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2022-09-13 |
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Raël, réel, raëlisme |
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SOMMAIRE |
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Claude Vorilhon, Le Livre qui dit la Vérité, 1974.
Claude Vorilhon fonde la religion raëlienne en 1974 en publiant
L'année suivante, en 1975, Vorilhon publie
Le récit de Vorilhon donne une interprétation réaliste de la Bible très plaisante à l'esprit. Inutile de croire ; il n'y a qu'à comprendre tous les mystères du Saint-Livre par des explications scientifiques. En cette époque de progrès technologiques matérialistes et de conquête spatiale, le monde entier avait les yeux braqués sur le ciel, et les journaux rapportaient chaque semaine le témoignage de gens qui observaient des OVNIs, y compris celui du président Jimmy Carter [1]. Raël surgit pour confirmer les hypothèses de Jean Sendy dans Ces dieux qui firent le ciel et la terre, publié en 1968. Tous les mystères célestes s'expliquent avec la présence des extra-terrestres. Depuis l'enfance, nous avions cru sincèrement les extravagances miraculeuses des mystifications bibliques ; les Élohim apportent maintenant la validation de ces croyances par la technologie. Désormais, inutile de croire, il n'y a qu'à savoir. La science délivre de la foi. Mais peut-on accorder le bénéfice du doute à quelqu'un qui affirme quelque chose d'aussi extraordinaire, et dont il est le seul à pouvoir témoigner ? |
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Raël, réel, raëlisme, Israël, he is real Le raëlisme de Raël est un réalisme ancré dans la vérité du peuple du Livre : Israël. Consonance évocatrice autoréalisatrice engageant spontanément la foi, le raëlisme se réalise chaque fois que l'on prononce le nom du prophète. Ingénieux patronyme aussi efficace que le cogito de Descartes où le philosophe postule deux fois sa propre personne dans la formule tautologique : « Je pense, donc je suis », qui fonde doublement l'individu avant d'identifier l'existence à la pensée. Reformulé autrement, le philosophe dit : « Je suis " Je " qui est l'être qui pense. » Descartes s'hypnotise lui-même en élaborant une formule qui fonde la totalité du monde sur son ego doublement postulé qu'il identifie à la pensée. Descartes n'explique rien ; il postule son existence dans une boucle autoréférentielle. Comme par magie, tout le reste s'en suit. De même, Raël est réel. Abracadabra, le langage produit la consistance de la réalité de Raël dans le raëlisme qui est « réaliste ». Quadruple boucle autoréférentielle où Raël s'identifie à la réalité. Les mots agissent comme un effet d'optique mental incontournable. On aurait beau savoir que la chose provoque une illusion ; impossible d'y échapper. Plus encore, nous sollicitons délibérément l'illusion qui confère le sens recherché. |
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La croyance messianique existe aussi dans la tradition bouddhiste. Le Christ bouddhiste est appelé
Maitreya.
Le Maitreya bouddhiste est, tout comme le messie judéo-chrétien, un personnage attendu par les croyants pour sauver le monde. À titre de Raël, Claude Vorilhon affirme qu'il est le dernier Messie universel, le prophète de l'ultime Révélation, il est donc aussi le Maitreya (réorthographié Maitraya [2]). Le Maîtreya incarne la divinité de l'espérance. Quand tout va mal, il est réconfortant de croire que l'avenir nous réserve la possibilité que ça aille mieux. C'est un principe émotionnel opératoire personnifié par le messie. S'il arrive, c'est-à-dire s'il s'incarne véritablement, c'est alors que le monde entier entre dans l'ère où tout va bien.
