980423
par François Brooks
Tout ce qui existe pour moi, à
l'extérieur de moi, est objet. Tout ce que je peux objectiver, c'est-à-dire
percevoir, je le vois comme quelque chose qui m'est accessoire et que je peux
utiliser à mon propre profit. La table, le stylo dont je me sers, mais aussi
les personnes.
Pour les choses qui m'appartiennent,
c'est le plus facile, je peux en disposer comme bon me semble en toute liberté.
Pour les choses qui ne m'appartiennent pas, moyennant que je les loue ou que je
les achète, je peux aussi en disposer comme bon me semble.
Pour les personnes, c'est un peu plus
compliqué, mais avec doigté, ma volonté peut faire en sorte de les convaincre,
à force d'arguments, de gentillesse, de salaire ou même par la force, de se
mettre à la disposition de ma volonté. C'est ainsi que je peux considérer les
personnes que je rencontre comme des objets.
Moi-même, je suis mon propre objet. Je
peux utiliser mon corps comme bon me semble. Je peux me dorloter, travailler,
paresser, me négliger ou même me suicider. Mais puisque toutes mes perceptions
m'affectent, je suis aussi sujet. Voilà bien la particularité étrange de mon
être : c'est que je suis à la fois objet et sujet. J'utilise mon corps
pour faire ce que bon me semble, mais ce corps que je suis est sujet à tous mes
états d'âme et ces états m'affectent.
Mon rapport à moi-même est une chose
curieuse. Ma condition d'existence personnelle a ceci de curieux que je me
ressens en même temps comme sujet et objet. Alors que mon rapport avec tout ce
qui m'est extérieur est simple, mon rapport à moi-même est double.
Des choses extérieures, mon esprit en a
une connaissance abstraite, imagée, objective. Les choses que je perçois par
mes sens créent en moi une impression. Cette perception, dès l'instant qu'elle
s'effectue, le filtre de mes sens la rend subjective. Mon esprit, par
association et mémoire, va transformer la connaissance immédiate de l'objet que
je rencontre en impression subjective dont tout m'appartient. C'est comme si je
ne pouvais jamais percevoir les choses extérieures à moi telles qu'elles sont.
Même moi, j'ai sans doute une image complètement différente de l'objet que je
suis dès l'instant que je me perçois à la manière d'un objet extérieur.
Être, c'est curieux!