2018-02-14 |
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Décalogue |
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Dieu prononça toutes ces paroles, en disant : Je suis HACHEM [1] ton Dieu Qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, de la maison d'esclavage. [1] Tu ne reconnaîtras pas les dieux des autres en Ma présence. [2] Tu ne te feras point de figure sculptée, ni aucune représentation de ce qui est dans le ciel en haut ou sur la terre en bas ou dans les eaux au-dessous de la terre. Tu ne te prosterneras pas devant elles et tu ne les serviras pas, car Je suis HACHEM ton Dieu, un Dieu jaloux, Qui reporte la faute des pères sur les fils, à la troisième et la quatrième génération, pour Mes ennemis, et Qui fait preuve de bonté pour les milliers [de générations], pour ceux qui M'aiment et qui observent Mes commandements. [3] Tu n'invoqueras point le Nom de HACHEM ton Dieu en vain, car HACHEM n'absoudra pas celui qui invoque Son Nom en vain. Souviens-toi du jour du Chabbat pour le sanctifier. Six jours tu travailleras et tu feras tout ton travail. Mais [4] le septième jour est un Chabbat pour HACHEM ton Dieu ; tu ne feras aucun travail, toi, ton fils, ta fille, ton serviteur et ta servante, ta bête et ton prosélyte qui est dans tes portes — car six jours HACHEM a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qui s'y trouve, et Il s'est reposé le septième jour. C'est pourquoi HACHEM a béni le jour du Chabbat et Il l'a sanctifié. [5] Honore ton père et ta mère afin que tes jours se prolongent sur la terre que HACHEM ton Dieu te donne. [6] Tu ne tueras pas ; [7] tu ne commettras pas d'adultère ; [8] tu ne voleras pas ; [9] tu ne porteras pas contre ton prochain de faux témoignage. [10] Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain. Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son esclave ni sa servante, ni son boeuf ni son âne, ni rien de ce qui est à ton prochain. Moïse, Torah, Exode 20:1-14, Mesorah © 2011, pp. 435-441. J'aime bien les textes originaux, ils permettent de comprendre les transformations de la pensée humaine à travers le prisme de l'histoire. Ce texte du Décalogue, extrait de la Torah, révèle une confusion qui m'avait frappé dès la première lecture. Il est généralement admis qu'il comporte dix commandements — d'où son nom —, mais, si je les dénombre à partir du début, j'ai de la difficulté à les distinguer clairement. Les trois premiers paraissent imbriqués ; y en a-t-il vraiment dix ? Comment les reconnaître ? L'éducation catholique m'avait enseigné un ordre que je ne reconnais pas dans le texte original. Les religions judaïque, catholique et protestante divergent : elles en comptent bien dix, comme les dix doigts des mains, mais modifient légèrement l'ordre et l'interprétation. La catholique compte deux fois le sexe illicite : une fois pour l'adultère, une autre pour la convoitise — dédoublant ainsi la convoitise —, elle condense les deux premiers en un seul, et passe sous silence l'interdit de représentation. La protestante reste à peu près fidèle au texte, mais omet le tout premier précisant la distinction Judaïque portant sur le rapport de Dieu à Son peuple.
Essayons d'y voir plus clair. Comme les premiers sont confondants,
commençons à les numéroter à partir du dernier tel que le protestantisme le propose.
Au premier paragraphe, Hachem se présente : le Dieu Qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, de la maison d'esclavage. C'est un Dieu libérateur. Le monde hébreu voit dans le premier commandement l'expression d'une identité : Celui Qui t'a apporté un bienfait, et, partant, exige reconnaissance et exclusivité. La liberté est la valeur suprême pour laquelle on est prêt à tout sacrifier ; l'asservissement serait la pire des calamités. Voilà le fondement de la judaïté ! Mais, paradoxalement, on sent que la générosité de ce Dieu n'est pas gratuite. Le peuple entier lui est redevable — et éternellement à travers sa descendance. C'est leur premier commandement. D'emblée, ce Dieu exige une étonnante contrepartie : en échange de la liberté, le peuple élu la perd par un devoir éternel à travers sa descendance envers un Être qui impose Sa loi et tient des comptes. Originellement, le Dieu des Juifs se distingue non seulement par son unicité l'opposant au polythéisme, mais aussi par le fait qu'il appartient à une nation spécifique. N'étant pas de descendance juive, le protestant ne peut s'inscrire dans cette vision initiale. Il adopte librement le dogme qu'il propose à tous les peuples. Aucune dette héréditaire ; on est libre de souscrire à l'engagement ou non. Le premier commandement ne tient donc pas compte de l'identité nationale de Dieu ou d'une redevance à honorer, mais se fonde sur l'Unicité de l'Être Suprême. Ce n'est plus tout à fait le même Dieu. On pourrait même dire que le Dieu chrétien est supérieur puisqu'Il s'affranchit d'un seul et unique peuple pour étendre Sa