En 2002, Claude Vorilhon, qui s'est, depuis 1974, identifié à son personnage Raël, publie
Le
Maitraya
Le Maitraya est réédité en 2017 dans un style expurgé de 111 pages
où la doctrine est présentée sous forme de glossaire alphabétique comprenant 133 termes : Inquiétante spiritualité de Raël Dans La Maitraya de Raël, on retrouve un amalgame de pensées éparses qui sont parfois plaisantes, mais souvent inquiétantes : L'article Spiritualité nous interloque (p. 101) : « La science sans conscience est dangereuse. (Pantagruel de Rabelais sans le mentionner.) « Tout ce qui est véridique et réel vient de l'intérieur, jamais de l'extérieur. « Les enseignements des Élohim sont un enseignement d'un haut niveau de spiritualité et ils sont 100 % matérialistes. (Spiritualité matérialiste !?!) « Toutes les religions primitives, chrétienne, catholique, bouddhiste, musulmane, juive, sont toutes affublées de péchés, de culpabilité, la plupart du temps sur la sexualité ; parce que quand vous basez votre spiritualité sur les choses surnaturelles, qui n'existent pas, vous développez la culpabilité et les craintes, l'anxiété, voire des attaques de panique et même des maladies psychiatriques. « Pour avoir une spiritualité, il suffit de se sentir connecté avec nous même, connecté aux autres, connecté à ceux et celles qui ne sont pas raëliens, connecté avec les gens qui nous haïssent, connecté aux Élohim, connecté à l'infini. Il n'y a pas besoin de Dieu pour cela ! « Qu'est-ce que la spiritualité raëlienne ? Elle est basée à 100 % sur des faits scientifiques. L'article Supraconscience nous trouble (p. 102) : « Pour atteindre la supraconscience, il faut rire. « Pour être heureux, parfois, il est très important de penser avec son orteil. « Pensez avec votre anus, mais pas avec votre cerveau. L'article Surpopulation EFFRAIE (p. 103) : « Chaque fois que vous donnez naissance à un bébé, vous créez davantage de morts dans le futur, car ils auront besoin d'électricité. « Donc, la seule politique mondiale intelligente serait de dire à tout le monde " Cessez de faire des enfants " L'article Symbole intrigue (p. 104) : « Il ne peut pas y avoir de science plus avancée que celle qui nous permet de comprendre et de ressentir l'infini. L'article Temps contredit l'éternité (p. 105) : « Nous avons un capital temps, ne le gaspillons pas. Chaque minute de notre vie est précieuse, notre temps est compté sur cette planète. (Si chacun obtient la vie éternelle par le clonage, comme Raël le prétend, le temps de chacun devient infini. Ainsi éternels, l'abondance du temps lui enlève sa rareté. Alors, pourquoi l'économiser ?) L'article Troupeau déconcerte (p. 106) : « Si la majorité nous rejoignait, le Mouvement ne serait plus du tout intéressant et pour éviter que ça arrive, je ferai toujours tout pour que nos valeurs soient suffisamment révolutionnaires, en avance sur leur temps, et donc dérangeantes, en un mot, prophétiques, ou messianiques, pour que nous restions une minorité consciente et soyons rejetés par la majorité imbécile ; ce qui est un signe de santé mentale. (...), je fais tout, à travers des communiqués de presse, pour que les médias publient mes positions dérangeantes sur tous les sujets, afin que le troupeau nous y déteste aussi et que seuls les êtres brillants qui n'aiment pas le troupeau nous rejoignent. (Posture paradoxale : Ailleurs, Raël cherche à gagner le maximum d'adeptes — c'est d'ailleurs la mission que lui auraient confiée les Élohim — mais il affirme ici qu'il fait tout pour être détesté de la majorité. Il dit aussi ailleurs qu'il faut aimer ses ennemis. Pourquoi multiplier les ennemis à aimer plutôt que de se faire aimer ? En fait, il dit que seuls les plus intelligents sont aimables. Mais comment peut-on juger intelligents les gens qui adhèrent à un projet aussi contre-productif ?) L'article Unité rappelle Nietzsche, Plotin, Leibniz, etc. (p. 106) : « Il n'y a pas une partie de l'univers infini ou chaque partie de votre corps ne voyagera, encore et encore et encore. Combien de fois ? Un nombre infini, parce que c'est l'infini. Donc, nous sommes de l'infini. Nous ne sommes pas quelque chose qui regarde l'infini. Nous faisons partie de l'infini. Nous ne pouvons pas être séparés, et c'est