Cogitations 

 

François Brooks

150112

Essais personnels

 

Charlie était Hara-Kiri

 

Des armes et des mots, c'est pareil
Ça tue pareil

Léo Ferré, Le chien, 1969

La réaction des enfants semble montrer le fond du problème. La médisance, ils connaissent ; dans les cours d'école certains en sont rois. Soudain, des questions inattendues surgissent. Pourquoi ne pas laisser ces enfants s'exprimer librement ? Pourquoi s'indigner de leurs propos ? La liberté d'expression a-t-elle une limite ? Puis-je tout dire ce qui me passe par la tête sans conséquence ? Et si mes propos blessent et provoquent l'esprit de vengeance n'ai-je aucune part de responsabilité ? Ce faisant, dois-je être considéré comme un modèle à imiter au nom de la liberté ?

Et que dire du harcèlement psychologique ? Marie-France Hirigoyen écrit qu' « il est possible de détruire quelqu'un juste avec des mots, des regards, des sous-entendus. » [1] Le croyant à la foi chancelante qui n'a rien d'autre pour donner sens à sa vie que le Prohète et son Dieu peut-il supporter qu'on lui répète que sa foi est foutaise sans réagir ?

N'oublions pas que les créateurs de Charlie Hebdo ont d'abord été ceux de Hara-Kiri, journal bête et méchant, enfanté dans la mouvance des années '60. Une petite recherche sur l'Internet [2] montre à qui a le courage de regarder, la bassesse sanglante scato et l'immondice irrévérencieuse qui alimentait l'esprit de ses rédacteurs. Aucune publication ne s'est jamais permis de descendre aussi bas dans l'illustration ordurière répétée numéro après numéro de la méchanceté humaine. Toujours ce journal a été toléré au nom de la liberté d'expression ; Charlie Hebdo devrait-il maintenant en devenir le symbole ? Il a exploré sans limites la liberté d'expression défendue par la France depuis 1968. Curieuse société que celle qui ancre ses fondements les plus sacrés dans la fange humaine comme si le pinacle de la vertu ne devait se nourrir que d'excréments.

On peut évidemment déplorer que deux cagoulards extrémistes aient décidé d'assumer le rôle de la main vengeresse appelée par le précurseur de Charlie. Qui mérite un si horrible châtiment alors qu'il est victime de ses propres pensées ordurières ? Mais Hara-Kiri ne s'était-il pas jeté lui-même son propre sort ? N'y a-t-il pas, après cette provocation initiée il y a 55 ans, une tombée de l'épée de Damoclès qu'ils auraient eux-mêmes créée pour épicer leur morne existence comme le cocaïnomane a besoin d'un « rush » quotidien pour donner sens à sa vie ?

J'ai bien hâte de voir avec quelle ironie Charlie Hebdo va traiter son hara-kiri dans le prochain numéro. Le seul honneur qu'il lui reste ne serait-il pas de boire sa propre médecine ? Mais voilà que chacun tire l'événement à son profit. Comment pouvons-nous regarder Sarkozi et Hollande manifester côte à côte en l'honneur de Charlie sans voir le ridicule de ces pantins opportunistes ?

Je ne suis pas Charlie ; si je l'étais, il y a longtemps qu'on m'aurait fait hara-kiri. « Tu peux tout me dire, mais reste poli » conseillait sagement ma mère. Je suis en faveur de la liberté, mais je pense que l'extensionner dans la fange et l'effronterie au risque de sa vie est une erreur dont la mort de Charlie montre l'évidence. Les enfants sont là pour nous le rappeler. La haine est le lot de tout humain ; elle origine de la société et il est naturel qu'elle y retourne. Mais si je prends des moyens socialement acceptables pour l'exprimer, n'est-ce pas là un comportement héroïque ? On voudrait nous faire croire à l'héroïsme de Charlie Hebdo alors qu'il usait de la liberté pour montrer une image empirée de l'humanité. Qui ne voudrait pas briser ce miroir immonde ? Évidemment, il est héroïque de ne pas le faire. Mais où est l'héroïsme dans la provocation ?

[1] Marie-France Hirigoyen, Le harcèlement moral, Pocket © 2011

[2] Hara-Kiri Choron

Philo5
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