juridiction à la terre entière. Supérieur aussi en terme de liberté mutuelle. Le Dieu jaloux des Juifs reste toujours inquiet de la fidélité de Son peuple ; Il exige des preuves. Il Se veut libre, mais impose de cruels tests à Abraham et Job pour vérifier la solidité de leur dévotion. La chrétienté adapte ainsi l'héritage hébraïque pour ouvrir la foi à tous : le Dieu des Juifs devient Universel. Si la judaïté s'obtient par héritage familial — par le sang des ancêtres — la chrétienté se veut l'héritière spirituelle par l'adhésion libre et volontaire à la foi judaïque où Dieu se présente comme un Père généreux, Créateur de tous les peuples, émancipé, confiant et aimant. Mais Il est tout autant le fondement nécessaire de l'ordre social. Ainsi, les commandements comportent deux volets : d'abord une dévotion envers Dieu — autorité supérieure unique — instaurant l'ordre permettant d'échapper à la tyrannie du polythéisme imposant les caprices multiples des dieux spécialisés ; ensuite les considérations fondamentales constituant la base des rapports sociaux. D'autre part, on constate que l'ensemble des commandements comporte principalement des interdits. Dieu serait visiblement plus sensible à la faute qu'au devoir, l'interdit focaliserait Son attention. Ainsi conçu, il semble que le comportement de l'homme serait naturellement porté sur la faute puisque les Lois sont principalement formulées pour mettre en évidence les interdits. L'Église catholique fait de même, puisqu'elle est aussi chrétienne, mais introduit deux modifications furtives qui vont lui permettre de s'enrichir et d'endiguer toute licence sexuelle. D'abord, l'interdit de représentation est supprimé du Décalogue. L'institution établira ainsi sa fortune et sa puissance autour du commerce de représentations d'idoles religieuses, de fétiches et d'indulgences qui a permis, entre autres, de bâtir la Cité du Vatican et d'acquérir les innombrables oeuvres d'art qui la remplissent. Ensuite, elle ajoute un commandement supplémentaire qui confine la lubricité dans l'unique cadre du mariage procréatif. Effectivement, rien n'est précisé à ce titre dans le décalogue. Si l'adultère préoccupe les mondes judaïque et protestants, l'Église catholique pose le problème sexuel autrement : le 6e commandement impose la chasteté et le 9e la procréation — donc la jouissance sexuelle — uniquement à l'occasion du mariage. Le catholicisme étant la seule religion imposant le célibat des prêtres, on retient ainsi l'entière disponibilité du clergé au service de l'Église dont les membres sont libérés des tâches familiales. La nature étant ce qu'elle est, il fallait évidemment promulguer une loi divine pour justifier un strict usage des pulsions sexuelles. Encore ici, on croirait avoir affaire à un autre Dieu puisque l'on sait que la Bible contient un passage où il est prévu que l'homme puisse utiliser la servante pour obtenir une descendance lorsque son épouse est stérile (Genèse, 16:1). En conclusion, le principe voulant que les lois religieuses se résument à 10 commandements semble répondre davantage à un besoin didactique, comme si l'on voulait lui associer nos dix doigts : ingénieux principe scolaire où l'on porte toujours avec soi, à portée de main, l'essentiel de ce que l'on doit savoir pour vivre ensemble correctement ; chacun de nos doigts rappelant ainsi les lois divines à tout moment. Les commandements seraient donc symboliquement constitutifs de notre anatomie. |
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[1] HACHEM : Comme il est impossible de nommer Dieu adéquatement — ce serait le réduire à peu de chose et risquer d'enfreindre le commandement qui interdit d'utiliser son Nom en vain — on Le désigne généralement d'une manière indirecte et variable selon les circonstances. Le traducteur a ici choisi « HACHEM », signifiant littéralement « le Nom ». (La Torah, Édition Mesorah © 2011, p. xxvi) Il existe en philosophie un principe selon lequel la possibilité de nommer les choses et les êtres donne à l'homme un certain pouvoir sur ceux-ci. En effet, ce que l'on ne peut nommer échappe à toute conception ; et l'on ne peut agir sur quoi que ce soit s'il nous est impossible de le concevoir — et donc — de le nommer. Comme l'homme ne peut agir sur Dieu — qui est proprement inconcevable par sa grandeur et ses attributs infinis —, mais que c'est uniquement Dieu qui agit sur l'homme et le monde, il est impossible de Le nommer adéquatement, sinon bien prétentieux qui pense le faire. Mais comme on ne pourrait y accéder si on ne pouvait en parler, on le nomme donc généralement, dans la littérature religieuse, par ses attributs : L'Éternel, Le Miséricordieux, L'Infini, Le Créateur, L'Innommable, Le Nom, Le Verbe, L'Être Suprême, La Force, Le Grand Tout, etc., en gardant à l'esprit que, quel que soit le vocable ou le mot qu'on utilise, on ne saurait le nommer parfaitement.
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