pourquoi nous sommes UN, nous sommes UN. « Nous avons été TOUT, partout, et nous serons TOUT à jamais. C'est pourquoi nous sommes UN, avec le ciel, avec les étoiles, avec le sol, les plantes, avec les autres personnes autour de nous. La séparation entre nous est une illusion. (On aperçoit ici à l'éternel retour de Nietzsche, l'UN de Plotin, la conception de Dieu de Nicolas de Cues, l'univers infini de Bruno, la monade de Leibniz et tant d'autres philosophes dont l'esprit a surchauffé en tentant de joindre l'unité à l'infini.) L'article Utopie montre la triste ignorance et l'incohérence de Vorilhon (p. 108) : « Qu'est-ce qu'une utopie ? C'est quelque chose qui ne fonctionne pas. (...) Certains utilisent le mot "utopie" pour désigner des idées qui sont irrationnelles ou irréalistes. Dans ce cas, la société capitaliste actuelle où 1 % des individus possèdent 99 % des richesses, où des millions sont sans abri tandis que quelques milliers de personnes possèdent de nombreuses maisons vides, où nous dépensons des milliards de dollars tous les jours en armements et en guerres, alors que chaque jour des milliers d'enfants meurent de faim ; ça c'est une véritable utopie et il est temps qu'advienne une révolution mondiale pour qu'on utilise un système plus rationnel et réaliste, comme le Paradisme.
(Utopie est un mot forgé par
Thomas More,
du grec, non, et, lieu, c'est-à-dire chose qui ne se rencontre en aucun lieu.
(Le Littré, 1880). L'article Paradisme révèle une naïveté déconcertante (p. 74) : « Tout ce que peut faire un être humain peut être mieux fait par un robot. Dans ces conditions, au lieu de ne faire que travailler pour amasser de l'argent, les humains peuvent laisser les robots accomplir tout le travail à leur place et consacrer leur vie à faire ce qui leur fait plaisir : créer, faire de la recherche, des études, pratiquer un art, ou encore méditer et consacrer du temps à leur développement personnel. C'est alors que le monde deviendra un paradis terrestre. C'est la raison pour laquelle ce système se nomme Paradisme. « Le Paradisme c'est le communisme, sans prolétariat, où tous peuvent bénéficier de la technologie et de la science, sans banque, sans argent, où chacun peut partager tout ce qui existe sur terre. « Le Paradisme est la clé essentielle pour l'avenir de l'humanité. Et c'est possible dès maintenant. Si le monde entier se révolte en même temps, ça peut être fait en quelques semaines ; et pas en quelques années... juste quelques semaines ! « La véritable démocratie, ce n'est pas tant 1 personne / 1 vote, mais plutôt 1 personne / 1 part égale de la richesse mondiale. La meilleure solution, c'est le Paradisme, un développement naturel du communisme, sans conflit de classes, puisque le prolétariat disparaît pour être remplacé par des robots et des ordinateurs et où toute la population vit dans un monde sans argent. ------------------------------ En somme, la spiritualité de Raël fait penser au délire du cerveau d'un jeune adulte confronté aux incohérences et à la rudesse de la vie qui commence, et qui essaie de fuir la réalité inacceptable d'un monde incohérent et en déconfiture pour en formuler un Idéal avec quelques matériaux scientifico-religieux glanés ici et là dans le tissu culturel qui l'a fait naître. Il fonde alors un club sélect où il essaie de diffuser sa maigre conception de la perfection et où les élus autoproclamés se rencontrent dans une salle d'écho qui résonne d'un discours qui les oblige à y croire à force de l'entendre. Formulations nébuleuses, français lacunaire, incohérences troublantes, croyances inquiétantes et assertions incongrues (« penser avec son anus » !?!) ; comment Raël a-t-il pu garder des adeptes après la publication d'un tel discours ? Claude Vorilhon interprète un personnage dont rien n'est à la mesure de l'édifiant Messie attendu. Le clown se démaquille après le travail ; Vorilhon garde le costume et persiste à affirmer qu'il est le véritable Messie, le Maitreya des Saintes Écritures. Et s'il était, comme le Christ, le véritable Messie — incompris, méprisé et bafoué — ne faudrait-il pas prendre sa défense ? Quelle chance d'être le contemporain d'un personnage aussi illustre ! Mais le Christ n'a jamais affirmé que son monde était matériel. Son royaume était strictement spirituel. Ieschoua — ou à tout le moins, le personnage décrit dans les Évangiles — revendiquait la foi en l'Esprit. Raël balaye la foi pour affirmer la réalité. Il ne demande pas de croire, mais de comprendre. Mais justement, la somme de ses incohérences nous amène à comprendre qu'il n'est pas celui qu'il prétend. Qui est-il donc ? |
