chronique Sociale © 2012
Ancien collègue de Brenifier dans la revue Diotime, Tozzi est réputé pour une solide didactique de la philosophie dont l'analyse des présupposés
dans les affirmations. Concis, organisé, explicite, il propose un inventaire complet des pratiques philosophique.
Philosopher à l'école maternelle, au primaire, en collège, en lycée professionnel, dans des médiathèques, des maisons des jeunes, des foyers de
jeunes travailleurs..., ou philosopher dans un café philo, banquet philo, ciné philo, théâtre philo ; au cours d'une rando philo, avec une
BD philo, par une consultation philo privée ou en entreprise..., ou philosopher en prison, en maison de retraite, à l'hôpital, etc.,
Tozzi est le maître des maîtres. Une écriture qui rend la philosophie compréhensible, quel que soit l'usage auquel on le destine.
Laurence Bouchet, Philosopher pour se retrouver, Marabout © 2015
Après 20 ans à enseigner la philo en classe de première au Lycée, elle se recycle dans la consultation philosophique.
Élève d'Oscar Brenifier, elle examine les 7 attitudes et 7 compétences qu'un philopraticien doit développer,
et propose de nombreux exercices ciblés à pratiquer dans les ateliers et la consultation : amitié, critique, intelligence des émotions, ironie,
jugement, etc.
Elle passe en revue à peu près tout ce qui peut se dire sur la
pratique philosophique. Elle sillonne aujourd'hui l'Europe avec sa Philomobile pour animer les ateliers.
Attitude admirable : douceur, calme, solidité, force, stabilité, finesse ; bref, un maître de la pratique de groupe,
et très efficace en consultation privée. Elle anime aussi des ateliers en milieu carcéral.
Eugénie Vegleris, Manager avec la philo, Éd. d'Organisation © 2006
Pionnière de l'introduction de la réflexion philosophique dans le monde du travail, Eugénie Vegleris rallie pas moins de 63 philosophes pour
activer ses interventions en entreprise et au quotidien. Textes concis, termes clairs, on se demande en la lisant comment on a pu un jour penser
que la philosophie était incompréhensible. On sait que la psychologie a de larges entrées dans les affaires ; on se réjouit maintenant
de disposer des outils philosophiques pour mieux les penser.
Éric Suarez, La philo-thérapie, Eyrolles © 2007
Éric Suarez présente 20 cas types d'analyse de situations sous l'éclairage de 22
grands philosophes : amour, image de soi, famille, travail, deuil.
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