-----Message
d'origine-----
De : Centre Féminin du Saguenay [mailto:cfsaguenay@videotron.ca]
Envoyé : 26 mai 2006 11:09
À : https://www.philo5.com/
Bonjour Monsieur Brooks,
Je me permets de vous faire une demande particulière au sujet d'une page hébergée sur votre site.
La page concerne le Centre Féminin (maison d'hébergement pour femmes violentées et en difficulté accompagnées ou non de leurs enfants) ayant pour titre : Trois coups de « Canon » par Monsieur Denis Beaudin.
Chaque personne a droit à son opinion et je ne demande pas que l'article soit retirée. Je demande plutôt que l'adresse de la maison et la photo ne soient plus publiées, pour des raisons de sécurité.
Bien que ce ne soit pas toutes les femmes et les enfants que nous hébergeons qui ont besoin d'une sécurité accrue, il y en a parmi celles-ci, pour qui cela s'avère essentiel, voir vital. sans être alarmiste ou extrémiste je crois que si cela peut faire baisser le niveau de risque ne serait-ce que pour une seule femme ou un seul enfant, alors ma démarche en vaut la peine.
Les meurtres de femmes et d'enfants par des ex conjoints ou des conjoints, cela existe! Je ne nies pas tous les autres types de violence et en reconnaître un, n'occulte pas les autres.
En publicisant notre adresse ainsi qu'une photo de la maison, ce n'est pas que la clientèle qu'on met en danger mais aussi les personnes travailleuses de la maison.
Lors de la parution de l'article, j'ai laissé faire en me disant que l'article ne serait pas là éternellement! Mais elle y est, depuis plus d'un an, ce qui explique la présente demande.
Espérant une réponse favorable, veuillez agréer monsieur Brooks l'expression de nos sentiments distingués.
La direction du Centre Féminin du Saguenay
Bonjour à vous... (Qui êtes-vous?)
Êtes-vous madame Chantale Gobeil? Pourquoi m'envoyer une demande anonyme? J'ai trouvé votre nom ici :
http://sisyphe.org/article.php3?id_article=1001 où on vous identifie comme :
« Gobeil, Chantale - Directrice générale, Centre féminin du Saguenay, Maison d'aide et d'hébergement pour femmes violentées.» en lançant une banale recherche sur « Centre Féminin du Saguenay » avec Google comme tout un chacun peut aisément le faire très facilement. On vous trouve d'ailleurs sur l'Internet à plusieurs autres pages ainsi que le « 774 Sydenham, Chicoutimi » qui est répertorié sur des sites francophones et anglophones. Allez-vous demander à tous les sites d'effacer vos traces?
Comme vous pouvez le constater, votre identité et l'anonymat de votre organisme sont un secret de Polichinelle. La sécurité personnelle dans une société ouverte ne peut être garantie par un anonymat factice. Si je retirais cet article, un malfaiteur saurait bien vous trouver quand même. Votre meilleure protection n'est donc pas de vous cacher mais plutôt de démontrer vos forces et je vais collaborer immédiatement à le faire.
Je m'attriste de constater que votre réaction lors de la visite de M. Beaudin me laisse à penser que vous vivez une situation très inconfortable. Vous tournez le dos à la caméra, les bras croisé et repliée sur vous-même, comme si votre identité était un fardeau insupportable. Pourtant, vous ne faites rien de mal : vous dispensez un service public, qui par définition se doit d'être connu de tous. Mais vous aimeriez conserver l'anonymat le plus total, pour de supposées raisons de sécurité. Pourtant, votre nom n'est pas mentionné dans l'article alors qu'il l'est sur d'autres sites. De plus, cet article démontre que vous êtes très bien protégées par les forces de l'ordre et que vous savez très bien vous débarrasser d'un visiteur masculin.
Regardons les choses sous un autre angle. À mon sens, cet article sert très bien vos intérêt, et le retirer vous priverait de l'avantage de la mise en garde qu'il représente. Je m'explique.
Que dit cet article? Qu'un quidam (en l'occurrence M. Baudin) s'est vu pris en charge immédiatement par la police pour s'être seulement présenté à votre Centre et y avoir demandé un dépliant concernant vos services. Une chose ressort clairement : les hommes n'y sont pas les bienvenus et on y est très bien protégé par les forces de l'ordre qui semblent prioriser votre sécurité. Sans aucune forme de procès, tout homme sera chassé de votre Centre manu militari. Qu'est-ce qu'une femme qui a peur des hommes peut désirer de plus? Cet article n'aurait-il pas plutôt avantage de continuer à être publié tel quel? Si j'étais une femme du Saguenay ayant besoin de protection, il me semble que je serais plutôt sécurisée à le lire.
Malgré tout, ceci saurait-t-il vous satisfaire? Vous sentez-vous encore insécure? Pourquoi? Voici ma thèse (que je vous invite d'ailleurs à démolir). J'imagine un peu que, entres femmes éclopées de l'amour, on ne doit pas passer ses journées à dire du bien des hommes. J'ai lu d'éloquents témoignages qui me l'ont tristement démontré. Bien entendu, dans un premier temps, il peut être sain de se vider le cœur et de laisser dire à vos souffrantes « Tous des salauds! » ; dans un premier temps seulement. Mais cette attitude, à moyen terme, n'encourage-t-elle pas vos femmes à entretenir dans leur cœur une peur contre laquelle aucun système de sécurité ne pourrait jamais les protéger? Si j'entretiens en moi-même l'image négative de l'autre sexe, qui donc pourrait jamais me protéger de moi-même? Et si mon entourage contribue à renforcer cette haine puis-je sincèrement croire qu'on m'aide véritablement à m'en sortir? Si l'Autre n'est qu'une projection de moi-même comment puis-je guérir cet Autre qui souffre en moi? Il n'y a rien comme un boiteux pour comprendre un autre boiteux, mais cette confraternité est-elle désirable si on veut trouver le moyen de marcher normalement? Comment sortir du ghetto?