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Coup de théâtre ! Claude Vorilhon est mythomane
Visiblement mal à l'aise, il raconte avec force détails que Claude Vorilhon est un imposteur qui a tout inventé. Les extraterrestres, la mission du prophète Raël, la transmission télépathique du plan cellulaire, la construction de l'Ambassade, l'insémination de sa mère par les Élohim, tout ça, c'est du pipeau. Saint-Cyr recoupe trois événements qui ne laissent aucun doute sur l'affabulation de Vorilhon : deux aveux de Claude lui-même et une rencontre personnelle avec la mère du « prophète ». 1. En juillet 1984, dans un moment dépressif, Vorilhon avoue l'arnaque à Jean-Denis. L'épouse de Claude est excédée ; elle refuse de jouer le jeu. (p. 175) Elle demande le divorce. Raël sent sa carrière de prophète s'effondrer. Il se demande s'il devrait choisir de revenir à son ancienne carrière de chanteur ou de journaliste de sport automobile. Jean-Denis témoigne (p. 106) « Mille idées me trottaient dans la tête. Devais-je comprendre et m'avouer qu'il voulait que j'ouvre les yeux sur le prophète qu'il n'était pas ? Voulait-il que mes yeux se dessillent, c'est-à-dire que je connaisse la vérité ? J'osais croire que oui... et en même temps non. Alors, j'ajoutai : — Claude, est-ce que... est-ce que les extraterrestres, ce ne serait pas... « Avant même que je n'eusse prononcé le mot " vrai ", il utilisa le ton que l'on emploie pour parler à l'oreille d'un confident... — Ne m'en parle pas, Jean-Denis. C'était populaire dans les années soixante-dix, mais... ai-je bien eu... des contacts ? […] — Claude, […] tu veux dire que tu n'as pas été contacté ! — Voilà ! ... interjecta-t-il, l'air défait, je n'ai pas été contacté... Tu as tout compris ! Saint-Cyr réconforte alors son ami Claude dépressif, le réinstalle, et supporte l'embarras de poursuivre sa mission de second dans une hiérarchie dont il affirme ne pouvoir se déloger. 2. En juillet 1988, Raël-Vorilhon réaffirme l'aveu de 1984 lors d'une balade nocturne sur un chemin de campagne à Drummondville. Les deux hommes s'émerveillent à la vue du ciel étoilé qui charme leurs compagnes. Jean-Denis s'exclame : (p. 162-163) — Ce serait trop beau... ah oui, vraiment... de voir apparaître des extraterrestres ! ? […] — Et toi ? demanda Raël à la compagne qui se pressait contre moi. — J'aurais peur, mais j'aimerais cela, répondit-elle, car... « [...] Avant même que ma compagne n'eût le temps de terminer sa phrase, Vorilhon me chuchota à mi-voix, les lèvres plaquées contre mon oreille : — Mais on sait bien nous deux que ça ne se produira pas ! — C'est vrai ! lui ai-je bêtement murmuré, à mon tour, au creux de l'oreille... — Tu sais pourquoi, Jean-Denis ? Abasourdi, je n'ai trouvé d'autre réponse qu'un absurde : — Tu n'as pas été contac... — Voilà ! [...] « Je demeurai quand même pantois et interloqué d'ainsi l'entendre... et d'ainsi constater, à mon grand étonnement, qu'il me confirmait sans aucune équivoque par son petit jeu n'avoir jamais rencontré d'extraterrestres. Cette fois-ci, Claude n'était pas dépressif, mais plutôt enjoué. 3. Cependant, Jean-Denis Saint-Cyr le savait déjà depuis 1980 par Colette Vorilhon qu'il avait rencontrée à l'occasion de son pèlerinage en France sur les lieux de « l'apparition ». Croisée par hasard, la mère de Claude ne pouvait pas être plus explicite : (p. 70-71) « Il ne faut pas en vouloir à Claude pour les histoires qu'il a toujours aimé raconter. […] Il n'est pas méchant. C'est un petit garçon très gentil. Il apporte aux gens ce qu'il leur faut. Il est très psychologue et très bon conteur, vous savez ! » Est-ce que Jean-Denis Saint-Cyr a démissionné ? Pas avant 1990. Et le départ fut déclenché par rien qui ressemble à de la probité. Le Mouvement affirme plutôt l'avoir expulsé pour « fraude ». Jean-Denis avait emprunté une somme appréciable à un raëlien qui était décédé par la suite. Le règlement interne stipule qu'en cas de décès, tout raëlien concède son héritage au Mouvement, sauf sa maison familiale. Il aurait normalement dû rembourser le prêt à la succession, et l'exécuteur testamentaire aurait dû remettre la somme au Mouvement raëlien. Raël le lui a reproché. Saint-Cyr « démissionna » la conscience tranquille en pensant qu'il en était quitte pour toutes les heures de bénévolat, et que, de toute façon, la fortune des raëliens est destinée à construire une ambassade bidon. |
