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L'Anti-innéisme de Locke |
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Même si l'humanité entière avait la notion d'un Dieu (ce que dément l'Histoire) il ne s'ensuivrait pas que l'idée de Dieu soit innée. Locke, Essai sur l'entendement humain (L. 1), 1690 Pour notre époque, l'anti-innéisme de Locke est un concept rébarbatif. La génétique voudrait lui donner tort ; comment expliquer les récentes découvertes qui montrent que nos chromosomes déterminent nos prédispositions ? Nos positions morales contemporaines nous imposent aussi de penser que les comportements sont innés. En effet, comment serions-nous homosexuels si mère nature ne l'avait pas décidé ainsi ? Notre romantisme plaide également en faveur de l'innéisme ; comment expliquer les charmants réflexes des nouveau-nés exprimant une panoplie d'émotions si familières alors que rien ne serait imprimé sur la page blanche de leur esprit vierge ? Locke ne nie pas que l'humain soit prédisposé dès la naissance à se développer selon un caractère particulier, propre à sa structure biologique. Il affirme simplement que l'on, ne pourrait en aucun cas alimenter l'éveil et le développement de cette structure « innée » s'il n'était exposé à aucune expérience sensorielle qui le permette. Il ne dit pas non plus qu'un être ne souffrirait pas la privation de toute stimulation sensorielle dès la naissance. Il dit simplement que si tel était le cas, d'aucune façon l'esprit ne pourrait connaître quoi que ce soit. Sans clavecin ni violon dans son environnement, Mozart ne serait jamais devenu Mozart. C'est-à-dire que si ce génie n'avait jamais été exposé à la musique, ses prédispositions se seraient manifestées autrement ; il aurait connu autre chose, et c'est cette connaissance qui lui aurait rempli l'esprit. Sa mémoire eidétique aurait été employée à évoluer dans un autre contexte, et se serait alimentée avec d'autres stimulations. Il n'y a rien d'inné parce que c'est le contact sensoriel avec le monde qui alimente l'esprit de l'individu qui autrement n'a aucune possibilité de contenir quoi que ce soit, peu importe les prédispositions génétiques. Bref, un réservoir ne peut contenir que ce dont il est rempli, peu importe sa forme ou la manière de disposer le contenu. La pensée de Locke s'affirme donc aujourd'hui avec la même puissance ; elle n'est en rien périmée. Notre philosophe permet ainsi au débat entre l'inné et l'acquis de conserver toute sa vigueur. Mais à quoi donc Locke s'oppose-t-il ? Il cherche à savoir quels objets peuvent être abordés par l'entendement et quels sont ceux qui ne le peuvent pas. En supposant qu'il soit impossible d'examiner quelque chose qui n'existe pas — une idée innée — il adopte déjà une direction qui, pour l'étude de la pensée, nous évite de nous fourvoyer. L'empiriste est un philosophe bien ancré dans la réalité. Son monde est constitué de tout ce qui peut être directement perçu et des idées qui en dérivent. L'esprit n'a donc plus rien d'éthérique. Appuyés sur une base sensualiste solide, nous disposons d'un ancrage stable qui permette de comprendre comment notre pensée se constitue. L'anti-innéisme met donc la table pour la possibilité d'une prise en main totale de la pensée. Si rien n'est inné, il ne tient qu'à nous d'alimenter notre esprit comme il convient pour parvenir à nos fins. Ceci nous donne une forte emprise sur nos vies. Voilà l'apport génial de notre philosophe empiriste qui affirme que toutes nos connaissances sont acquises par l'expérience. Que désirez-vous connaître ? |
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