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« Pas de pères, pas de civilisation » [1]

par Gabrielle Rubin

Éditions SA Groupe Psychologies © 2010

[2] Pour la psychanalyste, il est nécessaire que les pères soient reconnus et soutenus par la famille et la société. Car ils sont essentiels à la construction de l'enfant, et donc de notre avenir.
Propos recueillis par Flavia Mazelin

 

[3] Il faut aider les pères, le titre de votre livre sonne comme un véritable SOS. Vont-ils donc si mal ?

Ce n'est pas moi qui le dis mais le « malaise dans la société » dont nous souffrons tous et dont les enfants sont les principales victimes. La montée en puissance de ce que l'on appelle « les incivilités », la justice qui n'inspire plus de respect, les professeurs chahutés, les policiers agressés... tout cela traduit un rejet symptomatique de toutes les formes d'autorité. Autorité qui était autrefois représentée dans la cellule familiale par l'homme et incarnée dans la société par l'école, la justice et la police. Une société se construit à partir du père, c'est lui qui énonce le permis et l'interdit, qui met des limites, qui coupe le lien fusionnel entre la mère et l'enfant. Or, il a partiellement perdu sa fonction de représentant de la loi. Autant la relation mère-enfant continue à aller de soi, autant le rôle du père est devenu flou : s'il n'incarne plus la loi pour le petit enfant, qui le fera ?

Qu'est-ce qui les empêche aujourd'hui de tenir ce rôle dans la famille ?

Principalement leur absence de reconnaissance par la société. Nous sommes progressivement passés d'une organisation hiérarchique verticale à une organisation horizontale, ce qui est un progrès de civilisation évident, mais cela a entraîné un inévitable brouillage des rôles et des repères dans les familles. L'autorité ne vient plus d'en haut, tout le monde est au même niveau. La différenciation entre les générations est de plus en plus floue. Le père apparaissait comme puissant dans sa famille et dans la société, parce qu'il bénéficiait du même fantasme de puissance et de protection qui entourait les grandes figures de l'autorité (roi, pape ou chef d'état). Aujourd'hui, ce soutien n'est plus là, mais nous exigeons de lui qu'il remplisse un rôle qu'il ne lui est pas possible d'assumer seul.

Faudrait-il revenir à un modèle du type pater familias, tout-puissant dans sa famille ?

Certainement pas ! Je dis seulement, en tant que psychanalyste, qu'un enfant a besoin, pour se construire, de fantasmer son père comme solide et puissant. S'il l'est dans la réalité, c'est parfait. S'il ne l'est pas, la société, en reconnaissant et en valorisant l'autorité paternelle, permet à l'enfant de le fantasmer ainsi. Ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui. Les pères qui ne sont plus respectés ni valorisés, renoncent à leurs différences et se maternisent chaque jour davantage. Or, on ne peut pas faire, sans risque pour l'enfant, donc pour la société toute entière, la promotion du « papa copain » ou du « père mère » !

Cela voudrait-il dire par exemple qu'un homme au foyer est une entrave à la bonne construction de l'enfant ?

L'enfant, fille ou garçon, a besoin d'admirer son père. Et si c'est un fils, il doit avoir envie de lui ressembler et de se mesurer à lui, c'est cela qui lui permet de grandir. Si par exemple la société valorisait les tâches ménagères pour les hommes, cela ne poserait aucun problème, mais nous ne sommes pas dans ce cas de figure. Si le père travaille à domicile, s'il est artiste par exemple, c'est différent. Son activité est admirée par la société et peut donc être un motif de fierté ou une référence pour l'enfant. Les rôles paternels et maternels ne sont pas interchangeables au niveau symbolique. Ce qui, bien sûr, ne veut pas dire qu'un père ne doit pas câliner son enfant ni en prendre soin au quotidien.

La mère peut-elle aider à la restauration de l'autorité paternelle ?

II est essentiel que le père bénéficie d'une vraie reconnaissance dans son foyer, en premier lieu de la part de la mère. Ce qu'elle pense influence profondément ses enfants. C'est donc à elle qu'il revient, par son attitude et sa parole, de l'encourager à habiter pleinement sa fonction de gardien de la loi. Encore faut-il qu'elle renonce à jouer tous les rôles. Je pense également que, pour contribuer à la restauration de l'autorité paternelle — tout en respectant l'égalité entre les sexes — il faut accepter que les rôles de l'homme et de la femme puissent être identiques à l'extérieur de la famille, tout en étant dissemblables à l'intérieur. Si l'on veut en effet sauver l'idée symbolique de père et de mère, il nous faut différencier leurs rôles. Ce sont là des bases de réflexion, des points de départ, car le nouveau père, et c'est un beau défi, est à inventer.


[1] Propos recueillis par Flavia Mazelin, paru sous le titre Pas de pères, pas de civilisation dans le Psychologies Magazine hors-série No 14 © mai-juin 2010, pages 67 et 68.

[2] Gabrielle Rubin est l'auteur de nombreux ouvrages dont Pourquoi on en veut aux gens qui nous font du bien (Payot, 2007). Dans son livre Il faut aider les pères (Payot, 2008), elle décrit les enjeux de la paternité.

[3] Le dernier ouvrage de Gabrielle Rubin, Il faut sauver les pères, est paru en avril 2008 aux Éditions Payot.

On exige aujourd’hui des pères l’impossible. Ils doivent représenter aux yeux de leurs enfants la force et la sécurité, leur montrer le bon chemin, les obliger à se comporter convenablement, alors même que l’environnement social, de plus en plus violent et contestant toute autorité, fut-elle légitime, ne leur fournit aucune aide.

Or c’est au moment de la toute petite enfance que l’on acquiert les bases qui indiqueront à l’adulte comment s’épanouir et vivre en harmonie avec sa société, et pourquoi il est indispensable de prêter attention et de respecter les autres.

Il nous faut donc aider les pères à trouver, à inventer, une nouvelle façon d’exercer l’autorité paternelle, puisque si l’abolition d’une organisation sociale fortement hiérarchisée à été extrêmement bénéfique aux adultes et à la société, les enfants en souffrent parce qu’ils manquent de repères fiables.

Comment aider les pères ? C’est ce que nous devons trouver. Mais, en tout cas et avant tout en reconnaissant qu’ils ont un rôle spécifique et fondamental à jouer auprès des enfants. Ce qui implique que tout en s’occupant tendrement d’eux, les pères ne doivent ni agir ni se voir comme des mères bis.


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