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Upton Sinclair, cité par Al Gore dans le film Une vérité qui dérange, (1h16:40). Je peux croire n'importe quoi, pourvu que ce soit absolument incroyable. Oscar Wilde, Aphorismes, Mille et une nuits © 1995, p. 66. Si l'on déteste Raël, c'est parce que l'on s'en veut d'avoir cru au jeu d'un mauvais comédien dans le rôle d'une fable aussi abracadabrante. Peut-être aussi parce que l'on jalouse Claude Vorilhon pour son harem, son argent et sa gloriole. On lui en veut aussi pour le succès obtenu en s'appropriant effrontément les éléments culturels sur lesquels il édifie son dogme. Il agit comme un faussaire. Autrefois, on l'aurait accusé de sacrilège. Mais faut-il s'en prendre à lui où à nous ? Comme le garçon de café de Sartre
Louis-Josée Houde donne la première clef : Houde sait qu'il appartient à un monde où la réalité est fabriquée : le monde du spectacle. Raël n'est qu'une expression de plus du cirque médiatique auquel il appartient.
Tout est du cinéma. Faut-il s'en étonner ? C'est comme si, sur le plateau de tournage, les comédiens commençaient à se traiter mutuellement de menteurs. Ça n'aurait aucun sens. Sur le plateau, les acteurs savent qu'ils mentent. Et, paradoxalement, dans ce jeu de miroirs menteurs, le réalisateur joue le rôle d'arbitre de crédibilité où il est nécessaire que le comédien bascule continuellement entre les deux mondes de la réalité et de la fiction. Le spectacle ne se soucie pas de vérité, mais de crédibilité. Le problème, avec Claude Vorilhon, vient du fait qu'il est mauvais comédien ; c'est un comédien qui a besoin de se faire croire à lui-même qu'il EST réellement son personnage pour y croire ; au point de l'appeler Raël (Réel). Mais le scénario est si peu crédible, les incohérences si flagrantes, les contresens si nombreux, les emprunts si évidents que personne n'y croit, et l'on s'étonne que Claude persiste à faire croire qu'il y croit lui-même. Pourtant, il reste tout à fait lucide sur les réalités factuelles ; il agit volontiers en cohérence avec les exigences de la situation ; il est conscient de son espace, mange, dort, baise, gère sa popularité et administre ses comptes en banque normalement comme chacun le fait dans sa propre vie. Pourquoi ne voit-il pas le piège où il s'est pris ? Il n'y a pas de peur plus grande que la folie. On a moins peur de mourir que de passer pour fou. La folie c'est l'isolement total hors de la communauté humaine. C'est l'antithèse absolue de la popularité. Tant que Claude trouvera des crédules pour croire en Raël, il maintiendra son équilibre psychique. Inutile d'essayer de le réveiller, il sait qu'il dort, mais il a besoin de somnambulisme pour exister. La réalité du monde commun ne lui convient pas. Est-il si différent de nous tous ? Nous nous inventons des personnages que nous jouons maladroitement, mais par considération pour l'ego, pour ne pas blesser, nous faisons semblant de nous croire mutuellement. Est-ce si répréhensible ? D'ailleurs, comment Vorilhon pourrait-il « suicider » le personnage qui le fait vivre si confortablement ? Aucune vérité ne peut écraser les mensonges qui nous maintiennent en vie. |
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Les gens heureux n'ont pas besoin de Dieu
Son histoire laisse songeur. Combien y a-t-il eu de messies dans le monde ? Comment naissent les messies ? Sur ce point, les Évangiles sont très bien ficelés. Les apôtres mettent en garde contre les faux messies. Mais au fait, qui était Ieschoua ? N'oublions pas que sans la résurrection, le Christ aussi serait un raté. |
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Les adeptes sont-ils vraiment dupes ?