Je suis de tout cœur avec vous pour admettre que toute personne humaine a besoin que l'on protège son intégrité, homme ou femme. Vous cherchez à « faire baisser le niveau de risque ne serait-ce que pour une seule femme ou un seul enfant » mais je pourrais tout aussi bien affirmer un sophisme semblable en vous disant que « Si j'avais eu l'ombre d'un doute à penser que cet article aurait pu être dommageable je ne l'aurais jamais publié.» Qui sait? Si j'avais l'ombre d'un doute que je me ferais frapper en sortant dans la rue, devrais-je toujours rester chez-moi? Doit-on penser le monde comme quelque chose de si dangereux que l'on s'interdise de vivre? Cette logique me rappelle Mark Twain qui disait à la boutade que « Le lit est l'endroit le plus dangereux du monde puisque 99% des gens y meurent.» Devriez-vous engager un garde armé en permanence pour sécuriser celle qui est habitée par ses pénibles expériences? Quand on a été agressé, on voit des agresseurs partout, même sur un inoffensif site Internet qui palabre (pseudo-)philosophiquement. Peut-être devriez-vous protéger vos protégées en leur interdisant tout simplement de lire les nouvelles et en bloquant l'accès à certains sites Internet comme ça se fait dans certaines maisons de santé ou certains pays frileux, et laisser vivre le reste du monde...
Je suis très respectueux des lois et je m'y conforme volontiers. Mais, pour le moment, comme vous le reconnaissez vous-même, nous vivons sous un régime de liberté d'expression. D'ailleurs, la balle est dans votre camp. Je me ferais un plaisir de vous publier, si jamais vous décidiez de répondre à cet article. Il me semble que vous pourriez très bien vous en tirer car, à ce qui me semble, celui-ci ouvre plusieurs avenues desquelles vous pourriez profiter avantageusement. Philosophie oblige, Philo5 est ouvert à l'échange. Je vois peut-être même (on peut rêver) la possibilité d'une réconciliation entre M. Beaudin et votre Centre qui, vous l'avouerez, ne l'a pas accueilli avec toute la cordialité dont vous êtes sûrement capable. Admettons cependant qu'il vous a joué un vilain tour en vous piégeant dans votre plus tendre sensibilité : vos peurs professionnelles. En effet, comme le coureur automobile voit des voitures de course partout, un Centre pour femmes battues voit ... Réconciliés, je suis sûr que M. Beaudin pourrait vous être très utile. En gardien de prison expérimenté il y aurait peut-être une collaboration possible. (Mais ne rêvons pas trop vite ; nous sommes tous du bon monde, et il y a parfois loin de la coupe aux lèvres.)
Pour terminer, il y a un autre point qui me semble d'égale importance et sur lequel votre silence vous accable. Les organismes publics sont de ce fait responsables envers leurs bailleurs de fonds et à ce titre, puisque vous êtes subventionnées par tous les payeurs de taxes, ceux-ci ont évidemment un droit de regard sur ce que vous faites, qui vous êtes et comment vous dépensez l'argent de l'État. La question épineuse qui vous est posée dans l'article de Denis Beaudin est la suivante : « Comment peut-on aider une femme souffrante dans ses relations conjugales en l'entretenant dans l'idée que tous les hommes sont des assassins potentiels? ». En regard de cette question à laquelle vous n'avez pas encore répondu votre demande laisse croire que les centres pour femmes pourraient être en conflit d'intérêt tout comme le docteur Knock de Jules Romain nous en avait fait la démonstration? Votre silence, loin d'éclaircir la situation, ne vient-il pas confirmer ceux qui le pensent? Votre exigence d'anonymat ne dessert-elle pas votre cause? Après un an, n'est-il pas grand temps que vous preniez la parole plutôt que de demander qu'on efface vos traces? Comment répondez-vous à cette question?
Ainsi donc, c'est à regret que je ne puisse retirer pour le moment cet article, et croyez-moi, j'aurais bien aimé le faire, ne serait-ce que par courtoisie pour la gente féminine envers laquelle je cultive la plus grande cordialité. Mais vous conviendrai que vos arguments ne tiennent pas la route, puisque l'article fait la démonstration que votre sécurité est excellente et contribue à propager cette image. J'ose croire que ce dont on vous accuse n'est né que de l'incompréhension mutuelle. J'attends impatiemment votre réponse à cet article. Ceci dit, certains pensent que les femmes sont faibles, qu'elles manquent de courage et sont incapables d'assumer leurs actes en adultes responsables. Je n'aime pas penser que ce que vous me demandez pourrait leur donner raison. Faire partie du genre humain, c'est d'abord être responsable de ses actes et faire face à ses responsabilités, que l'on soit homme ou femme. Je vous invite prestement à nous démontrer votre valeur.
(P.S. : Avec votre permission, je publierai volontiers notre échange courriel.)
Mes salutations les plus respectueuses à vous et à vos protégées.
François Brooks