Willem de Vos
Dans le cadre du Séminaire d'Oscar Brenifier sur le questionnement philosophique, Willem de Vos nous a proposé une réflexion éthique embarrassante. L'histoire qui va suivre met en scène cinq personnages qui seront plus ou moins responsables (ou coupables) de leurs actes. Il s'agit de déterminer, d'abord pour soi-même, par ordre décroissant, celui ou celle que nous jugeons le plus coupable et les ordonner en allant jusqu'au moins coupable. Il faut ensuite former des groupes d'influence pour essayer de convaincre ceux qui ont un sens éthique différent du nôtre de se rallier à notre jugement. Il est étonnant de constater à quel point, tout conviviaux que nous fûmes, nous adoptions des positions irréconciliables. Voyons d'abord l'histoire sur laquelle nous avons été appelés à juger.
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Lisa est fiancée à Henry. Ils vivent de chaque côté d'un fleuve tumultueux. L'automne et l'hiver, il est pratiquement impossible de franchir ce cours d'eau sans danger, de sorte que les amants ne peuvent se voir pendant un long moment.
Un jour, Lisa n'en peut plus. Elle a tellement envie de rencontrer son fiancée qu'elle va voir l'un des bateliers, Alexandre, et le supplie de la conduire de l'autre côté du fleuve. Mais Alexandre n'a pas le courage de traverser, c'est trop risqué, il pourrait y perdre son embarcation et même pire. Il l'envoie donc voir son collègue Sean, sachant qu'il a une mauvaise réputation en raison de son comportement envers les femmes. En effet, il a coutume de leur faire des propositions malhonnêtes.
Ne se doutant de rien, Lisa va voir Sean et lui demande pour traverser la rivière. Il accepte à condition qu'elle fasse d'abord l'amour avec lui. Lisa ne veut pas, mais son désir de voir Henry est si fort qu'elle consent aux rapports sexuels. Sean la fait ensuite traverser.
Elle rencontre son amant. Ils se sautent au cou. Ensemble ils passent une nuit très romantique. Le lendemain matin, elle se confie et lui dévoile ce qu'elle a dû faire pour être en mesure de traverser la rivière. Henry se met alors en colère, rompt les fiançailles et la jette brutalement hors de sa maison.
Sanglotant, Lisa va voir un troisième passeur, Rocky, et lui raconte l'histoire. Épris de sympathie pour elle, il devient féroce et court à la maison d'Henry pour le tabasser mortellement. Il s'enfuit ensuite avec Lisa de l'autre côté de la rivière. Mais rendu au milieu de la traversée, il tombe à genoux et la supplie de l'épouser. Il avoue avoir toujours été follement amoureux d'elle. Lisa consent.
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Cette histoire met en scène cinq personnages qui ont tous manqué à leur devoir éthique. Mais la faute est-elle aussi grave pour les uns que pour les autres? Ordonnez les d'abord d'après votre propre jugement du plus coupable au moins coupable et justifiez votre classement : (1), (2), (3), (4), (5).
( ) Lisa
( ) Henri
( ) Alexandre
( ) Sean
( ) Rocky
Après avoir attribué un ordre de responsabilité à leur faute, alliez-vous à ceux qui partagent votre jugement pour essayer de convaincre ceux qui pensent autrement. Est-ce que la fin justifie les moyens (Machiavel)? La morale est-elle un impératif catégorique (Kant)? Le plus responsable se situe-t-il (elle) dès la cause initiale (Aristote)? L'amour exige-t-il le pardon inconditionnel (Ieschoua)? Somme-nous responsables des autres (Levinas)? Le plaisir des sens doit-il primer sur toute autre valeur (Aristippe)? Dépend-t-il de nous ou non d'agir de manière éthique ; somme-nous libres d'être vertueux ou non (Épictète)?
Vous serez étonné de constater combien les opinions divergent selon que vous mettiez la priorité sur la liberté individuelle, la fidélité, la non-violence, le respect, le courage ou l'amour. Est-il plus grave d'être infidèle, irresponsable, profiteur, trouillard, libidineux ou violent? Quelle est votre propre hiérarchie des valeurs? Pourquoi pensez-vous qu'elle a préséance sur les autres? Auriez-vous jugé autrement à une autre époque?
Bien-entendu, comme cet atelier se veut « démocratique », le groupe qui aura convaincu le plus d'adeptes sera le représentant des valeurs étiques prioritaires devant s'appliquer. Mais dans l'absolu, l'éthique sera-t-il bafoué ou respecté? Qui peut juger de l'absoluité de ses valeurs? (Y a-t-il un Dieu dans la salle?)