par François Brooks
Prémisses des auteurs et réactions des « masculinistes »
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Depuis quelques années, les hommes ont mené un combat qui commence à porter fruit. Le masculisme s'affirme maintenant de mieux en mieux et gagne des points sur plusieurs tableaux. Quant à elles, fort de leur pouvoir institutionnel bien acquis, les féministes militantes étaient restées plutôt silencieuses. Mais une frange de onze universitaires y voient là une menace. Sous la direction de Mélissa Blais et de Francis Dupuis-Déri, l'essai Le mouvement masculiniste au Québec : L'antiféminisme démasqué, publié aux Éditions du remue ménage, rappelle les femmes au combat.
Les auteur-e-s de ce collectif ne cherchent en rien la conciliation. Fièr-e-s militant-e-s féministes, ce sont des professeur-e-s et étudiantes dont le domaine se cantonne à la politique, au droit, à l'intervention sociale et au féminisme. Pas de psychologie et encore moins de philosophie. Ce sont des personnes de combat, pas des diplomates. L'homme y est donc présenté comme doté d'une essence maléfique et on invite prestement les femmes à les combattre. L'impasse de leur approche des relations hommes-femmes ressort vivement dans le paradoxe qui apparaît pages 116-117 où Mathieu Jobin postule la violence masculine contre les femmes comme organisation systémique. (Il insiste en le répétant 3 fois.) L'homme n'est donc pas une être émotionnel potentiellement victime d'égarements qui peuvent exceptionnellement l'emporter dans une violence irrationnelle regrettable, mais bien un être naturellement méchant, volontairement méchant et dont la méchanceté s'érige en système contre la femme. On est à la limite de la théorie des complots. Une essence diabolique masculine contre l'essence angélique féminine, dirait Jean-Philippe Trottier. Refusant la thèse de Jean-Pierre Gagnon qui affirme que l'agressivité naturelle des garçons doit être éduquée pour être canalisée convenablement, Jobin affirme l'agressivité masculine comme un mal. Il enferme donc l'homme dans une impasse de culpabilité ontologique un peu à la manière dont l'Église conçoit le péché originel. Ceci est doublement troublant puisque son chapitre est écrit par un homme qui s'enferme donc lui-même dans cette nature ontologique et avoue ainsi son agressivité exprimée ici contre... les hommes. Wow! On assiste à la conception d'un mal qui boucle sur lui-même et s'auto-génère. Hallucinant!
Ces militant-e-s nous construisent un univers conforme à la lecture de chacun dans sa discipline où la loi, le politique et le social nous produisent un monde qui s'érige en terme de luttes. Et que devient un combattant sans adversaire? Rien. L'adversaire masculin est donc leur raison d'être. Ils le créent à l'image de leur besoin de conflits. Ils nous donnent ainsi le sens de leur société en posant l'humanité comme un immense champ de bataille divisé en deux camps où le bourgeois est l'homme et le prolétaire, la femme.
Dès l'introduction, on met la table pour le conflit. Des mouvements hoministes, humanistes, virilistes et masculistes, point de distinctions. On crée rapidement l'amalgame « masculinisme » en esquivant (pour commodité) toute nuance possible. Nous qui avons déjà de la difficulté à être solidaires puisque chacun tient à ses propres nuances, ce féminisme vient de créer notre solidarité tout comme Hitler avait créé le Juif : la vermine à combattre sans distinction pour la variété des tribus et des coutumes de ces gens ; tout comme on insulte les noirs en les appelant tous ainsi alors qu'ils ne s'aiment pas toujours et détestent être amalgamés avec leurs ennemis de couleur. Même en parlant du féminisme, on convient généralement d'éviter le piège de les mettre toutes dans le même panier. Foin de ce détail. Nos féministes du livre rouge veulent un groupe homogène facile à cibler.
Les directeur-e-s de ces thèses affirment que le « masculinisme » ne porte pas, comme le féminisme, un projet de justice et d'égalité. Par cet argument d'autorité (étayé nulle part) ce féminisme confisque donc la vertu et retire aux mâles toute justification, comme si d'évidence, ce projet louable était de copyright féministe. L'équilibre est le féminisme en soi ; le masculisme, une menace à la justice et à l'égalité. La convergence n'est pas possible ; négocier avec l'homme équivaudrait à négocier avec l'ennemi.