Les adeptes sont-ils vraiment dupes ? L'affabulation est si grossière ; comment leur foi pourrait-elle être entière ? Ils obtiennent de Raël ce qu'ils cherchent : des expériences de groupe gratifiantes, une communauté qui partage leurs valeurs, un cocon spirituel plaisant. Raël leur fournit une raison d'être satisfaisante. Que demander de plus ? La vérité ? Mais les dogmes chrétiens ne sont-ils pas encore plus extravagants ? Quelques-uns s'inquiètent des dérives potentielles de la secte. Certains avaient même peur d'un second Jonestown. D'abord, Raël prône l'anti-violence absolue. Il a ensuite condamné les dérives pédophiles de certains membres du Mouvement. Et puis la secte est assez peu populaire. En 40 ans il n'a pas fait plus de 100 000 sympathisants dans le monde entier avec seulement 2 000 apôtres actifs. Encore que les chiffres soient difficiles à vérifier. Les raëliens sont inoffensifs ; ils se bercent de douces illusions comme l'on fait son propre cinéma. En somme, le Mouvement est né du besoin d'une époque, et il va probablement s'évanouir à la mort du gourou, comme s'évanouissent tant d'idéologies désuètes avec la disparition de l'instigateur. Raël a proposé une mutation qui satisfait l'époque Techno-Nouvel-Âge. D'autres cycles et d'autres gourous viendront proposer de nouvelles mutations s'inspirant du christianisme.
L'ambassade de Raël n'est pas un lieu de culte comme une église où l'on va prier un Dieu invisible que l'on ne s'attend pas à rencontrer matériellement. Une fois construite, elle serait le témoin permanent de l'inexistence effective des extra-terrestres puisqu'elle est la seule condition de leur visite. Comme tout comédien, Raël aura vendu du rêve à un public qui ne demandait rien d'autre. D'ailleurs, il n'est jamais sorti de son rôle initial d'artiste-chanteur-comédien-journaliste apportant la bonne nouvelle. Nous avions besoin d'un rassembleur pour cristalliser la pensée hippie, pour que la communauté des jeunes du peace and love se rencontre ; pour qu'ils se reconnaissent et vivent ensemble les valeurs de leur folle jeunesse utopique. Raël a été créé par l'époque. |
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Pourquoi le Mouvement raëlien persiste-t-il ?
