2017-03-30 |
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La 'pataphysique sauve |
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Seul le collège de 'Pataphysique n'entreprend pas de sauver le monde. Boris Vian, cité par
Noël Arnaud dans La 'pataphysique est peuplée de personnages aux titres ronflants qui ne disent rien d'autre que « je suis (ou il est) important ». Ces personnages sont entourés de nombreuses anecdotes circonstancielles — toutes documentées et vérifiables — d'une incontestable réalité. Les noms se succèdent, et on voudrait bien croire en de véritables personnes, mais ils sont si peu connus que sans l'histoire crédible rapportée par Jarry et les pataphysiciens, on les croirait imaginaires. Si la 'pataphysique est la science des solutions imaginaires, on comprend alors que ces personnages n'existent qu'en vertu de circonstances réelles et vérifiables — oui, scientifiques — mais toujours imaginaires. Après tout, le grand Berkeley n'avait-il pas montré qu'en dehors de l'esprit, rien n'existe ? Désormais, on continue à lire Jarry et les pataphysiciens cherchant en vain à débusquer l'arnaque. Où est la mystification ? En vain, parce que les écrits sont si parfaits — respect de la langue et de la grammaire française irréprochables — et si documentés qu'ils ne sauraient être mis en doute. On pourrait alors qualifier la 'pataphysique d'oeuvre littéraire, scientifique et philosophique puisqu'elle respecte les normes de chacune des trois disciplines. Mais un doute nous assaille : ne serait-ce que folie ? Essayons autre chose. La 'pataphysique pourrait être un lieu imaginaire où le fougueux étalon de l'esprit peut divaguer débridé. C'est le seul endroit où la folie est permise — et même de mise. Le mot seul délivre une licence qui protège contre la tyrannie intellectuelle et permet une créativité sans borne. La 'pataphysique n'est pas forcément iconoclaste ; elle est inclusive. Elle apporte à la logique une liberté qu'aucune autre philosophie ne permet ; elle apporte à l'imaginaire toute la noblesse qu'il mérite. Mais la 'pataphysique comporte également un côté sombre qui permet d'y projeter nos pires sentiments. Pour certains, elle est le symbole d'un humour facile et absurde — source de dérision méprisante — stupidité prétentieuse qui refuse de s'assumer en tant que telle, et persiste en revendiquant la noblesse scientifique. On se laisse prendre au jeu lorsqu'on réalise l'immensité dérisoire de la fatuité humaine et de la vie en général. La 'pataphysique devient alors une posture ontologique qui promet d'échapper à l'affliction en se réfugiant dans une folie badine, futile et érudite qui se prend au sérieux. Le pataphysicien se garderait ainsi de tout sentiment mortifère de mépris ou de haine. Ce serait alors un humain doté de l'intelligence qui permet d'accéder à un niveau d'érudition tel qu'il apparaît bientôt au génie que la stupidité et l'absurdité régentent le monde. Commence alors une croisade des plus doués pour améliorer les choses. Mais le plus doué des doués — le pataphysicien — s'aperçoit bientôt de l'immensité dérisoire de l'entreprise puisque le temps d'une vie est toujours trop court pour que l'entreprise soit efficace et pérenne : les sages meurent vite, et tout est à recommencer, comme dans le mythe de Sisyphe. L'intelligence est donc une force qui, lorsqu'elle dépasse un certain niveau, s'effondre sur elle-même. On se réfugie alors dans la 'pataphysique et les petits plaisirs passagers qui comprennent de savantes élucubrations inutiles, aussi vaines que complexes, en attendant que la grande farce de la vie s'évanouisse. Le pataphysicien est un sauveur qui a compris qu'il n'y a rien à sauver. Et même si, comme le Christ, il ne fait pas de vieux os, il laisse l'humanité en paix en tirant discrètement sa révérence. Qui se souviendra d'Alfred Jarry dans deux mille ans ? |
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