En conclusion, on nie tout simplement que l'homme doive affronter une crise de masculinité exigeant un repositionnement de son identité comme si la réflexion des hommes sur eux-mêmes présentait une menace pour les femmes. La menace, conclue-t-on, est l'homme à combattre qui est fou, amer et désaxé ou alors universitaire, professionnel, journaliste et intellectuel participant d'un même élan, d'une même force de frappe... qu'il importe de contrer[2].
Je ne suis cité qu'une seule fois (dois-je m'en réjouir?) (p.87) hors contexte, par Mélissa Blais, pour appuyer (contre l'esprit de mon texte) le soi disant héroïsme de Marc Lépine. Le paradoxe c'est qu'elle ne semble même pas se rendre compte que, par le titre même de son chapitre, Marc Lépine : héros ou martyr?, elle l'érige en modèle dont elle fait l'éloge négative. C'était d'ailleurs le piège dont je mettais là en garde les féministes, et dans lequel elle saute à pied joints. Élisabeth Badinter l'avait vite compris en refusant de répondre à toute question concernant Lépine. Elle avait d'ailleurs dérouté Marie-France Bazzo qui insistait dans son interview devant lui répéter par deux fois qu'elle n'avait pas parlé de Lépine dans son livre Fausse route.
Yvon Dallaire, par contre, est cité plus que tout autre. Il est l'ennemi #1. Étant celui qui a le plus travaillé pour la cause des hommes ici comme à l'étranger, il bénéficie donc d'une visibilité médiatique proportionnelle. Et la visibilité médiatique des «masculinistes» est le premier monstre qu'il faut attaquer.
Bien sûr, on s'attaque allègrement aux plus vindicatifs dont Yves Pageau qui a l'honnêteté d'écrire tout ce qui lui passe par la tête en avouant ensuite le regretter. On est incapable de voir là l'humour pas plus que chez les Vaginocrates de Serge Ferrand. On peut rire des hommes sur la place publique mais rire des femmes est anathème tout comme on peut bien gonfler les statistiques de violence des hommes contre les femmes mais on se garde bien de parler de la violence des féministes masqué-e-s qui sont venu-e-s attaquer chez Ferrand scandant «À mort les masculinistes».
On critique allègrement Gilles Rondeau qui pourtant, dans son très modéré rapport, s'en est tenu qu'aux besoins des hommes sans jamais toucher à un seul cheveu féministe. On a même trouvé le moyen de critiquer le tout rose Guy Corneau qui, c'est bien connu, remplit ses salles de femmes admiratives avec les propos les plus conciliants.
Résumé des principales lacunes de ce livre :
Le titre est inopportun parce que le nom de «masculinisme» pour désigner tous les groupes qui oeuvrent pour la cause des hommes est loin de faire consensus. Le titre est doublement inopportun puisque l'antiféminisme s'exprime ouvertement, sans agenda caché, et n'a donc pas à être «démasqué», comme auraient dû l'être les féministes qui ont attaqué chez Serge Ferrand.
Il nous présente un agenda mal défini au programme négatif ne proposant que le combat hostile sans jamais songer au compromis.
L'argumentaire mal étayé ou déficient est sans racines philosophiques, truffé de citations à l'emporte pièce souvent infidèles à l'esprit de l'auteur et toujours visant à appuyer leurs thèses négatives sur tous les groupes ou individus qui oeuvrent pour la cause des hommes.
C'est un essai à vision restreinte qui n'a pas peur de ses incohérences puisqu'il est incapable de les détecter.
(En passant, pour rectifier la référence erronée de la page 14, l'ANCQ c'est l'Action des Nouvelles Conjointes et Conjoints du Québec fondée par Mme Lise Bilodeau.).
La rhétorique est peu convaincante, procédant par sauts et arguments d'autorité sans faire appel au raisonnement du lecteur.