Mais il y a aussi plusieurs autres raisons. En fait, extra-terrestres ou non, le Mouvement raëlien présente des bénéfices importants. 1. Il crée un pôle rassembleur pour tous ceux qui cherchent une cohérence réaliste aux thèses bibliques mystérieuses alors que la chrétienté ne répond plus aux exigences matérialistes de l'époque. 2. Il relance la foi chrétienne sans rien changer au récit des Saintes Écritures ; juste une réinterprétation factuelle par l'affirmation d'un contact avec les Élohim (ceux venus du ciel) crédibilisée par les récents exploits techniques des cosmonautes ayant débarqué sur la lune en 1969 et les nombreux témoignages publiés fréquemment dans les médias affirmant l'observation de soucoupes volantes. En logique, il est difficile de prouver que quelque chose n'existe pas. Le seul fait d'y penser fait naître une hypothèse. Une hypothèse, ce n'est pas rien. Même si Claude Vorilhon n'a jamais rencontré d'extra-terrestre, ça ne prouve pas leur inexistence. 3. La perte de la foi en la vie spirituelle autonome de l'individu ouvre une béance vertigineuse. Le Mouvement raëlien nourrit l'espérance du prolongement effectif de la vie corporelle après la mort à une époque matérialiste où l'on craint l'anéantissement plus que jamais. 4. Il permet le regroupement périodique d'hédonistes qui célèbrent les valeurs d'une époque de libéralisation des moeurs, notamment l'ouverture à la sensualité et à la liberté sexuelle. 5. C'est un mouvement ouvert non coercitif auquel on adhère librement, et qui laisse libre d'en sortir à tout moment. Les cotisations sont raisonnables, et il est même possible de s'y soustraire.
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Le mème est toujours vivant. Claude Vorilhon a 75 ans. Il est un romancier dont le récit met en avant un personnage héroïque : Raël. Comme dans les livres dont vous êtes le héros, Claude a entrepris de devenir lui-même, dans la vie quotidienne, le prophète qu'il incarne à plein temps, à l'instar des youtubeurs qui entretiennent leur auditoire en exhibant leur personnalité narcissique dans une suite de vidéos mettant en scène leur propre personnage moyennant rétribution. Guy Debord a montré en 1967 que « Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation. » La vérité factuelle est aujourd'hui secondaire, seule compte la vérité émotionnelle, unique ancrage au monde des corps sensuels qui ne pensent plus, mais ressentent.
En langage courant, on qualifie un tel auteur de mythomane.
Le romancier ordinaire s'identifie aussi au héros de ses romans,
mais il décroche dans sa vie de tous les jours. En s'identifiant à Raël,
Vorilhon a choisi une vie beaucoup plus exaltante.
Mais la sauce ne dure qu'un temps. Le prophète commet toujours une bourde qui le disqualifie. Le parcours international de Vorilhon-Raël ressemble à celui du roi sur l'échiquier qui se pousse d'une case à l'autre chaque fois qu'il est mis en échec. Europe, Canada, États-Unis, Burkina Faso, Brésil, Taïwan, il n'a jamais pu s'implanter à demeure. Il prophétise maintenant au Japon où la barrière de la langue le protège. Mais pourquoi les Japonais l'accueillent-ils avec tant de sympathie ? Parce que le Japonais aime s'émerveiller. La foi est un jeu qu'ils aiment jouer en riant. Aucune loi n'interdit la mythomanie. Au contraire, c'est une activité artistique encouragée. Elle est considérée, au pire, comme une déconnexion de la réalité ; et au mieux, comme l'expression artistique d'un esprit fécond. Si le mensonge sert à l'évasion, au divertissement, il est accueilli avec grâce. On paye les comédiens pour mentir ; c'est leur profession.
Que pourrait-on reprocher à Raël ? Pour le moment, rien.
Mais s'il désavouait son personnage publiquement, je craindrais pour sa vie.
Les gens adorent que l'on introduise dans leur esprit un rêve fantastique,
ils s'en bercent délicieusement.
D'ailleurs, la réalité, qu'est-ce que c'est, sinon ce en quoi l'on croit ? Raël n'a rien à craindre tant qu'il reste prisonnier du personnage qu'il s'est créé. Et ça, il l'a compris dès 1984 ; l'année où il supplia Jean-Denis Saint-Cyr de l'aider à se restructurer mentalement après que son épouse rejeta définitivement le Raël qui avala Claude Vorilhon dans le vortex de l'irréalité. |
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[1] Voir l'article Jimmy Carter sur Wikipédia sous Observation d'un OVNI. [2] Claude Vorilhon modifie légèrement l'orthographe de Maitreya, remplaçant le e par un a : Maitraya. Aucune occurrence de Maitreya dans l'édition de 2002, et seulement 3 occurrences de Maitreya dans l'édition de 2017 (p. 8), contre 186 occurrences de Maitraya.
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