(En passant on a oublié de mentionner Nicole Gagnon L'Antiféministe qui a un argumentaire passablement plus solide et fut la première à afficher ouvertement sa liberté contre les féministes qui s'arrogent le droit de confisquer l'identité féminine.)
Et pour finir, la couverture est à l'image des enjeux qu'on appelle à combattre : il y a belle lurette que les hommes n'affichent plus leur identité avec la grosseur de leurs biceps ; de même qu'il y a belle lurette que le partage des tâches ménagères relève du domaine privé où chaque couple négocie depuis un arrangement maison qui lui convienne.
Ce livre est décevant non pas parce qu'on s'attaque à ce que les auteur-e-s appellent le «masculinisme», mais parce que les attaques font l'effet de pétards mouillés. C'est dommage parce qu'on aurait bien aimé lire un ouvrage bien argumenté qui nous apprenne quelque chose de neuf et ouvre des perspectives sinon conciliatrices, au moins propices à susciter le débat. On n'y trouve rien qu'une fusillade en règle de tout ce qui porte des couilles, maquillé d'un discours de forme pseudo universitaire qui appelle aux armes des militantes qui, ne soyons pas dupes, auront bien du mal à se reconnaître encore aujourd'hui dans ce féminisme radical suranné qui justifie encore les mensonges statistiques pour appuyer sa cause. Aucun des arguments documentés par les différents auteurs cités n'a véritablement été débouté de manière convaincante. À commencer par l'auteur de ces lignes qui, à en croire Mélissa Blais, pourrait laisser entendre à la possibilité de voir en Marc Lépine un héros politique. Voilà bien une lecture à contresens de mon texte Marc Lépine et les féministes (jugez par vous-même). N'est-il pas inquiétant de constater que nos universités hébergent une telle malhonnêteté intellectuelle?
Mais pourquoi ces féministes veulent-elles à tout prix entretenir l'homme dans son rôle de méchant dominateur à combattre? J'ai senti quelque part de la peur dans ce livre ; pas une peur qu'on cherche à dissiper où à solutionner, mais une peur qu'on cherche à justifier, à entretenir. Pour que ce type de féminisme perdure, il faut des hommes qui acceptent de jouer le rôle qu'on leur désigne. Dans le domaine de la prise de conscience, depuis 40 ans, certaines femmes se sont donné à raison un pouvoir enviable sur leur propre vies. Ces féministes auraient-elles peur que les mâles se mettent à réfléchir sur leur propre condition d'hommes et se libèrent à leur tour? La Boétie, dans son Discours de la servitude volontaire nous dit : « Soyez résolus de ne plus servir, et vous voilà libre ». Maintenant que des hommes commencent à se donner du pouvoir sur leur propres vies, ces féministes y verraient-elles la menace d'une perte de pouvoir? Le pouvoir des femmes, c'est le désir des hommes, me répète souvent mon ami Daniel.
Si le féminisme est parvenu à ses fins ce mouvement n'a donc plus de raison d'être. Et s'il a dépassé ses objectifs, c'est maintenant le masculisme qui est plus légitimé que jamais. À cet effet, la population étudiante à l'UQAM a depuis dix ans dépassé l'objectif d'égalité et produit bien davantage de femmes diplômées (Lire l'article À l'UQAM, plus de 60% des étudiants sont ... des étudiantes!). Pourquoi le collectif féministe de cet essai composé exclusivement d'universitaires passe-t-il ces faits totalement sous silence?
[1] Le livre Le mouvement masculiniste au Québec, l'antiféminisme démasqué, publié aux éditions du Remue-Ménage, est paru le 1er mai 2008. Il regroupe les textes de 11 auteurs, sous la direction de Mélissa Blais et Francis Dupuis-Déri : Janik Bastien Charlebois, Louise Brossard, Karine Foucault, Mathieu Jobin, Diane Lamoureux, Ève-Marie Lampron, Josianne Lavoie et Émilie St-Pierre. Mélissa Blais et Francis Dupuis-Déri sont passés à l'émission Vous êtes ici de Radio-Canada (Cliquer ici pour écouter l'entrevue).
[2] op. cit. p. 252.